Ionela Olaru
La notion de Documentaliste-enseignant se définit-elle différemment de celle d’Enseignant documentaliste ? Et si c’est cela, quelle serait cette différence ?
Guy Pouzard
Une première réponse peut être apportée en disant que si tous les documentalistes sont des enseignants (documentaliste-enseignant), tous les enseignants sont loin d’être des documentalistes(enseignant-documentaliste). J’avais moi-même beaucoup insisté (à tort) sur le terme d’enseignant-documentaliste. Il me semble normal de penser que dans le mot composé c’est la fonction du premier qui domine. Dans votre métier, c’est bien la fonction de documentation (sous toutes ses formes avec bien entendu le contact avec les élèves, les enseignants de disciplines et les autres acteurs du système éducatif) qui doit dominer. Il reste que la place de la documentation dans l’enseignement doit être revue. Elle ne se résume pas à une fonction de bibliothécaire (comme semblent le regretter certains, mais ils sont rares et il ne faut pas s’affoler), ni à une fonction de gardien(ne) de CDI ou à une simple utilisation de documents « illustratifs ». Il s’agit bien de trouver la place originale et nouvelle de la documentation dans les parcours d’apprentissage des élèves. Cela suppose une réflexion sur la façon dont les enfants d’abord, les adolescents ensuite apprennent, ou plus exactement, se construisent au fil de la scolarité.
Cela suppose de reconnaître l’apport des méthodes de la documentation (de l’information) dans de nouvelles voies d’apprentissage. Courage pour la suite. Rien ne se fait sans peine dans ce monde qui devrait d’avantage chercher des voies raisonnables. Enfin, l’originalité de votre métier ne doit pas être un prétexte à des rejets ou à des blocages.
Nicole Duval, documentaliste du collège Lycée Comte de Foix - Andorre la Vieille
Concrètement, que comptez-vous faire pour que tous les membres d’un établissement (du proviseur aux élèves en passant par les professeurs, les secrétaires, etc...) connaissent enfin précisément la mission du documentaliste-enseignant ? Documentaliste dans un CDI (1000 élèves, 135 profs) qui déborde de projets, participant activement aux IDD (9 au CDI) depuis l’élaboration des projets jusqu’à l’évaluation des élèves, proposant chaque année au CA, dont je fais partie, le projet puis le bilan du CDI, je connais des moments de découragement quand j’entends les réflexions de certains collègues, d’élèves ou de parents d’élèves sur notre profession. Un autre exemple, je viens de lire la contribution de Danielle Martinod et de Bénédicte Saouter aux assises nationales de l’’Education à l’information et à la documentation. Dans leur listing « côté doc » pour « favoriser la coopération professeur de discipline-documentaliste », je mène toutes les actions qu’elles préconisent auprès des professeurs. Je peux même en ajouter d’autres que j’ai mises en place. Je sais que nous sommes nombreux à nous investir quotidiennement de cette façon-là. Je crois que les documentalistes ont fait leurs preuves. Ils ont placé le CDI au coeur de la vie pédagogique de l’établissement. C’est à l’institution maintenant à intervenir pour lutter contre cette méconnaissance du métier de documentaliste. J’ai bien peur que ces textes magnifiques sur notre métier (les vôtres, celui de M.F. Blanquet...) ne sortent pas du cercle des documentalistes.
Philippe Laruelle Unité Documentaire IUP-IUT Avignon
Je partage tout à fait cet avis, et j’ai bien peur que les nombreux rapports rédigés à l’attention du ministre par vous-même (où par votre groupe) au sujet de la profession restent lettres mortes. De plus, vous êtes correspondant pour le ministère sur Aix-Marseille (académie où j’exerce, par ailleurs). Dans ces conditions, je me demande également quel est l’intérêt pour le ministère de désigner des rapporteurs et des correspondants, dès lors qu’il ne tient aucun compte de leurs conclusions et propositions, sinon pour donner l’illusion qu’il est à l’écoute des enseignants (dans le contexte social actuel, on peut d’ailleurs aisément se rendre compte de la teneur de cette assertion).
