Pouvez-vous nous décrire l’opération "Renvoyé spécial" et comment vous en avez entendu parler ?
"Renvoyé Spécial" c’est la rencontre entre un journaliste exilé et des lycéens. J’en ai entendu parler il y a deux ans lors d’une journée d’information destinée aux documentalistes de mon académie.
La responsable du Clemi de Toulouse nous avait présenté l’opération et j’ai pensé que ce serait vraiment intéressant d’en faire bénéficier nos élèves. Il s’agit d’une rencontre entre un journaliste réfugié politique en France et des lycéens. Cette rencontre est financée par Presstalis. Elle est proposée et organisée conjointement par la MDJ(Maison Des Journalistes) et le CLEMI(Centre de Liaison de l’Enseignement et des Médias de l’Information).
L’objectif est de sensibiliser les élèves à la liberté d’expression, à la censure, au fonctionnement de la presse dans un autre pays.
C’était votre première expérience de ce type ? Aviez-vous des appréhensions ?
Oui, c’était la première fois que je participais à Renvoyé Spécial et que j’organisais une rencontre avec un journaliste exilé.
Si j’ai pu avoir des appréhensions, ce sont celles que j’ai à chaque fois que je fais venir quelqu’un que je ne connais pas (auteur, caricaturiste, journaliste, autre professionnel...). Avec l’équipe des enseignants impliqués, nous essayons de préparer au mieux la rencontre mais nous ne savons jamais si la "sauce va prendre"... Heureusement, j’ai toujours eu de bonnes surprises. Parmi nos élèves, certains n’ont pas trop de retenue, d’autres manquent de confiance pour s’exprimer et poser des questions, mais globalement dans l’ensemble, ils participent toujours bien.
J’avais peut-être aussi un peu peur que les élèves posent des questions un peu trop sensibles par rapport à l’expérience du journaliste. Tous les journalistes accueillis par la MDJ sont en danger dans leur pays, certains ont vécu des choses assez traumatisantes et je ne savais pas dans quelles proportions cet aspect allait être abordé et par le journaliste et par les élèves. Mais je suppose que la MDJ "sélectionne" les journalistes qui sont volontaires, motivés et surtout prêts à partager leur expérience.
Comment avez vous préparé cette rencontre ? Avez-vous su le nom du journaliste longtemps à l’avance ?
La nationalité et le nom du journaliste sont connus en général un mois avant la rencontre. Dans notre cas, nous l’avons su plutôt et c’était bien pratique. En effet, pour la préparation, il a fallu tenir compte du fait que certains de nos élèves devaient partir en stage...
La préparation s’est faite en plusieurs temps et essentiellement au CDI. Lorsque j’ai su en octobre, que notre demande avait reçu une réponse favorable, j’ai contacté les professeurs de Lettres-Histoire intéressés. Les élèves étaient motivés, nous avons décidés de préparer cette rencontre un mois avant et sur trois séances.
Lors de la première séance, les élèves ont été sensibilisés à la liberté de la presse dans le monde, à la censure, à l’action de RSF (Reporters Sans Frontières), à l’action de la MDJ mais aussi aux syndromes post traumatiques que peuvent subir les personnes ayant vécu des événements particulièrement traumatisants.
Cette séance s’est déroulée sur deux heures. Les élèves ont répondu à un questionnaire réalisé à partir d’un jog the web. Les questions avaient trait aux missions de RSF, à celles de la MDJ, au pouvoir des journalistes, aux pays les plus touchés par la censure, aux risques du métier... Un débat a suivi ce jog...
Puis, nous avons visionné deux extraits vidéo dont un sur le photojournalisme. Les témoignages de reporters soulignaient, entre autres, le rôle et l’importance de certaines photographies. Parmi elles, il y en a qui ont contribué à de réelles prises de conscience : on y voit, par ex., une photo de Marie Dorigny avec un enfant de quatre ou cinq ans en train de coudre un ballon de football d’une grande marque... Cette vidéo a permis d’aider nos élèves à comprendre pourquoi des photojournalistes et reporters témoignent de ce qu’ils savent, de ce qu’ils ont vu, au péril de leur vie.
