Odile Riondet. 2 : Questions et réponses

(actualisé le )

Odile Riondet répond ici aux abonnés de la liste enseignants-documentalistes qui ont réagi à son texte intitulé Faut-il s’intéresser aux sciences de l’information ?

Tout nos remerciements à Odile Riondet ainsi qu’aux abonnés d’e-doc


Ghislain Chasme

Ce texte est un peu frustrant car il pose beaucoup de questions sans y répondre. Il n’en est pas moins intéressant car il offre des pistes de réflexion et donne matière à discussion et à interrogation.

Vous dites :
"Le fait de construire un ensemble « information et documentation » a une signification précise : les réflexions sont à développer à partir de la dynamique professionnelle, non à partir d’une dynamique de recherche qui aurait sa propre logique (par exemple, à un moment, exprimer un intérêt pour l’épistémologie de sa discipline)."

Information-documentation : les deux sont ici associés, mais dans les représentations, les besoins et les attentes des non spécialistes (enseignants de discipline, équipes de direction, équipes éducatives, administration, élèves, parents d’élèves, universitaires, institution...), c’est souvent documentation qui prend le pas sur information. Pour Yves Le Coadic, la "science de l’information (SI)" est une discipline. Mais pas la documentation. Sur savoirs-cdi :

"Information et documentation ne sont pas synonymes", dites-vous. Mais l’une comme l’autre impliquent deux fonctions complémentaires, voire indissociables, exercées par la même personne : enseigner et gérer. la seconde fonction est la plus aisément repérée et identifiée. la première semble plus floue et est essentiellement basée sur l’échange de pratiques. Regardez les ressources disponibles sur le Web : elles comportent beaucoup de retours d’expérience, d’exemples de mise en oeuvre (projets, séquences à télécharger), de préconisations (textes officiels, sites académiques). On trouve aussi en ligne de nombreux textes consacrés aux sciences de l’information, mais ceux qui concernent la didactique de ces sciences ne sont pas forcément courants - je n’oublie pas le "modèle cognitif" de Rouet/Tricot pour autant - .

Je commence par une question banale :=)) : pensez-vous qu’il soit utile de former dès l’école (primaire et secondaire) aux sciences de l’information, ou doit-on continuer comme cela se fait encore souvent, à privilégier les techniques documentaires ?

Et s’il faut former aux sciences de l’information, certes la dynamique professionnelle a son importance, de même que le contexte de chacun. Pourtant, ne faudrait-il pas non seulement s’intéresser aux sciences de l’information mais aussi à leur didactique et à leur pédagogie ? Peut-on et doit-on organiser les savoirs dans ce domaine ?

Je termine par une question polémique :=)) : n’est-il pas nécessaire, voire primordial, pour les sciences de l’information d’être enseignées dès l’école ?

Merci de vos réponses

Réponse d’Odile Riondet

Avant de répondre aux questions, je souhaite revenir sur l’une des affirmations de votre texte : information et documentation sont "indissociables, exercées par la même personne".Cette affirmation est une prise de position sur ce que serait une science d’information : une manière de parler de la documentation.
Pour moi, ce n’est pas le cas.

Les sciences de l’information, dans leur fonction professionnalisantes, concernent aussi bien les documentalistes que les bibliothécaires, les archivistes et même les muséologues. Et de plus, elles servent à divers acteurs de l’entreprises pour réfléchir leurs pratiques. Par exemple, dans les services de ressources humaines, elles servent à définir les contenus à organiser en workflow ou groupware. Elles sont souvent convoquées pour réfléchir les transformations de l’organisation sous l’effet des technologies.

Non, information et documentation ne sont pas synonymes et ne concernent pas une seule profession. C’était précisément pour manifester cette diversité que j’ai choisi d’utiliser le pluriel (les sciences de l’information) de préférence au singulier (la science de l’information).

Est-il utile de former dès l’école aux sciences de l’information ? A cette question, je répondrai : la question est largement prématurée. Car il n’y a pas d’accord sur ce que sont les sciences de l’information. Notre échange le manifeste. Et s’il n’y a pas d’accord sur ce qu’il faudrait enseigner, il ne peut y avoir de programme. Se jeter dans l’arène aujourd’hui avec une question peu réfléchie (ou par des individus isolés) est suicidaire. La confrontation des représentations est prioritaire à mes yeux, et à l’intérieur de la profession elle-même.
C’était l’objectif de ma question.

Si les sciences de l’information ne sont que l’art d’interroger Internet, ou même une méthodologie de recherche documentaire, elles ne sont qu ’un sous-ensemble des apprentissages technologiques. Elles ne méritent certainement pas un enseignement.