Je proposerais d’aller plus loin que la discussion autour de la profession. Il faudrait, à l’issue de ce dialogue, que vous preniez clairement position sur l’exercice de la profession d’enseignant en général, et, puisque vous êtes un observateur averti, de celle d’enseignant-documentaliste en particulier. Et dans le contexte du moment, il serait bon que l’on puisse connaître votre position sur la réforme Ferry. Dois-je le rappeler aux autres abonnés de la liste, vous étiez déjà IGEN dans les ministères de MM Allegre et Lang sous le gouvernement précédent. Ce qui ne manque pas de me laisser songeur, étant convaincu que je ne suis pas le seul.... Une dernière question à tous mes collègues : pourquoi, d’après vous, la profession d’enseignant-documentaliste a toujours été de régression en régression ? J’ai une interprétation personnelle que j’ouvre d’ailleurs au débat : car nous sommes responsables de l’apprentissage de l’accès à l’information (et de son analyse), censés conduire les enfants et les adolescents à l’autonomie vis à vis de cette information et à l’analyse critique de celle-ci. On connait la position de tous les gouvernements, aussi démocratiques puissent-ils se réclamer, vis à vis de l’accès à l’information. Selon leur couleur politique, la censure s’exerce plus ou moins vivement. Et c’est là, que nous, documentalistes, sommes placés en première ligne (bien davantage encore que les autres enseignants de disciplines) et bien souvent considérés (même si l’institution prétendra le contraire) comme les principaux éléments subversifs du système éducatif.
Au regard de ce qui se profile, Luc Ferry et tout le Conseil d’Etat pourraient bien avoir suivi toutes nos discussions sur les listes, toutes nos récriminations contre des chefs d’établissement qui ne connaissent pas mieux notre métier que le leur, contre des collègues qui ne pensent qu’à nous transformer en Madame (ou Monsieur) manuels scolaires, photocopies, bibliographies, voiture-balai pour élèves indésirables, improvisateurs de séances-classes, bons sujets à cabales, etc...etc..." Je vous laisse juge d’interpréter cette citation en regard de tout ce que j’ai dit dans le présent message.
Annick Plenacoste, CDI Lycée professionnel - Villefranche de Rouergue
Ben, moi, aussi, j’ai servi avec le même zèle sous Allègre, Lang, Ferry et bien d’autres... en tant que fonctionnaire, je suis au service de l’état, pas d’un gouvernement ... si j’avais dû démissionner (c’est ce que tu fais, toi ?)chaque fois que j’étais en désaccord avec « MON » ministre, j’aurais pas bossé souvent depuis 20 ans.
Bruno Desroches Clermont-Ferrand
Et moi donc, depuis 75 tout ce que j’ai vu passer comme incompétents à la tête de ce ministère(...).
Guy Pouzard
Il ne me semble pas indispensable de répondre aux procès d’intention de personnes mal documentées. Une remarque cependant, je me rappelle un temps (pas si lointain) où bien de mes collègues professeurs de l’enseignement supérieur (position que j’ai occupée au plus haut niveau jusqu’en 1993 mais par la force des choses j’ai dû rejoindre l’inspection générale) refusaient que des professeurs certifiés ou agrégés du secondaire soient recrutés dans l’enseignement supérieur. Je ne partageais pas ce point de vue. Depuis, j’ai pu remarquer que bien des documentalistes enseignants ont une profondeur de réflexion et une hauteur de vue qui justifient amplement une meilleure carrière. J’ai pu remarquer aussi qu’il y a toujours des exceptions.
Nicole Boubée
Professeure-Documentaliste Collège Stendhal - Toulouse
A propos des « méthodes antagonistes » :
Comment faire pour sortir de cette querelle de méthode qui nous joue de si mauvais tours ? Je pense ici aux rejets significatifs des nouveaux dispositifs ou à la dénonciation de la Documentation, l’Information et la pédagogie Freinet comme cheval de Troie de l’entreprise et de ses modèles [1] ? Ne devrait-on pas cesser d’opposer les méthodes d’enseignement et accepter la richesse mutuelle (et limites respectives) des cours magistraux et méthodes actives ? Même si en Documentation nous sommes bien évidemment, très attachés à cette « démarche active de construction », nous savons qu’un cours magistral peut être « réussi » et une séquence « CDI » ratée, les méthodes ne suffisant pas à garantir l’acquisition des connaissances...
