L’an dernier, en atelier d’écriture en partenariat avec les professeurs de français, nous nous étions inspiré d’un fait divers du XIXème siècle et nous avions demandé aux élèves d’écrire un article de presse correspondant. C’est dans la continuité de ce projet que nous avons réfléchi à une nouvelle séquence : Pourquoi ne pas partir de faits relevant de la vie de grands auteurs de littérature (en rapport avec les programmes de français) pour en tirer un reportage de type investigation ?
Récit d’invention et écriture journalistique
L’entrée dans le projet ne s’est pas faite de manière traditionnelle : nous sommes entrés directement dans la séquence par une activité d’écriture.
Les élèves ont le choix entre trois sujets pour le moins racoleurs :
Emile Zola a été assassiné.
Maupassant a rencontré des extraterrestres et
Shakespeare n’a jamais existé.
La présentation des consignes fait l’objet d’une lecture en commun. J’insiste sur l’idée que les « faits » sont authentiques, mais qu’il s’agit bien d’écrire une fiction. Nous revenons sur les différentes parties constituant un article de presse (titre accrocheur, chapô, corps de l’article, conclusion et signature) C’est également l’opportunité d’aborder la notion d’angle dans l’écriture journalistique. Selon l’hypothèse que nous allons choisir de défendre ou d’exposer dans notre article, il faut travailler le point de vue et donner des éléments intéressants d’analyse.
L’enquête : une forme d’écriture.
Les élèves sont donc amenés à faire des recherches bibliographiques sur les auteurs afin de trouver d’autres éléments qui viendront orienter leurs angles ou confirmer leurs théories. Au cours de ces recherches, on leur demande de vérifier la fiabilité des sources. Certains petits malins ayant essayé de saisir directement le sujet dans le moteur de recherche sont dirigés vers des sites de la sphère complotiste.
D’autres choisissent d’utiliser Wikipédia et se rendent compte que certains faits de la biographie des auteurs peuvent corroborer leurs « théories », ce qui les conduit à s’interroger sur le biais de confirmation : Quand on souhaite défendre une théorie, il est facile d’orienter les interprétations d’après ses propres croyances. C’est également l’occasion de s’interroger sur l’utilité de regarder et d’identifier les sources d’information.
“To be fake or not to be fake »
Lors de la première séance de ce projet, je me suis fait dépasser par mes propres élèves. J’entends un de mes élèves expliquer (en anglais) à un de ses camarades le but de l’exercice : « Dude, it’s fake news !!! » . La séance se poursuit et au bout d’un moment, je commence à entendre « Ah Mais Madame, Trump, il pourrait dire que Zola a été assassiné » (gloussements) « Madame en fait, c’est des « conspiracy théories » » (oui en franglais, toujours).
Il semble donc que le passage par l’écriture de fiction ait atteint son but. Je ne souhaite pas particulièrement aborder les théories du complot comme objet d’étude, mais il me semble que cette activité a permis de discuter de certains sujets sensibles sans les aborder de front. Nous avions l’an dernier proposé une séance sur la validation des informations dans le cadre de la Semaine de la Presse mais le contexte étant différent de ce qu’il est aujourd’hui, cela n’avait pas du tout eu le même impact sur les élèves.
Apprendre à apprendre : un retour critique sur l’écriture
A partir de cette activité, comment en venir à discuter des fake news ? En m’appuyant sur les intuitions de certains élèves, j’ai choisi lors de la troisième séance de revenir sur le processus d’écriture. Je leur avais demandé d’être des journalistes d’investigation, nous allons donc à présent convoquer le comité de rédaction.
Une petite mise en situation permet de situer les enjeux : en effet, notre magazine La Gazette des Mystères est assigné en justice pour diffamation par les héritiers des auteurs. Les journalistes responsables des articles doivent rédiger un argumentaire en s’excusant ou en justifiant leur travail d’investigation et s’interroger sur le fait qu’ils ont ou non respecté la déontologie du métier de journaliste.
On voit que le fait d’aborder le problème par cet angle permet de mettre en place un certain nombre de définitions et d’ouvrir une discussion très intéressante : Qu’est-ce que la diffamation ? Qu’est-ce que la déontologie des journalistes ? Pensez-vous que vous avez réellement fait œuvre de journalisme en rédigeant cet article ?
Les élèves ont 20 min pour rédiger leurs argumentaires et ensuite, nous en discutons. Les résultats sont surprenants. Un petit sondage à main levée montre que la moitié des élèves environ (sur les trois classes) choisissent de maintenir leurs positions.
Il nous semble également que ces données doivent être prises avec précaution, il s’agit juste d’un jeu et l’adolescent, n’aimant pas forcement se remettre en question ou comprendre qu’il s’est fait prendre au piège, campe sur ses positions.
Ce qui est beaucoup plus intéressant, ce sont les justifications de leurs attitudes. Les « journalistes » maintenant leurs positions en appellent à la liberté d’expression, au droit de savoir, à la manipulation des médias en place « On a le droit de vous dire la vérité » et au phénomène des "trolls" et "haters" On voit donc que l’existence d’un sentiment de défiance par rapport aux médias est bien présent dans l’esprit des élèves de 4èmes.
Afin de conclure le projet, nous projetons aux élèves une capsule vidéo reprenant les définitions des faces news et leur fabrique, ainsi que des conseils pour exercer son esprit critique. Il me semble que cette approche a été beaucoup plus intuitive pour les élèves, car ils se sont mis dans la position du journaliste. Si j’avais commencé par une approche plus directive en posant les termes de face news et en montrant la capsule, il me semble que cela aurait orienté la réflexion et que je n’aurais pas pu assister aux mêmes échanges. Certains élèves ont également beaucoup aimé ce projet et m’ont demandé si on pouvait en reparler lors de notre prochaine séance. Il me semble qu’une dernière activité visant par exemple à donner des conseils à un jeune journaliste embauché à La Gazette des Mystères pourrait conclure efficacement la séquence.
Je suis souvent prise entre le marteau et l’enclume concernant la désinformation, car il ne s’agit pas de faire intervenir le politique ou les croyances personnelles au risque de froisser certaines sensibilités. Dans le cadre de ce projet, le passage par le fait divers et les références aux grands auteurs ont permis d’appréhender et de comprendre réellement le phénomène des fake news en respectant la neutralité nécessaire sur ce type de sujet.
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