Alain Gurly
Je viens de lire le texte d’André Tricot qui m’a un peu stupéfait. Je n’avais jamais pensé à ça.
Je n’aurais jamais pensé que la prise de conscience du besoin de s’informer soit une compétence documentaire. En effet, la prise de conscience d’un besoin - fût-il intellectuel - est-ce une compétence ? Pourquoi pas après tout.
Dans le domaine matériel, lorsque je prends conscience que j’ai faim je me mets à la recherche d’un bifteck, ce qui requiert des compétences et des connaissances depuis longtemps naturellement acquises.
Mais, pour un élève, si le prof me demande de prendre connaisance de mon besoin d’information dans le domaine des civilisations magdaléniennes, par exemple, il faut déjà que je comprenne ce qu’il dit, donc que j’en ai des connaissances ! Et ça, ce n’est pas un acquis.
Ceci dit ce texte me paraît intéressant dans la mesure où il montre que s’informer est une activité tellement complexe qu’on ne sait même pas comment en provoquer le besoin lorsque celui ci n’existe pas naturellement chez les élèves. Plus simplement, comment intéresser les élèves...? Vaste programme
Ainsi pour moi, comme je l’ai dit et écrit plusieurs fois, le boulot du Prof Doc est tout à la fois :
de donner les connaissances basiques capable de rendre ce besoin intelligible.
de donner les compétences techniques nécessaires pour mener à bien sa recherche.
de permettre, tout en cherchant, d’accroître la connaissance du sujet. Et ce tout ensemble.... et en équipe transdisciplinaire. C’est ce que j’appelle essayer de faire prendre la mayonnaise.... et donc provoquer (si possible) la prise de conscience du besoin de s’informer, entre autres.
Et il est vrai que, sans envie, (sans conscience de ce besoin ?) il est difficile d’exercer une activité quelconque !
André Tricot
Bonjour, votre réaction me permet de préciser un peu l’intention de mon petit texte.
Tout d’abord le contexte : je suis persuadé que les enseignants - documentalistes vivent une période très excitante intellectuellement : ils viennent de vivre l’une des plus importantes révolutions de l’histoire du document (l’arrivée des documents électroniques) ; ils vivent l’émergence d’une didactique de leur discipline, qui semble concerner non pas la France en particulier, mais disons les pays riches-occidentaux. Cette émergence d’une didactique de la documentation s’accompagne naturellement d’une interrogation sur la nature des "compétences à enseigner" : les compétences documentaires. Ce texte part donc d’un simple constat : d’une part, la notion de prise de conscience du besoin d’information est donnée comme faisant partie des compétences documentaires ou informationnelles dans des définitions générales comme celle de l’ALA ; d’autre part, dès que l’on rentre un peu le détail des référentiels de compétences documentaires, on ne lit rien de très précis sur cette compétence. D’où le titre mon texte : une compétence fantôme ? (Les fantômes étant je crois des entités dont on parlait volontiers, mais que l’on avait de la peine à voir quand on voulait s’en approcher). Le reste de mon texte part de l’idée suivante : et si c’était bien une compétence, qu’est ce que serait ? Ma conclusion est que ce n’est sans doute pas une compétence spécifiquement documentaire, mais certainement une compétence à développer avec les élèves, du collège à l’université. Je propose trois pistes, dont je confesse qu’elle ne sont pas originales. Parmi les trois pistes, je tiens beaucoup à celle qui consiste à travailler sur le fait que le développement de la connaissance peut s’accompagner du développement non pas de la certitude mais plutôt de l’incertitude.
Je suis d’accord avec votre idée des trois axes de travail.
Mais je redis ce qui est écrit au début de mon texte : je ne suis pas enseignant documentaliste, je parle de l’extérieur de votre métier, sans autre légitimité que celle de quelqu’un qui consacre son activité à l’étude de l’activité des élèves en situation d’apprentissage et de recherche d’information avec des documents.
Alain Gurly
Je suis assez d’accord avec ça !
Je ne sais qu’une chose c’est que je ne sais rien a dit je crois Descartes, à moins que ça ne soit Pascal. Mais je crois que ce développement là ne peut venir que si justement on a bien appris, et..... avec l’âge ! Il n’en reste pas moins que c’est un vrai moteur du savoir apprendre et s’informer.
Sylvie Lafon
Euh... grand tonton Alain, si ma mémoire ne me fait pas défaut. Il me semble qu’il s’agit de Socrate qui affirma à peu près ceci "qu’il ne savait qu’une chose : qu’il ne savait rien". Tout l’art de la philosophie est bien là celui de pratiquer l’incertitude...
Martine Taoual
C’est bien pourquoi il nous faut aller au devant des besoins des élèves, car souvent ils ne savent pas qu’ils ont besoin d’aide. (Les personnes les plus "mal ds leur peau" sont-elles celles qui vont le plus voir un psy ? On attend généralt d’aller très très mal, non ? ;-)
On les voit ainsi faire leurs devoirs ; on leur demande s’ils ont besoin d’aide, mais si l’on ne va pas vérifier qu’ils font ce qu’il faut, ils pensent souvent que le fait d’avoir pu écrire quelque chose sur leurs copies est la réponse que le professeur attend, ou du moins une réponse suffisante... D’où leur déception, voire leur colère et à tout à coup leur démotivation, quand ils découvrent la note que le professeur a attribuée à leur travail. Pour eux, le travail a été fait : ils y ont passé du temps ; leur copie en porte la trace, et pourtant le prof n’est pas content ! C’est pourquoi aussi il est important de commencer toute recherche par un brain-storming, analyser le sujet de façon à identifier ce que l’on sait déjà (en plus, c’est rassurant de voir que l’on n’est pas complètement ignare) par rapport aux informations qui vont nous manquer.