Guy Pouzard
Evidemment Nicole, la raison voudrait que les méthodes pédagogiques, pas plus que le reste, ne soient enfermées dans des tours isolées ! Mais, il y a ceux qui préconisent ces « hybridations » et ceux qui restent enfermés dans la certitude de leurs habitudes ou de leur culture. Et cette culture est trop souvent celle des ensembles (disciplines ou autres) isolés. On est « littéraire » et l’on pense qu’il n’y a de salut que dans les discours parsemés de citations latines, on est « scientifique » et l’on croit que seule la technologie peut sauver le monde (j’exagère à dessein quoi que..). Et la diversité de l’homme dans tout ça ? Il faut admettre qu’aucun combat n’est gagné d’avance et que les fruits que l’on tente de semer seront peut-être récoltés par d’autres que nous. Pour ce qui me concerne c’est une certitude. Pour vous qui devez conserver l’espoir une réalité à laquelle il faut faire face. Plus généralement, disons qu’il ne faut pas désespérer de l’avenir, même si le découragement peut nous guetter chaque jour. L’un des problèmes de la documentation est bien que ses méthodes n’ont pas fait partie EXPLICITEMENT de la culture élitiste dans notre pays, à l’inverse d’autres. Néanmoins les problèmes qui se posent encore aujourd’hui ne sont pas nouveaux. Nous avions essayé de le montrer par l’histoire dans le document de l’IGEN. Des IGEN, bien plus illustres, ont essayé, en leur temps, de faire passer dans les moeurs l’idée que la documentation (au sens général du terme) est un élément indispensable de l’éducation. Leur message n’a été que très partiellement reçu et souvent détourné pour ne pas être appliqué (l’épopée des SDI puis des CDI est exemplaire de ce point de vue). On a parfois l’impression que les CDI ont été compris (récupérés ?) par certains comme ces commissions que l’on créait quand on voulait noyer les problèmes (l’utilisation de l’imparfait n’est peut-être pas correcte). Je n’analyserai pas ici ce qui peut en constituer des raisons, mais il ne me semble pas que cela en soit une suffisante pour désespérer (je sais que ce n’est pas le cas d’une grande majorité d’entre-vous).
Denis Tuchais Lycée Jolimont Toulouse Stagiaire IUFM 2ème année
Le texte de Guy Pouzard, comme la journée de regroupement des documentalistes de l’académie de Toulouse à laquelle j’ai participé lundi, m’inspirent quelques réflexions que je me permets d’exposer ici.
Comme l’a indiqué Jean Michel, théoricien de la « documentation d’entreprise » que Mr Pouzard tend à opposer dans son article à celle de la « documentation scolaire », le documentaliste est passé d’une « gestion de stocks d’informations » à une « gestion de flux d’informations » du fait de l’utilisation quasi systématique de l’Internet (dont Mr. Pouzard est un fervent défenseur). Cette avalanche informationnelle, rythmée par la vitesse de sa diffusion, la précipitation incessante de documents toujours mouvants semble déstabiliser le métier. Est-ce l’apanage du documentaliste d’en être le censeur ? Sa formation est-elle adéquate aux qualités requises pour devenir l’expert convoité par tous au sein de l’établissement ?
D’autre part, le professeur-documentaliste (ou inversement, question de dialectique), semble toujours , à écouter mes collègues, soumis au joug d’une non reconnaissance de son rôle pédagogique. C’est pourquoi Guy Pouzard a, me semble t-il, raison d’évoquer son rôle « interdisciplinaire » dans le cadre de dispositifs tels que les IDD, TPE, PPCP (projet pluridisciplinaire à caractère professionnel et non « personnel » , lapsus révélateur, Mr. Pouzard ? faudrait-il s’interroger sur la valeur de termes comme « interdisciplinarité », « transversalité », « pluridisciplinarité »).