Oui, la question de la didactique est importante. Je la formaliserai ainsi : avec les technologies de l’information, on crée une sorte de situation expérimentale inédite. Avant, on pouvait demander une tâche (vérifier un fait, un chiffre ou une notion) et ne pas savoir comment elle était remplie. Aujourd’hui, on assiste à toutes les hésitations, les difficultés, et on peut éventuellement en garder la trace. Si l’on réfléchit la didactique, il faut la réfléchir à partir de cette situation inédite.

Oui, il faut travailler sur ces situations. Oui, le nombre de personnes qui s’y intéresse est insuffisant. Il est dommage que si peu de documentalistes d’établissements scolaires fassent des maîtrises ou DEA (bientôt des masters) en sciences de l’information. Cela constituerait d’excellents sujets de mémoire.


Jacqueline Valladon

En fait, j’ai l’impression de répondre à Ghislain plutôt que d’interroger le texte d’ Odile Riondet

Car je suis absolument contre une nouvelle discipline à enseigner.

L’intérêt que pourrait porter un professeur documentaliste aux sciences de l’information ne doit pas être motivé d’après moi, par la matière susceptible de nous apporter (sur un plateau ?) l’agrégation.

Le fait d’enseigner "les sciences de l’information et de la documentation" nous donnerait-il la légitimité que nous croyons ne pas avoir ? Les sciences de l’information seraient-elles la "discipline" de l’enseignant documentaliste ?

Nous aurions beaucoup à perdre de devoir enseigner de façon plus ou moins magistrale, une discipline comme tout autre professeur. L’aspiration de ne pas être un professeur comme les autres, d’enseigner autrement, est pour moi la première des priorités qui fait justement notre légitimité.
Si les Sciences de l’information ne doivent pas être (pour moi) un sujet d’étude scolaire, elles devraient être cependant un objet d’étude personnel et un sujet de formation continue. Elles sont nécessaires aux professeurs documentalistes pour faire évoluer les méthodes et les enseignements en ce qui concerne la recherche documentaire et la formation à la maîtrise de l’information.

Il faudrait, aussi, bien définir les termes, et savoir de quoi l’on parle en parlant de "Sciences de l’information et de la documentation" et de leur enseignement. Le domaine est vaste. Tout n’intéresse pas l’enseignante documentaliste que je suis.

Réponse d’Odile Riondet

Réponses dans le texte

" L’intérêt que pourrait porter un professeur documentaliste aux sciences de l’information ne doit pas être motivé d’après moi, par la matière susceptible de nous apporter (sur un plateau ?) l’agrégation. "

Il y a deux manières de justifier ou refuser l’agrégation.
La première, celle qui est adoptée ici, repose sur l’argument : l’agrégation est réservée aux enseignants ayant des heures d’enseignement.
La seconde, celle sur laquelle je souhaite revenir est la suivante : l’agrégation repose sur un socle de connaissances différents de celles exigées pour un Capes, avec un autre niveau de réflexion.

Si on ne répond pas à la deuxième question, la première me semble insoluble.
On dit : pour avoir une agrégation, il faut enseigner. Mais enseigner quoi ?

L’urgence actuelle ne me paraît pas d’affirmer qu’il faut enseigner ou pas,
mais si un aller et retour entre réflexion et pratique est intéressant à construire à un niveau correspondant à un master universitaire, et si,oui, comment s’y prendre pour le construire.

"Nous aurions beaucoup à perdre de devoir enseigner de façon plus ou moins
magistrale, une discipline comme tout autre professeur."

L’affirmation que toutes les disciplines sont magistrales, sauf la documentation, m’a toujours laissée rêveuse.
Comment se passe un cours de langue ? Par théorie magistrale ? dans toutes les classes ?
Quelle est la proportion des exercices en mathématiques par rapport à l’exposé ?
Comment fait un enseignant de français pour entraîner ses élèves à l’analyse de texte ? Il parle sans leur proposer jamais d’exercices individuels ?

Par ailleurs, il ne me paraît pas juste d’opposer l’activité documentaire et les autres disciplines, au sens où l’une entraînerait à réfléchir et pas les autres. Beaucoup de travaux de la recherche documentaire relèvent tout simplement de ce que A. de Peretti appelle une "pédagogie du conditionnement". C’est-à-dire un apprentissage par la répétition. La diversité des pédagogies passe aussi à l’intérieur de la recherche documentaire.

Les documentalistes scolaires sont ce qu’ils sont. Ils n’ont pas à se situer en contre-dépendance de qui que ce soit, pas plus des enseignants disciplinaires que d’autres professions. Il m’a toujours semblé qu’on réfléchissait mieux en tentant de ressortir de soi ce que l’on est positivement. C’est une conviction personnelle en tous cas.