Et peut-être ainsi, comme tu le dis Alain, remplacer le besoin par l’envie (c’est pas du Balavoine ?) ...et mieux se sentir "en vie" ? ;-)
Important aussi de travailler sur savoir anticiper la réponse : être capable d’en avoir déjà une représentation mentale de façon à pouvoir comparer au final la réponse que l’on donne à celle qui est attendue par la question du prof, et vérifier ainsi sa pertinence.
C’est pourtant le réflexe le plus courant : se mettre d’emblée à écrire (combien d’élèves font spontanément un brouillon ?) ou à chercher sans vraiment savoir ce que l’on veut trouver, histoire que le prof ne ns embête plus avec des DM non rendus... et ils voudraient sauter sur les ordis et l’imprimante, la porte du CDI à peine franchie. (D’où la nécessité de prévoir ds l’aménagement des CDI un système de freinage au point, dès l’entrée ;-)
Et pour conclure, c’est peut-être en quoi, au fil du temps, on s’est créé de faux besoins (alors la société de consommation vint...) n’ayant pas ressenti ni identifié les vrais ? L’obésité, la drogue, la violence et leurs corollaires... ne seraient-ils pas des réponses décalées à des besoins mal repérés, mal compris ?
Annick Plénacoste
Une réflexion de Martine, me fait réagir :
"Pour eux, le travail a été fait : ils y ont passé du temps leur copie en porte la trace, et pourtant le prof n’est pas content !"
Exact !
Ne pas oublier "d’éduquer" aussi les enseignants ! Je leur demande toujours qu’est-ce qu’ils comptent évaluer : la recherche ou le résultat obtenu ?
Dans la plupart des cas, ils n’ont même pas réfléchi à la question. Si on leur fait remarquer qu’un élève peut très bien ne pas travailler et se contenter de recopier les réponses trouvées par les autres et avoir une très bonne note... et qu’un autre peut très bien avoir consciencieusement cherché et n’avoir rien trouvé et donc, dans leur logique, avoir une très mauvaise note, ils semblent tout étonné de cette évidence.
En général, ils ne vont pas chercher à réviser leur système d’évaluation, ou réfléchir à l’évaluation de la recherche, au mieux, ils me suggèrent de m’en occuper...
Olivier Dumon
Bonjour,
J’ai trouvé fort intéressant le texte d’André Tricot sur nos mécanismes intellectuels face au questionnement, au doute, à l’incertitude et à leur étroite relation avec le savoir et la connaissance. Pourrait-on résumer tout ça en disant que moins on en sait, plus on est dogmatique ?
Et on connait la souplesse d’esprit des défenseurs des dogmes.... Ceci souligne encore, il me semble, le nécessaire pragmatisme du doc face aux élèves qui sont, individuellement, une terra incognita que les dogmes ne serviraient qu’à détruire alors que le doute, le questionnement (interne-externe) et donc l’incertitude peuvent souvent avoir des conséquences positives. Par contre, au sujet du concept de besoin d’information, est-ce qu’Alain Tricot pourrait développer la partie en liaison avec les méta-connaissances : "La recherche en psychologie montre que pour prendre conscience que je manque de connaissance, il me faut des connaissances, notamment des méta-connaissances : des connaissances sur le thème, des compétences documentaires, des savoir-faire, savoir élaborer un questionnement".
La recherche en psychologie, évoquée ci-dessus, apporte-t-elle des pistes, des bouts de réponses sur les mécanismes d’acquisition de ces méta-connaissances qui font si souvent défaut à nos élèves ?
André Tricot
Bonjour,
Votre question est très difficile, elle concerne un domaine entier de la recherche en psychologie, dont je ne suis pas spécialiste, et particulièrement important en psychologie des apprentissages. J’ai souvent abordé cette fascinante question avec des spécialistes du domaine, et voilà ce que j’ai compris. En gros,
il y a deux écoles : ceux qui pensent que les méta-connaissances sont dépendantes d’un domaine et ceux qui pensent qu’elles peuvent être "transversales", ou en tous cas, exportées d’un domaine vers un autre. Comme il y a semble t il des gens très sérieux des deux côtés, je peux faire l’hypothèse que la "vérité" (sic) est quelque part entre les deux. Donc, les méta-connaissances sont sans doute très dépendantes d’un domaine (par exemple : "j’ai développé des métaconnaissances sur le Français, mais peu sur les Maths") et il est sans doute possible de développer des métaconnaissances transversales (par exemple : le questionnement de type QQQOC).
les spécialistes de la question ne sont pas toujours d’accord sur ce qu’est une métaconnaissance : par exemple, la règle d’accord du participe passé peut être légitimement considérée comme une métaconnaissance sur la langue Française ; mais on peut tout aussi légitimement considérer qu’il s’agit d’une simple règle.
il me semble enfin avoir compris que les métaconnaissances se développaient "à partir d’un certain âge", et qu’il ne fallait pas trop presser les élèves sur des métaconnaissances de haut niveau avant la fin de l’école élémentaire.