Entre ces deux idées se glisse insidieusement le débat d’actualité, objet de la lutte actuelle, autour de l’École Républicaine (voir le slogan E-D-U-C-A-T-I-O-N N-A-T-I-O-N-A-L-E). Notre métier est défini selon la circulaire de mission de 1986 autour de deux axes GESTION et PÉDAGOGIE : Nous sommes donc au coeur de ce combat. Nous sommes surtout au coeur d’une contradiction : nous avons le devoir de gérer un budget, un lieu, un fonds, cela coûte de l’argent. Est-ce antinomique, si nous sommes honnêtes, avec une réflexion sur une certaine démarche « qualité » de notre action : quid des ouvrages commandés et qui ne servent jamais, ni aux élèves, ni aux professeurs ? Quid des erreurs d’indexation qui mettent de fait au rebus des ouvrages que personne ne trouvera jamais dans le fonds à moins de tomber dessus par hasard ?... Là on est en plein dans un discours managérial. En d’autres temps Mr. Pouzard a dirigé un rapport de l’IGEN (voir référence donné en fin d’article . Rapport de 2000) où il est effectivement question de « démarche qualité » dans le cadre de la politique documentaire d’établissement, qui se traduit, je cite, « par des performances, des coûts, des conditions d’accessibilité et de délais », d’une « adéquation de l’offre et de la demande »... (p.30). A l’époque évidemment il n’était pas question de « marchandisation du monde » (cf. article de « doc pour docs »). Pourtant il est indéniable que le discours managérial d’entreprise, depuis M. Crozier dans les années 80, a fait son chemin dans l’administration (depuis la loi de décentralisation de 1982 qui a donné une certaine autonomie administrative aux établissements scolaires, aux comportements des élèves eux-mêmes, consommateurs d’école" (Dubet), en passant par les conceptions pédagogiques mêmes, voir les débats syndicaux sur les TPE..., jusqu’à l’évolution du métier de documentaliste, techniquement parlant (performance accrue des logiciels documentaires, utilisation systématique de l’internet...).
D’où une certaine interpénétration d’un discours pédagogique et d’un discours managérial.
Loin de moi l’idée de jeter la pierre à Mr. Pouzard qui, par ses écrits, fait avancer le débat (je n’aurais pas écrit cela sinon), mais la question reste posée : nous nous battons pour être reconnus comme des pédagogues de l’information-documentation (donc des savoirs disciplinaires....d’où un programme ? un référentiel de compétences ?) et, en même temps, nous devons gérer un budget, un fonds. Alors, que veut dire le « projet de CDI » dans ce cadre, que veut dire « projet documentaire d’établissement » ? Quelle performance cherche t-on dans notre action de gestionnaire mais aussi de professeur ? Qu’en est-il de l’évaluation ?
Au cours de cette journée de regroupement certaines de mes collègues se sont offusquées d’avoir reçu un questionnaire (500 ont été envoyés dans l’académie) provenant de la direction de l’ Evaluation et de la Prospective associée au CNDP pour évaluer le fonds, la qualité des gestionnaires du CDI (doc, TZR...) et autres questions « intimes » qui pouvaient faire penser à une sorte d’audit des CDI en Midi-Pyrénées... Et alors, comment réagir ? En bon fonctionnaire qui se respecte on répond au risque de se retrouver devant le fait accompli : les CDI ne sont pas rentables ; ils coûtent trop chers !!! Ou bien on ne répond pas car c’est le grand complot international, l’AGCS en marche, démantèlement du service public, mais alors le complot a débuté il y a longtemps et nous en sommes déjà les complices...
Guy Pouzard
En réponse aux questions et remarques (pertinentes) de D. Tuchais, dans l’ordre où elles apparaissent :
L’opposition entre « documentation scolaire » et « documentation d’entreprise » résulte du but de la documentation. Si dans les deux cas il s’agit bien de trouver de l’information « pertinente », de la trier, de la classer, etc., la documentation scolaire a une finalité éducative (long terme, pour la construction d’un individu, pour le développement de son esprit critique) quand l’information d’entreprise a un objectif à terme beaucoup plus court, essentiellement commercial (dans le meilleur des cas, la construction de l’entreprise). Dans les deux cas le problème immédiat de la « gestion des stocks » ou de la « gestion des flux » se pose évidemment au documentaliste, mais il s’agit bien plus dans ces termes de techniques de gestion d’information que de finalité. Il me semble que la différence des finalités est le point clé qu’oublient parfois les sciences de l’information quand elles s’occupent plus de l’outil que de l’objectif (sans doute faudrait-il le développer ce point). La « censure » de l’information est un problème qui ne me semble directement pas lié à « l’avalanche » ni à « la précipitation » (les guillemets n’ont aucun caractère désobligeant, ils indiquent simplement que les mots sont empruntés à la question de D. Tuchais). Même avant internet, on parlait bien de choix des ouvrages et on voit rarement dans un CDI des ouvrages à caractère outrancier, pornographique ou autre. Reste le problème de la formation, qui évidemment doit prendre en compte les problèmes posées par les TIC et il faut espérer que cette formation conduise effectivement le documentaliste-enseignant à « être l’expert convoité par tous... ».