"Si les Sciences de l’information ne doivent pas être (pour moi) un sujet d’étude scolaire, elles devraient être cependant un objet d’étude personnel et un sujet de formation continue."

Je pense que c’est une excellente idée. Il est dommage que les propositions en ce sens faites dans les plans académiques de formation de telle ou telle académie aient dû être annulées, faute d’inscriptions.

"Il faudrait, aussi, bien définir les termes, et savoir de quoi l’on parle en parlant de "Sciences de l’information et de la documentation" et de leur enseignement. Le domaine est vaste. Tout n’intéresse pas l’enseignante documentaliste que je suis. "

Je conçois bien que tout n’intéresse pas un professeur documentaliste. Il faut aussi se demander avec quelle focale on regarde les questions. Je prends un exemple. Si je travaille sur les langages documentaires, je peux m’intéresser aux finesses de l’interrogation par Motbis. Je peux aussi tenter de comprendre pourquoi les méthodes statistiques d’analyse du langage naturel sont souvent plus utiles pour les moteurs de recherche que les méthodes d’analyse linguistique. Pour le plaisir de comprendre, peut-être. Mais aussi parce que j’acquiers ainsi une certaine compétence de prévision sur l’évolution des moteurs et une meilleure analyse des résultats.

Rien ni personne n’obligera un enseignant documentaliste à aborder la question des langages documentaires par la deuxième focale. Dans son, CDI, il n’a besoin au jour le jour que de la première approche. Il peut très bien ne jamais être "intéressé" par la deuxième.
C’est bien pourquoi j’ai posé la question : faut-il s’intéresser aux sciences de l’information ?" Et je vous remercie d’avoir repris ici ce terme. Personne ne pourra réfléchir à la place des documentalistes scolaires pour délimiter les frontières de ce qui leur semble intéressant.

Ce qui est intéressant peut être défini comme ce qui est utile au jour le jour. Ou ce qui accroît la capacité prédictive d’un professionnel. Ou ce qui lui permet de coopérer avec d’autres professions parallèles dans la plupart des rencontres nationales et internationales. Et alors cela implique une distance prise dans la réflexion avec le vécu quotidien, une capacité à comparer des situations proches mais non similaires, à lire des préoccupations communes dans des expériences différentes.


Nicole Boubée

La réponse à votre question est difficile. En toile de fond, on peut y voir la question d’un véritable programme de formation continue...

J’avoue ne pas savoir répondre à cette question dans le quart d’heure d’écriture de ce message. Mais, je peux simplement témoigner : que répondre -avec les seules techniques documentaires comme connaissances - à un élève de 6ème qui demande quelle est la plus grande bibliothèque du monde ? Comment prêter attention à l’ensemble des difficultés des élèves lors de lecture d’un document électronique ? Quel esprit critique peut-on développer sans connaître les modalités et enjeux de la circulation de l’information, comment mieux évaluer dans le fonctionnement des outils du web d’accès à l’information, les permanences et les ruptures vis à vis des logiciels et langages documentaires, quel regard critique porter sur ces "vieux" outils de la documentation et sur nos opérations d’indexation, que penser des discours médiatiques lors du travail sur la presse, que penser du developpement tout autant esthétique que commercial des cédéroms et pour finir, plus anecdotique mais certainement éclairant : que penser du forum des droits d’internet (institutionnel ou non ? quel est le but de ce site ?) ...

C’est comme tout , on peut faire sans (les sciences de l’information) mais c’est mieux avec !
Surtout pour notre métier d’enseignant-documentaliste qui semblerait pouvoir trouver de "intérêt" à l’ensemble des travaux de recherche en SIC !

Ma question est simple : Et vous, qu’en pensez-vous ? ;-)
Merci.

Réponse d’Odile Riondet

Réponses dans le texte

"La réponse à votre question est difficile. En toile de fond, on peut y voir la question d’un véritable programme de formation continue..."

C’est bien aussi mon avis. C’est aussi le problème du programme du Capes.

" que répondre -avec les seules techniques documentaires comme connaissances - à un élève de 6ème qui demande quelle est la plus grande bibliothèque du monde ? Comment prêter attention à l’ensemble des difficultés des élèves lors
de lecture d’un document électronique ? [...]
C’est comme tout , on peut faire sans (les sciences de l’information)
mais c’est mieux avec !
Ma question est simple : Et vous, qu’en pensez-vous ? ;-)"

Si je n’étais pas certaine qu’une grande focale est meilleure qu’une petite, je ferais un autre métier.