Il existe de très bons spécialistes de la question en France, comme Jean Emile Gombert, Claudette Mariné, Nathalie Huet, Michel Fayol, etc. Dans le domaine documentaire, Jean-François Rouet et Elsa Eme ont réalisé des travaux passionnants sur les métaconnaissances.
Plus concrètement, je crois qu’on peut essayer de faire en sorte que les élèves : comprennent et agissent avec ces métaconnaissances, régulièrement, dans des contextes nombreux, dans des contextes variés, où ces métaconnaissances sont utiles, en aidant les élèves à évaluer les résultats de leur activité, voire en les aidant à réaliser l’activité quand ils éprouvent des difficultés importantes.
Nadine Lanneau
Des réflexions qui me viennent : on ne part jamais de rien comme pour tout, quand on écrit, quand on peint, etc. Donc on ne prend conscience d’un besoin d’information que parce que l’on a déjà des connaissances sur le sujet (voir les enquêtes sur les élèves faibles avec questions moins pertinentes que les élèves forts). On part de ce que l’on est, de ce que l’on sait. Mais c’est toujours l’histoire de la poule et de l’oeuf car - avoir des connaissances -> prise de conscience d’un besoin d’information mais prise de conscience d’un besoin d’information -> avoir ensuite des connaissances -> nouvelle prise de conscience d’un besoin d’information etc.
C’est une spirale ou un cercle comme on voudra. Qui est premier ? Car comment a-t-on eu les connaissances à l’origine ? Ou bien est-ce la prise de conscience du manque qui est premier ? Et à ce moment-là, le manque a engendré une prise de conscience qui a fait rechercher des informations
minimales qui ont elles-mêmes contribué à créer de la connaissance qui a été à l’origine de la nouvelle prise de conscience d’un manque, etc, spirale à la Edgar Morin. Mais s’il y a un manque originel à combler, j’aurais tendance à faire intervenir la psychanalyse et le discours lacanien.
Ce qui me semble important, aussi, c’est l’aspect psychologique qui fait que nous réagissons différemment dans cette prise de conscience d’un besoin d’information : l’exemple des cancéreux. Ce sont les plus déprimés, les plus anxieux, les plus en souffrance psychologique qui sont le plus en demande d’information et qui vont rechercher alors que les autres agissent. Ensuite, leur besoin va diminuer. Il y a en plus de l’aspect cognitif un élément dont il faut tenir compte avec les élèves, c’est l’aspect affectif si je me base sur cet exemple.
Cela ne signifie pas que l’on doive rechercher la dépression, la souffrance psychologique chez les élèves pour les sentir plus en mesure de combler leur manque d’information mais se dire que plus les élèves seront impliqués affectivement, plus le besoin d’un manque d’information sur un problème qui va les interpeller fortement grandira et donc qu’ils comprendront qu’il y a un manque chez eux et qu’ils accepteront de le combler. Difficile d’impliquer affectivement les élèves mais je pense qu’avec une pédagogie du projet, on est sur la bonne voie, car là, les élèves ont toutes les chances de s’investir corporellement (on bouge, on n’est pas scotché à sa table !) affectivement (on a choisi soi-même son sujet, on en fait son problème et celui de son équipe car on travaille en groupe) et que l’on met en jeu toutes les facettes de sa personnalité.
Ainsi il y aura plus de chance pour qu’ils ne se précipitent pas tête baissée dans l’action, comme on le voit trop souvent : on veut aller immédiatement sur la machine ! Internet ! Ils accepteront plus facilement de rechercher la connaissance qui leur manque à travers les techniques de brainstorming proposées et même mieux, seront en mesure de se poser eux-mêmes des questions, et rechercher une problématique deviendra alors presque machinal ;-o))
André Tricot
Bonjour,
Je suis tout à fait d’accord avec votre idée de spirale. Vous abordez les aspects non-cognitifs dans votre réaction, ce qui me semble très important. Permettez moi de développer un exemple qui répondra aussi à la réaction de Martine Taoual.
Vous vous souvenez sans doute de la canicule de l’été 2003 et de ses conséquences affreuses. Comment avez-vous réagi à ce moment là ? Je me souviens que j’ai d’abord réagi de façon très affective et très bête : "ce n’est pas vrai, ce n’est pas possible, on va se rendre compte que tout ça est une erreur, les journalistes exagèrent, etc". Et le pire est à venir : je coupais le journal en plein milieu, car je ne voulais pas entendre ça. Bref : la dénégation. Et puis peu à peu, il faut réouvrir les oreilles. Et là, c’est encore pire : il y a non seulement les chiffres, atroces, mais il y a les explications. Et quelles explications !!! C’est la faute à la société qui ne s’occupe plus de ses vieux. C’est la faute aux médecins qui n’ont pas vu venir. Aux personnels soignants qui prennent des vacances. Puis, le discours s’élabore : par exemple Claude Allègre : (en substance) c’est affreux certes, mais de toutes façons, ce sont des personnes qui seraient mortes dans les mois qui viennent... Tous les ministres en exercices ou même passés, tous les journalistes avaient une explication, voire un coupable.