Le deuxième paragraphe pose le problème récurrent de la non reconnaissance du rôle pédagogique. Il faut bien comprendre que l’on n’efface pas des siècles de culture, de réflexes, d’habitudes par un trait de plume. Les dispositifs, IDD, PPCP, TPE, (pardon pour le « personnel » du P, il s’agit plus de dyslexie ou de lenteur d’esprit que de lapsus révélateur, c’est en pensant au P de TPE que le « personnel » s’est introduit ici, cela n’arriverait probablement pas si l’on avait pris l’habitude d’écrire PPCP avant TPE, mais chronologie exige...) sont très récents. On ne peut pas penser qu’en si peu de temps ils vont bouleverser les comportements. Quant à l’interrogation sur les termes « transversalité... » elle figure dans mon texte qui indique (peut-être d’une façon pas assez explicite) que l’origine doit se trouver dans le « cloisonnement » (ce qui n’a que peu à voir avec de la « verticalité »).
Pour ce qui est de la gestion et de la pédagogie, la contradiction n’est qu’apparente et là aussi « historique ». Il existe de nombreux pays dans lesquels les enseignants ont aussi des tâches de gestion à remplir. Dans notre pays également d’ailleurs. Que ce soit chez les directeurs d’école, chez les responsables de laboratoires universitaires, directeurs de ceci ou présidents de cela. Le statut des enseignants-chercheurs du supérieur (tiens, encore des hybrides !) précise que ces derniers doivent accomplir des tâches d’enseignement, de recherche et de gestion. La fâcheuse habitude des « ensembles disjoints » introduit un problème qui ne devrait pas se poser et qui amène certains (des deux côtés) à penser qu’il y aurait d’un côté des « pédagogues » irresponsables, et de l’autre des « gestionnaires » seuls soucieux du bien public. Je n’ai pas trouvé la référence dont mention est faite au rapport 2000 qui a été écrit sous la responsabilité de deux IGEN, chacun ayant une partie en propre. Je ne sais si la référence porte sur la première partie ou sur l’enseignement « hybride ». Mais, là encore, il n’est pas surprenant que deux discours « s’interpénètrent ». C’est l’objectif qui est fondamental et il faut savoir « manager » des systèmes dont l’objectif est le développement de l’esprit critique de l’individu.
Je terminerai cette réponse par une considération d’ordre plus général (privilège de l’âge de percevoir l’importance du temps ?). Dans bien des approches qui concernent l’impact des avancées technologiques sur les comportements, il semble que l’on ait du mal à intégrer la notion de complexité du monde vivant et du temps nécessaire à l’assimilation des changements induits par les développements technologiques ou autres. Il est vrai que par nature, les échelles de temps sont différentes. Il est pourtant évident que l’on ne peut faire avancer du même pas tous les individus d’une collectivité, dés lors que celle-ci en rassemble un nombre important. Sauf à les contraindre par la force. Ce n’est ni souhaitable ni efficace dans le temps. C’est un des rôles essentiel de l’éducation tout au long de la vie : faire comprendre pour libérer l’individu. Cela implique peut-être une certaine dose de naïveté, d’idéalisme que l’âge lui-même n’arrive pas toujours à complètement effacer. Le véritable problème est bien de définir et d’expliquer sans faux fuyants le pourquoi des changements. Pas de les imposer comme des évidences.