La deuxième séance (1h) a permis aux élèves de découvrir brièvement le pays du journaliste, la Guinée Conakry, sa population, sa géographie, son histoire en bref, son gouvernement... toujours grâce à un jog the web sur ce thème.
Lors de la dernière séance (1h), les élèves ont préparé un questionnaire en remplissant un pad.
Le pad, questionnaire en ligne unique pour le groupe avec une participation synchrone des élèves, permet à chacun de visualiser les questions des autres au moment de leur rédaction. Cela permet d’éviter les doublons mais surtout de rebondir sur les questions... Les questions étaient très diverses et très riches au niveau du contenu. Les idées foisonnent et en vingt minutes, chaque élève peut repartir avec un questionnaire complet...
Et le jour J ?
La rencontre était prévue pour deux petites classes, soit une trentaine d’élèves accompagnés par leur deux enseignantes de Lettres-Histoire respectives.
Mr D., le journaliste, est arrivé au CDI et après de brèves présentations a commencé à faire un exposé sur son pays dont l’histoire des medias... Cela était très important pour comprendre les événements qui se sont déroulés par la suite. Nous aurions pu craindre que les élèves "décrochent" dans la mesure où ce pays, la Guinée et ce qui s’y passe, sont loin de leurs préoccupations habituelles, mais, au contraire, ils ont été très attentifs... Puis, Mr D. a évoqué le problème de la censure et de la liberté d’expression dans un pays dont le gouvernement est très méfiant. En outre, il arrive que des propos retirés de leur contexte soient mal interprétés. C’est ce qui est arrivé à notre journaliste qui a été brusquement arrêté. Il a pu se sortir d’affaire en partant de son pays de façon clandestine. Après plusieurs mois, il est enfin arrivé en France en 2011. Il a raconté son histoire en détail, en évoquant sa famille et ses amis ; Les élèves y ont été très sensibles…
Il est arrivé à Paris et, au bout de quelques mois, ayant appris l’existence de la Maison des Journalistes, Mr D. s’est inscrit sur liste d’attente pour intégrer cette structure en 2012. Il a pu alors bénéficier d’un vrai suivi, d’aides diverses et d’une chambre individuelle !
Les élèves ont été très sensibles à cette histoire. Ils ont posé de nombreuses questions et voulaient savoir si Mr D. avait toujours l’intention de continuer d’exercer son métier malgré les risques qu’il comporte. Ils ont été très sensibles au fait que Mr D. n’a pas revu les membres de sa famille depuis presque deux ans et qu’il a toujours des craintes pour eux. Ils étaient aussi curieux de connaître les impressions du journaliste lorsqu’il est arrivé en France…
La rencontre a duré près d’une heure et demie.
Des journalistes de la presse locale étaient présents. Ils ont pu interviewer Mr D. qui leur a demandé de rédiger uniquement des articles dans la presse écrite en respectant son anonymat pour préserver ses proches.
Après la rencontre…
Juste après la rencontre, certains élèves avaient « atelier d’écriture » dans le cadre de l’accompagnement personnalisé. La CPE qui anime cet atelier a rebondit sur notre action ; Observant les élèves évoquer la rencontre et sentant qu’ils y avaient été très sensibles, elle leur a proposé d’écrire des lettres illustrées. Les élèves ont ainsi exprimé individuellement leurs sentiments, leurs émotions par rapport à l’histoire personnelle du journaliste et par rapport au courage dont il fait preuve tous les jours. Ils l’ont également remercié pour son intervention.
Ce fut l’occasion d’apprendre à avoir un autre regard sur les medias, de comprendre aussi pourquoi certains journalistes risquent leur vie pour une information. Nos élèves ont réalisé que la liberté d’expression n’est pas quelque chose qui va de soi. A travers l’histoire bouleversante de Mr D., les élèves ont pu s’ouvrir à un monde différent du leur et à une expérience humaine riche.
Cette rencontre a été très positive et très enrichissante. Les contacts professionnels et agréables avec Mme Shirin Wertime, chargée de mission à la Maison des Journalistes, toujours très disponible, ainsi qu’avec le Clemi national et régional ont grandement facilité l’organisation de cette rencontre que nous souhaitons renouveler très prochainement !
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