Voilà ce qui était difficile de faire dans cette situation : prendre conscience que nous manquions de connaissances pour comprendre puis pour expliquer ce qui s’était passé, comment on aurait pu le prévenir, qui ça a touché exactement.
Le ministre de la santé Mattéi se retrouvait dans une situation terrible : il ne savait pas, mais, même s’il avait conscience de ne pas savoir, il ne pouvait pas dire qu’il ne savait rien ! Dans notre société d’abondance, alors que l’on a renoncé à l’explication par la volonté divine, on croule sous l’abondance d’explications ! Un homme (ou une femme) de pouvoir qui dirait "je ne sais pas expliquer ce phénomène qui pourtant relève de ma responsabilité" ne serait pas pris au sérieux.
Savez-vous quand ont été connus les résultats de l’enquête épidémiologique sur l’éventuelle "compensation" de la surmortalité pour une sous mortalité dans les mois qui suivent : en juin 2004, et publiés par le Journal International de Médecine le 13 octobre 2004. Pourquoi ? Parce que la sous-mortalité n’a pas été observée dans les mois qui ont suivi, mais au cours de l’hiver et du printemps 2004.
Ce petit exemple pour insister sur le fait que prendre conscience que l’on manque de connaissances est très difficile, notamment quand on manque effectivement de connaissances. Les aspects affectifs, émotionnels, s’ils nous aident parfois à déclencher cette prise de conscience, parfois au contraire, nous en empêche.
Bruno Devauchelle
Le texte d’André Tricot m’amène à quelques remarques :
La notion de besoin, pourtant bien connue en psychologie, n’est pas éclairée, dans le texte, en préalable à la notion de besoin d’information. En effet il me semble que de nombreux travaux de psychologie (et dans d’autres disciplines) ont été réalisés sur la notion de besoin et il me semble nécessaire de les utiliser pour éclairer les hypothèses qu’il nous soumet
La relation des individus à l’information comporte un aspect qui, me semble-t-il, n’est pas négligeable : l’omniprésence de l’information non sollicitée dans notre environnement quotidien. Autrement dit en amont du besoin, il y a la disponibilité de plus en plus importante d’informations non sollicitées qui interfèrent avec la relation (et donc le besoin) à l’information. Ce point est indirectement évoqué dans ce texte mais demande à être développé dans le contexte de ce questionnement sur le besoin d’information.
La notion de besoin d’information, si l’on prend en compte ces deux éléments pose des questions à l’enseignant-documentaliste et aussi les autres : quel besoin d’apprendre chez les jeunes d’une part ? quel est le contexte d’accès à l’information auquel sont confrontés les jeunes et quel en est l’effet sur leur relation à l’information ?
André Tricot
Bonjour,
Sur la notion de besoin, je préfère renvoyer au début de l’ouvrage de Le Coadic sur la notion de besoin d’information. Ce dernier fait (très bien) le travail que Bruno Devauchelle aurait voulu que je fasse (avec raison). Je pense que l’on peut simplement dire que les besoins d’un individu humain concernent un nombre important de registres (cf. les besoins à la Maslow). Un besoin dans le registre cognitif correspond à un manque de connaissance. Deux solutions : soit ce besoin devient un besoin d’information ; soit il devient un but à atteindre dans une démarche de résolution de problème par
actions et tâtonnements sur la situation (et tout un tas de situations où on fait un peu des deux).
Sur l’excès d’informations, je suis d’accord mais c’est un problème un peu trop complexe pour moi, je n’ai pas travaillé spécifiquement dessus. Je crois que nous pourrions commencer pas distinguer deux acceptions du mot information : une connaissance nouvelle pour moi, une donnée présente dans
mon environnement. Il se trouve qu’effectivement parfois, je traite des données extérieures alors que je n’en ai pas besoin et que ces traitements contribuent à faire émerger ou transformer mon besoin d’information. Parfois, ces données, que l’on me présente comme des informations (par exemple, on m’informe sur les métiers alors que je suis élève en 3ème et on me dit que ça va m’intéresser) restent extérieures à moi, car je ne parviens pas à élaborer un besoin à ce propos. Savez vous que quand on interroge les élèves quelques mois après cette fameuse "réunion d’information" certains ne se souviennent même plus qu’elle a eu lieu (alors que pour d’autres, elle aura eu une importance décisive). Les échanges de ces derniers jours sur cette liste montraient l’intérêt des techniques (comme le photolangage) qui amènent simplement l’élève à s’interroger.
Sur le dernier point, je pense que effectivement l’accès aux données, l’accès aux documents en particulier, et en train de modifier profondément notre relation aux apprentissages. Prenez le cas d’un technicien de maintenance en informatique : il ne peut pas tout apprendre, il y en a trop, ça évolue trop vite. Ce qui fait un bon technicien de maintenance en informatique, c’est sans doute des connaissances et des méthodes de diagnostic, mais aussi sa capacité à accéder à la bonne information technique au moment où il en a besoin. Je donne souvent un exemple idiot : prenez le cas des numéros de téléphone : vous en avez appris certains par coeur ; d’autres sont sur votre calepin ou dans la mémoire de votre téléphone portable ; d’autres sont simplement notés sur un post-it, car c’est le numéro d’une personne que vous devez rappeler bientôt, mais probablement plus après ça. Bref, vous avez le choix : apprendre (stocker dans votre mémoire humaine), stocker dans une mémoire externe (un document) pour avoir un accès définitif ou presque, stocker dans une mémoire externe de façon temporaire. Mon hypothèse (bien difficile à étudier pour l’instant) c’est que nous faisons la plupart du temps un choix rationnel, adapté, entre les trois solutions. Faisons le pari que dans quelques dizaines d’années, le copié-collé, aujourd’hui vilipendé, sera considéré comme aussi banal que l’utilisation du stylo-bille aujourd’hui.