Martine Toual Collège Mme de Staël, Lille
(..) L’idée-même de programme semble contradictoire avec tout apprentissage. Etablir en effet un calendrier étalé sur x années de maternelle et primaire, puis 4 en collège etc..., c’est présupposer que les élèves vont avoir besoin à tel moment de tel ou tel savoir ou de tel ou tel savoir-faire. D’une certaine manière, à travers ces programmes, on souhaite les « vacciner » pour les renforcer à l’avance contre telle lacune potentielle qu’ils ne présenteront peut-être jamais, ou pas au moment prévu, ni tous à la même heure. Ne les « vaccine »-t-on pas aussi trop tard parfois, bien longtemps après qu’ils en ont exprimé le désir ou le besoin ? En revanche, en CDI notamment, on fonctionne plutôt en les observant pour repérer les besoins au fur et à mesure qu’ils se présentent chez l’un ou chez l’autre. Décider de programmes officiels en fonction des années d’études, n’est-ce pas penser que selon les tranches d’âge va apparaître tel ou tel besoin ? Donc encore une vision verticale (ou « menu déroulant ») selon l’axe du temps. (Ah ! si l’homme s’était abstenu de se dresser sur ses pattes ! ;-)
Pourtant, quand on travaille avec une classe autour d’un prétexte disciplinaire fourni par un collègue, on se rend compte qu’en arrière-fond se cachent encore et toujours les mêmes besoins, quel que soit l’âge de l’élève, et l’objectif en termes de savoirs ne gêne en rien l’objectif en termes de savoir-faire. Concrètement, peut-on dire à un élève de 6è qui ne sait pas repérer les idées importantes des idées secondaires dans un texte un peu complexe : « t’inquiète pas, laisse tomber, tu apprendras ça l’an prochain ou dans 2 ans... » ? Et que dit-on au prof qui va corriger une production forcément maladroite ? « Les programmes m’interdisent de lui apprendre à trier les idées, et je l’ai donc laissé recopier tout mot à mot » ? Doit-on le diriger vers des textes plus simples (voire simplistes), quitte à devoir le détourner de ceux qu’il a pourtant envie de lire ? Bref, j’avoue pour ma part être tout à fait incapable d’envoyer paître un élève de BTS qui ne sait pas comment trouver un mot ds une encyclopédie en 20 volumes, sous prétexte qu’à son âge il devrait savoir, pas plus qu’un élève de 6è qui s’est plongé dans un article de Science et vie un peu rébarbatif, mais qu’il souhaite comprendre et résumer pour un exposé.
Ma question donc : l’école, par ses programmations peut-être incontournables, ne risque-t-elle pas de frustrer, bloquer les élèves ? Le « mal » n’est-il pas déjà fait ? Déjà dans le cadre familial, on observe que les enfants, très jeunes, ont souvent l’art de nous poser des questions fort complexes. Doit-on à la maison ET à l’école différer les réponses (ou au contraire anticiper les demandes) en raisonnant systématiquement selon le critère de l’âge ?...A l’intérieur, avons-nous réellement un âge ? Ne devrait-on pas plutôt avoir la possibilité de répondre à la demande quand elle se présente ?
Richard Peirano Lycée Immaculée Conception, Laval
Attention avec la remise en cause des programmes !!! C’est aussi une entrée possible du libéralisme. Il me semble avoir lu quelque part qu’en Angleterre, il n’y a pas de programmes et que c’est plutôt du chacun pour soi. Le programme est la marque de l’égalité (à relativiser probablement) d’un enseignement pour tous. Donc concept à manipuler avec prudence.
Guy Pouzard
Bien d’accord, le programme me semble à moi aussi une nécessité (y compris sociale). Cependant c’est la forme qu’ils ont qui me laisse parfois perplexe. Tels qu’ils sont conçus, ils laissent peu de place aux démarches déductives (les TP eux-mêmes sont des illustrations du cours) et remplissent la totalité de l’emploi du temps. Un programme devrait être construit pour comporter un espace de temps lié aux deux démarches, inductive et déductive dans le courant d’une année par exemple. Il ne devrait pas uniquement appuyer sur la seule transmission des savoirs. De ce point de vue, les programmes mis en place pour les différents « B2I » me paraissent un progrès notable. Encore qu’ils ont tendance à exagérer le détail et malgré la bonne volonté, à laisser transparaître un certain type de culture informatique...Mais ne retrouve-t-on pas justement dans ce cas le fait que l’informatique n’est pas « une discipline enseignée » ? Entre la méthode du « pas de programme » et celle ou le programme définit jusqu’à la minute l’emploi du temps, il y a bien des solutions ! Tout se passe comme si mus par une fatale dichotomie, nous étions dans l’incapacité de voir que les solutions ne sont pas forcément « blanches ou noires ». R. Peirano serait-il d’accord avec ce point de vue ?
Richard Peirano Lycée Immaculée Conception, Laval
No problems ! Si j’ai réagi (je réagissais d’ailleurs plus à l’article de Martine - il me semble), c’est simplement qu’à l’heure actuelle, il vaut mieux être précis sous peine d’avoir un retour de manivelle. Sous chaque idée développée se cache des intentions politiques et pédagogiques différentes. C’est notamment le cas quand on aborde la question des programmes scolaires.