Je suis sûre que la documentation scolaire peut être une profession profondément intelligente, ouverte à l’innovation.

Je suis sûre qu’il est dangereux de rester le nez sur le guidon sans lever a tête de temps à autre pour voir un peu plus loin.

Je pense que les documentalistes manquent en général d’un socle commun de formation, en dehors de la culture professionnelle des techniques documentaires.

Il ne me paraît pas forcément nécessaire que tous s’y mettent immédiatement. On peut, après tout, ne pas aimer le type d’effort que cela représente.

Mais cet effort, même fait par une partie seulement de la profession, me semble indispensable pour son évolution.



Olivier Dumont

Bonjour,

Pouvez-vous préciser et développer ce vous voulez dire en écrivant : "Je pense que les documentalistes manquent en général d’un socle commun de formation"
Merci

Réponse d’Odile Riondet

Les documentalistes d’établissements scolaire viennent de cursus différents. Leurs formations de base sont toutes différentes.
La formation commune est la formation post-concours, qui est essentiellement professionnelle (techniques documentaires et pédagogie).
Depuis le nouveau Capes, avec l’épreuve de STD, on peut concevoir des formations courtes de quelques mois, en intégrant des éléments de "sciencesde l’information". ou de "sciences de l’information et de la communication",puisque les deux termes figurent dans le programme.

Mais ceci en sachant que

1. Ces formations sont si ramassées dans le temps que l’on ne peut guère qu’esquisser le paysage énorme de tout ce qui pourrait être travaillé. Je pense même que les sciences de la communication, tout comme les sciences de l’information, pourraient être convoquées pour participer à la réflexion des futurs professionnels. Par exemple, il y a dans les sciences de la
communication un ensemble d’écoles qui travaillent sur la communication face à face, dans sa dimension verbale comme non verbale. Qui peut dire que ces approchent ne regardent pas un enseignant ?

2. Les examinateurs du Capes n’ont eu de formation, en matière de sciences de l’information ou de sciences de l’information et de la communication, que celle qu’ils ont eu envie de se donner à eux-mêmes. Que faut-il que nous enseignions à nos étudiants pour éviter les déphasages ?

3. Aujourd’hui, il y a concurrence entre diverses manières de définir les sciences de l’information. Certains estimant que cela recouvre simplement les techniques documentaires. D’autres que cela consiste à maîtriser un vocabulaire bibliothéconomique et les questions afférentes. D’autres encore que c’est un domaine scientifique qui dépasse l’univers documentation-bibliothéconomie. Et qu’il ne peut être scientifique qu’àcette condition. Car une science ne correspond jamais à un métier. Il est
donc nécessaire qu’il y ait débat dans le milieu des ensiegnantsdocumentalistes sur cette question.

4. On sous-estime toujours ce que représente l’entraînement au travailintellectuel. On pense qu’il s’agit d’être ou ne pas être intelligent. Des’exposer ou pas à des discours théoriques. En réalité, les compétences intellectuelles s’apprennent avec autant d’exercices que les compétences manuelles. Je ne prendrai que l’exemple élémentaire de la note de lecture,
que nul ne peut savoir réaliser si on ne la lui a pas appris. Et qui ne se construit pas de la même manière suivant les disciplines, le niveau scolaire ou universitaire et ce que l’on veut en faire ultérieurement. A titre indicatif, je rappelle que l’on ne donne à un médecin ayant une thèse de médecine que l’équivalent d’une licence s’il veut se réorienter, car on estime qu’il y a des tas de compétences intellectuelles qu’il n’a pu acquérir, la moitié de ses études se passant (et heureusement pour nous) à
de la pratique.

5. On pourrait penser que les enseignants documentalistes n’ont pas besoin d’être liés par d’autres compétences que celles de la gestion au quotidien de l’information et des élèves. Mais il faut bien voir qu’un choix de discipline et un choix de niveau de
réflexion sont aussi le choix d’un cercle d’action. Chaque discipline a ses concepts, ses manières de penser, de voir le monde, ses compétences et ses méthodes. Et bien sûr les problèmes auxquels elle s’attache. C’est une manière de porter les problèmes concrets dans certaines circonstances, dans certains cercles, où l’on peut estimer nécessaire de les faire connaître.
Qui sait que des universitaires ont pu pour la première fois être invités au sommet mondial de la société de l’information de Genève, parce qu’ils sont société savante et ont pu être considérés comme habilités à parler sur le sujet ? Est-ce en enjeu mineur ? Est-ce un travail qui "n’intéresse pas" les documentalistes scolaires ?

A travers cette question des sciences de l’information, la question posée est celle du choix d’un cercle d’action de la profession.

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