Alain Gurly
"Quel est le contexte d’accès à l’information auquel sont confrontés les jeunes et quel en est l’effet sur leur relation à l’information ?" (Bruno Devauchelle)
Il y a au bas mot, au moins trois aspects du dit contexte : (une sucette en polystyrène expansé sera offerte par la liste à ceux qui en trouveront d’autres, et envoyée en colissimo pour qu’elle ne fonde pas durant le transport)
1) Le contexte incitatif : celui qui excite le consommateur à consommer. Et là, tous les moyens sont bons, depuis l’affiche jusqu’aux messages spams, en passant par le tee shirt du footballeur ou du tennisman, entre beaucoup d’autres, la coiffure de la vedette télévisée ou du zoulou des zoo_lofts. Et cela c’est de l’information de type becquée, celle qui comme la manne dans le désert, tombe sur le consommateur qui, le pauvre, n’a même pas l’excuse lui, d’être affamé. Cela ne demande aucun préalable et ne peut apporter vraiment qu’au second degré, un esprit critique.
2) Le contexte diffus : celui qui informe celui qui veut bien s’informer a minima, en achetant le journal, en regardant les infos à la télé.... à la rigueur en lisant la presse virtuelle. Ici il y a un début de semblant de choix.... C’est le contexte culturel minimal.
3) Le contexte culturel lui même : c’est celui là à mon avis dont il semble le plus urgent de faire naitre le besoin !! Car s’il est normal et évident de s’intéresser à l’actualité (cas n°2), s’il n’est pas normal mais hélas usuel de subir le cas N°1, il l’est beaucoup moins de s’intéresser sans acquis préalables, ou au moins simultanés, à des questions abstraites où qui concernent une actualité historique un peu dépassée, au moins chronologiquement. Par exemple les déportations des saxons par Charlemagne ne font plus la une des rédactions. Mais justement, la pédagogie n’est-ce pas l’art de relier l’actualité au passé, les inventions récentes aux inventions anciennes ?? Et la recherche documentaire globale et intelligente, c’est tout cela à la fois ! La technologie en sus, évidemment.
André Tricot
Alain Gurly a écrit, à propos du besoin d’information et du "contexte d’accès à l’information auquel sont confrontés les jeunes", en réponse à un message de Bruno Devauchelle :
"1) Le contexte incitatif : celui qui excite le consommateur à consommer. Et là, tous les moyens sont bons, depuis l’affiche jusqu’aux messages spams, en passant par le tee shirt du footballeur ou du tennisman, entre beaucoup d’autres, la coiffure de la vedette télévisée ou du zoulou des zoo_lofts. Et cela c’est de l’information de type becquée, celle qui comme la manne dans le désert, tombe sur le consommateur qui, le pauvre, n’a même pas l’excuse lui, d’être affamé
(...)"
Je pense que cette catégorie de données de type publicitaires et commerciales, qui nous entourent et qui ne sont pas nécessairement des informations, sont typiquement des données qui ne s’adressent que de façon indirecte à un besoin. Le grand tournant des années 1970 en marketing et publicité a été celui où l’on a commencé à s’adresser indirectement (mais assez systématiquement) au besoin d’identité et d’appartenance sociale. Est-ce un besoin qui ne se comble jamais ? Peut-être. En tous cas, je ne pense pas que l’on puisse à l’infini envoyer des données qui ne correspondent à aucun besoin. Les récepteurs se lassent et ça produit un effet contraire. Donc si ces messages continuent d’exister c’est peut-être parce qu’ils continuent de correspondre à un besoin (selon mon hypothèse : besoin d’identité et d’appartenance sociale), en tous cas au besoin d’une cible qui consomme. Les publicités pour les djeuns par exemple ont pour but de satisfaire le besoin des djeuns d’agacer leurs parents et leurs profs, et de se sentir reconnus dans leur identité de djeuns. Un peu comme le dit Daniel Schneidermann dans son dernier livre : chaque fois que vous pestez contre la star’ac’loftmachin chose en présence de djeuns, vous êtes le meilleur agent commercial de la star’ac’loftmachin chose.
Bon, tous ces poncifs pour défendre l’idée selon laquelle une source extérieure peut stimuler l’émergence d’un besoin en utilisant des stratégies indirectes (un point commun entre l’enseignant et le publicitaire : susciter un besoin qui, si vous n’étiez pas intervenu, n’aurait pas émergé ?) ;-)
Loïc Leroux
Bonjour,
Voici quelques réflexions et remarques rapides à la suite de la lecture de l’article d’André Tricot. Je vais surtout axer celles-ci autours de la seconde hypothèse de la définition n°8 et je prends note des « balbutiements » (p.3) de l’auteur. Moi-même écrivant directement mes cogitations.