Jacqueline Valladon Enseignante-Documentaliste Toucy
Sans parler du côté hybride de notre fonction ( gestionnaire et pédagogue) , ce n’est pas tant la verticalité opposée à la transversalité qui rend la documentation scolaire différente des disciplines mais plutôt « le savoir qui se construit par l’usage de la documentation ». Tout tourne autour de la transmission des savoirs. Si cette transmission n’est pas suffisante en soi pour permettre les choix du futur citoyen que sera l’élève, il n’en reste pas moins qu’il faut asseoir son jugement et son esprit critique sur des connaissances acquises précises, qu’elles soient transversales ou disciplinaires pour les faire évoluer ensuite. Cela reste la mission de l’école. Dans l’enseignement disciplinaire, les connaissances sont souvent apportées toutes digérées par le professeur expert en la matière, quoique depuis quelques temps, se développe dans le cours l’analyse de documents. Cependant, le professeur reste toujours la référence, seul maître à bord face aux élèves, spécialiste du sujet. Nous travaillons, quant à nous sur le document. Document qui apporte l’information, l’information devant se muer en connaissance. Là est notre principale fonction pédagogique, apprendre aux élèves à faire que l’information trouvée devienne connaissance acquise. Interviennent des méthodes, mais aussi la mise en oeuvre de capacités intellectuelles qui doivent être définies pour être sollicitées. Cette construction intellectuelle qui va de l’information tirée du document à son appropriation et à sa ré-exploitation est en fait la matière enseignée par les professeurs documentalistes. Les compétences intellectuelles et méthodologiques à acquérir de façon progressive pour arriver à ce résultat sont notre programme. Doit-on l’établir et comment l’établir ? Doit-il se résumer à énumérer les savoir-faire. N’enseigne-t-on que des méthodes, des techniques ? Comment les enseigne-t-on ?
Notre existence en tant que professeur documentaliste se justifie justement par notre capacité à rendre autonome un élève face à l’information, à faire que loin de rester passif , il enclenche tout ce processus intellectuel qui l’aidera à se l’approprier. Notre fonction pédagogique n’est que très peu reconnue, car nous n’enseignons pas de connaissances disciplinaires définies. En fait dans l’ Education Nationale, est jugé avant tout le niveau des connaissances et non les capacités à enseigner ces connaissances. Ainsi, sur quels critères sont évaluées les compétences d’un professeur dans un concours tel que l’agrégation ? Beaucoup plus sur la somme de connaissances et l’érudition du candidat dans une matière donnée que sur sa capacité à faire passer ces connaissances aux élèves. D’où la difficulté de l’institution à nous accorder l’agrégation. D’où aussi la tentation de certains de faire des « sciences de l’information », une discipline à part entière, devant être enseignée par les professeurs documentalistes qui pourraient ainsi, en contrepartie, être évalués sur des connaissances érudites précises. Autant il est urgent de se former nous-mêmes aux « Sciences de l’information » autant il est inutile d’en faire une discipline de plus à l’école. J’espère que l’avenir de notre fonction n’est pas là, tout en souhaitant qu’il soit possible d’instituer une agrégation spécifique qui puisse faire évoluer notre métier. Voeu pieux ?
Guy Pouzard
Jacqueline,
Nous avons effectivement soulevé ce point (construction des savoirs par la documentation). Pour ce qui est de la transmission des savoirs, asseoir le jugement et l’esprit critique sur des connaissances acquises précises soulève quelques questions depuis pas mal de temps. Elle en soulève de plus en plus avec l’avancée des connaissances (justement) des sciences cognitives. Il apparaît d’autre part que jugement et esprit critique de l’individu ne sont pas les seuls éléments qui interviennent dans la mise en place de programmes. Il y a aussi la construction d’une conscience (parfois inconsciente d’ailleurs) et d’une culture collectives. C’est d’ailleurs un point capital qui doit permettre de construire une société sur d’autres valeurs que celles d’une société purement « marchande ». C’est aussi pour cela que leur contenu n’est jamais neutre, même pour des programmes qui ont l’apparence de sciences « objectives ». Sur le point des concours, il ne faut pas mésestimer la constitution des jurys. Il n’en est pas deux qui jugent strictement les mêmes éléments et même à l’agrégation, si les connaissances sont un élément de jugement important, la nature du choix par concours fait qu’il arrive que ce ne soit pas forcément le plus érudit dans sa matière qui s’en sorte le mieux. La communication peut jouer un rôle non négligeable...Comme au CAPES...Et les difficultés de l’institution pour accorder l’agrégation ne viennent pas toutes des raisons que vous invoquez (elles existaient déjà au moment des discussions sur le CAPES d’ailleurs). Il y en a d’autres, probablement plus bassement matérielles pour certaines...