1. « il faudrait aider les individus à construire des connaissances dans le domaine de *contenu concerné* [je souligne ici] (mon hypothèse est donc qu’il ne s’agit pas d’une compétence générale, mais spécifique à des contenus) [...] »
Effectivement il semble que le besoin documentaire et la résorption « provisoire » de l’incertitude à un temps (t) puisse se faire de cette manière(i.e. la constructions des connaissances dans les contenus spécifiques). Mais c’est une entreprise digne de Pic de La Mirandole... Je ne sais pas si les capacités à la recherche documentaire sont spécifiques à un contenu ou plutôt méta-spécifique à un schéma de contenus (pour ne pas être « générales » dans le sens des compétences). J’ai l’impression en regardant les candidats du CAPES de documentation que leurs capacités à la recherche d’information s’inscrivent plutôt dans des cadres de références au-delà des disciplines (ce qui est souhaité pour tout ce qui concerne les nouveaux dispositifs pédagogiques). Et je suis d’accord avec Dominique Boullier (2004) quand il écrit que l’on « pourrait, par exemple, considérer comme une forme d’expertise la capacité à modifier un schéma lorsqu’en cours d’activité une situation ne se résout !
pas » (p. 151).
Pour résumer : je ne crois pas qu’il soit souhaitable de former les élèves encore une fois à des compétences disciplinaires mais plutôt à des compétences non pas générales mais interdisciplinaires. Je pense qu’il est nécessaire de quitter un temps la vision analytique (propre aux épistémologies classiques cartésiennes) et tendre vers une approche systémique englobant les environnements, les interactions et les fins. Cette approche pourrait se faire par des modélisations de la complexité. Ici nous pourrions partir sur les textes d’Edgar Morin et de Jean-Louis Lemoigne. Finalement il serait peut-être plus intéressant de relier (la reliance » de Morin) les savoirs et de les modéliser pour les rendre « artificiellement » intelligibles.
2. « [...] il faudrait les aider à développer leur incertitude, à se poser des questions (ce point est largement abordé par Le Coadic, 1998) ; il faudrait les conduire à élaborer l’idée selon laquelle le développement de connaissances n’entraîne pas une augmentation de la certitude mais de l’incertitude. »
Je suis entièrement d’accord sur la notion d’incertitude. Par contre je ne serais pas forcément d’accord sur la phrase : « les aider à développer leur incertitude ». Je pense que le développement de l’incertitude s’acquiert comme une sorte « d’initiation ». Une forme de sagesse d’une certaine manière (un art de faire). Une ou plusieurs étapes seraient souhaitables comme l’apprentissage à *gérer* l’incertitude. Ici encore je me permets de revenir à la pensée de Morin sur la gestion de la Complexité. Il existe plusieurs formes d’incertitudes et celle qui semble être la plus difficile à maîtriser consiste par exemple à trouver une information concernant un « événement » mêlant plusieurs disciplines. Il n’est plus pensable de raisonner en terme de discipline pour comprendre le monde actuel et le principe du « battement de l’aile de papillon » est un exemple à gérer, à intellectualiser et donc à modéliser par des processus, des interactions, des environnements, etc.
« Cette seconde hypothèse s’appuie aussi sur les travaux autour de l’élaboration du besoin d’information comme développement d’une incertitude. » (Tricot)
Oui et non serais-je tenté de dire. Oui dans l’absolu mais pas forcément dans un cheminement même à moyen terme. Je pense que cette phrase serait destinée davantage aux « adultes » ou du moins aux personnes expertes dans la recherche. Dans le cas des élèves, c’est peut-être trop rapide et déstabilisant même si à terme cette remarque est juste encore une fois.
En fait j’ai l’impression que les besoins d’informations naissent aussi dans des espaces relativement stables. Le développement de la connaissance dans les recherches documentaires se ferait par à coup en créant des zones transitionnelles d’autosatisfaction qui permettrait aux élèves de se projeter en suite encore un peu plus loin. C’est un peu psychanalytique (l’objet transitionnel de Winnicott).
Pour résumer : il existerait toujours de la certitude dans l’incertitude. Chaque recherche « positive » (i.e. débouchant sur un résultat satisfaisant et pertinent) se fait dans un territoire reconnu et donc plus stable. D’un espace (le cyberespace) floue, réticulé, exponentiel, entropique, le chercheur créé des stratégies cognitives néguentropiques pour aller non plus vers un autre espace mais vers un « endroit » : lieu ami et sûr. A partir de cet endroit « certain » et au milieu de ce web (incertain) le chercheur va progresser de nouveau naviguant entre repères (balises, phares) et liens (la navigation entre deux repères).
Enfin pour conclure, je note que André Tricot parle quasiment toujours de l’individu. Or, dans les hypothèses finales pour améliorer la conscience des besoins d’information, il ne fait aucune mention du développement de la « navigation sociale ». Il serait possible de lister une troisième hypothèse pour la définition n°8 : le rôle de la « communauté ». Engeström a étudié les résolutions de problème dans les hôpitaux finlandais et en à fait une modélisation qui introduit l’importance de la communauté dans les décisions. Sans aller jusqu’à ce schéma qui est peut être plus adapté au travail coopératif assisté par ordinateur, il existe par contre sur le web mais aussi dans la vie en général un ensemble de stratégies de résolution de problème ou intervient la communauté par le biais de la navigation sociale. L’article de Dieberger et al. (2000) est assez éclairant à ce sujet. La navigation sociale étant le moyen d’accéder à l’information par le biais d’un ou plusieurs tiers proches (frères, soeurs, oncles, amis, etc.) ou « lointains » (par le biais des mels, forums, collègues, suite à une conversation, etc.).
Par exemple lorsque vous allez au restaurant dans le centre ville vous choisissez un restaurant souvent où il y a du monde. Sur Amazon, lorsque vous achetez un livre d’un auteur préféré, vous visualisez aussi les autres commandes des 5 derniers internautes qui ont acheté cet ouvrage. Le choix de ces internautes peut vous être utile pour vous informer sur un sujet connexe. Les exemples sont très nombreux (voir notamment l’ouvrage de Boullier et al., 2004).
Finalement de nouvelles compétences ne seraient-elles pas à chercher dans la « reliance » d’une part des savoirs et d’autre part dans la manière de se saisir avec sagacité et opportunité des informations provenant d’une communauté ? Dans le cadre d’une recherche auprès des documentalistes des tris croisés très significatifs montrent que l’efficacité de la recherche et la satisfaction des documentalistes dépendent fortement de leurs inscriptions aux listes de discussion et à la maîtrise des sites de méthodologies en ligne. Boullier (2004a) établit une cartographie de l’incertitude dans la recherche d’information. En reprenant cette « boussole » je prends comme hypothèse que la meilleure manière de vaincre l’incertitude est de travailler en commun en se saisissant des traces cognitives des uns et des autres pour aller se projeter vers une incertitude qui, si elle est intellectuellement indiscutable, n’en reste pas moins temporaire dans le cadre d’un besoin en recherche documentaire.
- Références bibliographiques :
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- BOULLIER Dominique (2004) et al. . L’outre-lecture : manipuler, (s’)approprier, interpréter le Web. Paris : Bibliothèque publique d’information, (Etudes et recherche)
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- BOULLIER Dominique (2004a). Le Web ou l’utopie d’un espace documentaire, Information - Interaction - Intelligence, vol.4, n°1, p.173-190
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- DIEBERGER Andreas (2000) et al.. Social navigation : techniques for building more usable systems, Interactions, n°7, p.36-45
André Tricot
Bonjour,
Voici une réponse (longue) au message très intéressant de Loïc Leroux. Je fais des citations larges du message en question, car celui-ci est précis, et je ne voudrais pas donner l’impression de tronquer des passages et répondre "à côté".
Dans son point 1, il écrit : "Effectivement il semble que le besoin documentaire et la résorption « provisoire » de l’incertitude à un temps (t) puisse se faire de cette manière (i.e. la constructions des connaissances dans les contenus spécifiques). Mais c’est une entreprise digne de Pic de La Mirandole... Je ne sais pas si les capacités à la recherche documentaire sont spécifiques à un contenu ou plutôt méta-spécifique à un schéma de contenus (pour ne pas être « générales » dans le sens des compétences). J’ai l’impression en regardant les candidats du CAPES de documentation que leurs
capacités à la recherche d’information s’inscrivent plutôt dans des cadres de références au-delà des disciplines (ce qui est souhaité pour tout ce qui concerne les nouveaux dispositifs pédagogiques). Et je suis d’accord avec Dominique Boullier (2004) quand il écrit que l’on « pourrait, par exemple,
considérer comme une forme d’expertise la capacité à modifier un schéma lorsqu’en cours d’activité une situation ne se résout pas » (p. 151)".
Je vais donc repréciser ma pensée : je pense, pour avoir compulsé la littérature empirique, que les individus ont beaucoup de difficultés à prendre conscience qu’ils manquent de connaissances et qu’ils ont besoin d’information dans un domaine où ils n’ont pas ou peu de connaissances. Pour savoir sur quel aspect précisément j’ai besoin d’information dans le domaine X, il faut que je sois dans une situation où (a) je manque de connaissance pour comprendre ou agir dans cette situation (b) les connaissances qui me permettraient de comprendre où d’agir dans la situation relèvent du domaine X (c) j’ai suffisamment de connaissances du domaine X pour prendre conscience que c’est du domaine X que relève mon manque. En même temps, si je connais parfaitement le domaine X, je ne manque pas de connaissances,
donc je n’ai pas besoin d’information. Dit autrement : n’attendons pas des élèves qu’ils soint capables de prendre conscience de ce qu’ils ne savent pas sur la 1ère guerre mondiale tant qu’ils n’ont pas étudié la première guerre mondiale. Sinon, je suis d’accord sur le fait qu’il est possible d’acquérir des capacités, des compétences, des connaissances méta comme le questionnement, la capacité à changer de stratégie quand celle-ci conduit à une impasse. Mais reprenons l’exemple de la première guerre mondiale : en quoi ces compétences vous aident-elles à prendre précisément conscience de que vous ne savez pas à ce propos ?
Il faudrait que Loïc Leroux précise ce qu’il entend par : "capacités plutôt méta-spécifique à un schéma de contenus". Si c’est dans le sens : les historiens ont acquis des compétences qui leur permettre d’interroger les documents historiques, je suis assez d’accord.