Rozenn Bernay Lycée Duplesssis-Mornay - Saumur
G. Pouzard a écrit : « L’un des problèmes de la documentation est bien que ses méthodes n’ont pas fait partie EXPLICITEMENT de la culture élitiste dans notre pays, à l’inverse d’autres. » Cela me fait penser à quelque chose que j’ai entendu aux Assises de la documentation à propos de la place de la formation à la recherche documentaire dans le supérieur : la doc souffre de la discrimination qui a toujours été celle réservée à l’enseignement technique par rapport à l’enseignement général. C’est intéressant de replacer la difficulté qui est la nôtre de donner sa véritable place à la formation documentaire dans ce contexte historique.
Guy Pouzard
Une idée intéressante à creuser. Il y a sans doute une bonne part de vérité dans cette remarque.
Nicole Boubée Professeure-Documentaliste Collège Stendhal - Toulouse
Le B2i, « Informatique et Internet », a le gros inconvénient de cantonner la Documentation dans des aspects de surface aux yeux d’un trop grand nombre de collègues. D’autant qu’il peut être mis en place dans les établissements comme un véritable examen de fin d’année...et les logiciels B2i vendus ici ou là viennent à point nommé gâter la sauce.
Autre difficulté, dans le même ordre d’idée : l’absence de programme en info-doc. Cette absence et son corollaire, la distribution de la « Recherche documentaire » dans les programmes des différentes disciplines contribuent :
à rendre invisibles les savoirs en info-doc ce qui nous oblige à de fastidieuses explications et plaintives extorsions d’heures de formation ou de temps d’exploration pour élèves auprès des collègues (et même dans les « nouveaux dispositifs »)
à installer, diversité des recrutements oblige, dans des fonctions d’enseignant-documentaliste des personnes qui feront pendant toute leur carrière des cours de remédiation en français, de l’animation ...ou moins encore.
Le passeport documentaire (Crdp Languedoc-Roussillon) ou le référentiel FADBEN ont été de premières avancées qu’il nous faudrait inscrire dans un programme. De mon point de vue, il n’y a pas de risque de « verticaliser » la Documentation, la profession partageant majoritairement vos réticences. Que pensez-vous d’un programme en info-doc ?
Guy Pouzard
En citant le « B2I » je ne voulais mettre en avant que le principe, pas le contenu ! Il est bien vrai qu’il vaudrait mieux, par exemple, un B3I avec un des I pour information-documentation, ce que j’avais souhaité, mais pas obtenu à l’époque. Esprits pas encore mûrs...Le I de internet avait déjà eu du mal à passer...(même sur la liste il y a eu quelques...commentaires !). Ne pas désespérer, dans quelques années peut-être ? :-((. Ceci étant, il semble qu’il y ait plus d’efforts concernant le B2I dans les écoles que dans les collèges où l’obligation du B2I est, disons, très souplement appliquée. Les « avancées » se font vraiment à (tout) petits pas et vouloir introduire un programme « info-doc » relève sans doute encore de l’utopie dans l’esprit de beaucoup.
Bruno Desroches Clermont-Ferrand
Effet pervers du B2I dans les lycées. Les élèves arrivent tous avec ce machin-là en poche (forcément, ce n’est pas un examen). Et conséquence, personne ne va en mise à niveau informatique et re-conséquence, la cata sur les ordinateurs. Guy le sait bien, j’ai toujours été contre ce machin mais maintenant, je suis doublement contre !!! J’ai gagné de l’assurance, disons !!!
Guy Pouzard
Bruno, A propos du B2I : c’est pour cela que j’étais pour à l’école, « moins pour » pour le collège, pas du tout pour le lycée. ;-)
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