Je reprends la suite du message de Loïc Leroux : "Pour résumer : je ne crois pas qu’il soit souhaitable de former les élèves encore une fois à des compétences disciplinaires mais plutôt à des compétences non pas générales mais interdisciplinaires. Je pense qu’il est nécessaire de quitter un temps la vision analytique (propre aux épistémologies classiques cartésiennes) et tendre vers une approche systémique englobant les environnements, les interactions et les fins. Cette approche pourrait se faire par des
modélisations de la complexité. Ici nous pourrions partir sur les textes d’Edgar Morin et de Jean-Louis Lemoigne. Finalement il serait peut-être plus intéressant de relier (la reliance » de Morin) les savoirs et de les modéliser pour les rendre « artificiellement » intelligibles".
Là dessus, je n’ai rien à répondre. J’ai lu et relu une grande partie des livres de ces deux auteurs, pour en arriver à la conclusion que ces auteurs là manquaient beaucoup de culture psychologique. Toute la psychologie contemporaine n’est que complexité. Un jour Le Moigne tombe sur Piaget, et le voilà bouleversé, citant Piaget à longueur de texte, pour nous expliquer à quel point Piaget c’est bien, c’est complexe, c’est systémique... ce qu’on savait déjà un peu, non ? Bon, je dois quand même reconnaître que ces deux auteurs m’ont été importants. Ce que je leur reproche, c’est de manquer de précision, notamment dans leurs critiques. Du coup, ils ne peuvent pas faire de propositions précises, puisqu’ils ne connaissent pas précisément ce qu’ils critiquent. Pour en revenir à nos moutons, c’est à dire
l’interrogation sur la compétence documentaire qui correspondrait à la "prise de conscience du besoin d’information", je ne vois pas précisément en quoi ces deux auteurs pourraient nous aider.
J’espère vivement que Loïc Leroux ou d’autres me contrediront et que nous pourrons avancer ensemble sur ce point.
Le second point abordé dit : "Il existe plusieurs formes d’incertitudes et celle qui semble être la plus difficile à maîtriser consiste par exemple à trouver une information concernant un « événement » mêlant plusieurs disciplines. Il n’est plus pensable de raisonner en terme de discipline pour comprendre le monde actuel et le principe du « battement de l’aile de papillon » est un exemple à gérer, à intellectualiser et donc à modéliser par des processus, des interactions, des environnements, etc."
Je suis évidemment complètement d’accord avec ce point de vue. En fait, ça dépend tout simplement de ce que l’on pense du but de la science. Si vous pensez que la science doit expliquer ou doit comprendre. Si elle doit expliquer, alors son rôle est de rendre compte précisément des effets de n variations sur un phénomène. C’est ça en gros expliquer un phénomène. C’est très analytique comme approche, et ça explique assez efficacement des phénomènes simples. Si vous pensez que la science doit comprendre, c’est à dire rendre compte, expliciter, de la dynamique de l’ensemble des relations qui agissent entre un ensemble de phénomènes en interaction, alors... bon courage ! Le bon test, pour une science, c’est de voir si elle est capable de faire des prédictions précises qui se vérifient. Ceux qui expliquent des
phénomènes simples savent prédire. Ceux qui tentent de comprendre des phénomènes très complexes ne savent pas prédire, ou alors avec une telle marge d’erreur, que ce n’est plus de la prédiction (regardez la météo, la macroéconomie, etc.). Donc avoir de l’incertitude concernant les phénomènes
complexes me semblent relever du bons sens. Enfin, je voudrais préciser que nous qui travaillons tous les jours avec des phénomènes ultra complexes (des êtres humains, une ou des institutions humaines), nous devons comprendre et agir, mais sans attendre que la science (fut-elle de l’éducation) vienne
nous dire ce qu’il faut comprendre, ni surtout comment il faut agir (elle se contente d’expliquer quelques phénomènes simples, ce qui n’est déjà pas si mal).
Troisième point abordé : " En fait j’ai l’impression que les besoins d’informations naissent aussi dans des espaces relativement stables. Le développement de la connaissance dans les recherches documentaires se ferait par à coup en créant des zones transitionnelles d’autosatisfaction qui permettrait aux élèves de se projeter en suite encore un peu plus loin. C’est un peu psychanalytique (l’objet transitionnel de Winnicott)."
Loïc Leroux a tout à fait raison, son idée me semble très intéressante, je n’avais jamais pensé à voir ça comme ça, et c’est pourtant un peu ce que l’on observe chez les élèves quand on étudie l’évolution de leur questionnement à propos de l’orientation : ils vont d’abord chercher ce qu’ils savent déjà, pour, par cycles successifs, aborder des objets inconnus.
4ème point : "Enfin pour conclure, je note que André Tricot parle quasiment toujours de l’individu. Or, dans les hypothèses finales pour améliorer la conscience des besoins d’information, il ne fait aucune mention du développement de la « navigation sociale »."
Bien vu ! Je ne travaille que sur l’étude de l’individu isolé, mais Loïc Leroux a raison, cette activité est une activité non seulement collective, mais sociale dans le sens où il l’écrit. Et bravo pour son paragraphe final, qui ressemble à un beau projet de recherche.
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