De la réédition du même à l'inédit du savoir [1]
La prise de notes est une activité qui semble plutôt relever de l'ordre d'un savoir faire que de celui d'un concept, dans la mesure où le premier terme de la locution lui confère une valeur opérationnelle qui est l'indice d'un savoir d'action et non d'un savoir théorique. Cette connaissance de type procédural apparaît de plus a priori transversale, puisqu'elle peut être requise dans chaque discipline aussi bien pendant le cours que dans une tâche préparant ou prolongeant le cours. Marie Monthus (1994) décline ainsi les opérations mentales, ou capacités, convoquées pour toute prise de notes. Il s'agit de savoir trier, identifier (une thèse, des idées), classer et ordonner des éléments, hiérarchiser des informations, les concentrer, et enfin, de les structurer en organisant l'espace (pour obtenir une prise de notes dynamique plutôt que linéaire)[2]. En fait, c'est tout un ensemble d'opérations qui sont convoquées dans un contexte particulier, agissant dans des relations d'interdépendance, et impliquant de la part du sujet des connaissances de type conditionnel. Le rapport au réel, i.e. le document, appelle de fait à des adaptations constantes, auxquelles il convient d'ajouter la nécessité qu'a le sujet en quête de pertinence, de tenir compte de son besoin initial d'information. La prise de notes, sous cet angle, relève davantage de la stratégie que de la méthode, au sens où elle requiert de la part de l'élève qu'il sache opérer des sélections parmi plusieurs procédures disponibles, et ce afin d'optimiser la tâche. L'issue de la prise de notes, à ce compte, est toujours aléatoire : ou bien elle clôt l'activité, ou bien elle la réactive.
Quoiqu'il en soit, et pour s'en tenir davantage à présent au registre de l'information documentation, considérons combien la prise de notes apparaît de manière centrale dans toute activité documentaire. Elle est appelée au moment précis de la rencontre du besoin du chercheur et de l'offre informationnelle du document enfin trouvé. Moment des plus délicats, des plus angoissants aussi, pour l'élève comme pour l'enseignant, puisque tout se joue là, soit de l'annonce de la fin de l'activité, par la satisfaction totale ou partielle du besoin, soit de son (re)commencement, par une (ré)orientation de la recherche. Cet instant crucial de la médiation documentaire, où interagissent information et savoir, nous éloigne ainsi du versant procédural (la « prise ») pour nous rapprocher de l'objet cognitif (les « notes »), véritable objectif de cette appropriation. La prise de notes, ainsi, ressort in fine d'un rapport au savoir. C'est d'ailleurs ce que confirme l'étymologie de « notes », terme issu du latin nota, dérivé de noscere « apprendre à connaître » (> notion). C'est à partir de deux de ses dérivés, « notice » et « annotation » que nous allons à présent réfléchir.
La prise de notes est avant tout un processus d'appropriation
de connaissance, un processus mental essentiel au cœur de la relation triangulaire
établie entre l'offre informationnelle, la promesse d'un
savoir et le désir d'un sujet. Car c'est bien le sujet, ce
« je » qui, lorsqu'il entre sur la scène
de l'écrit documentaire, a le pouvoir de transformer de simples
données disponibles en informations pertinentes et, pourquoi pas, d'élever
à leur tour celles-ci en un savoir toujours projeté.
Comment, dès lors, appréhender l'apprentissage de la prise
de notes ? Deux approches complémentaires sont possibles. L'approche
procédurale, commune, consiste à prodiguer des consignes méthodologiques
dont le projet est de savoir « comment » prendre des notes :
sélectionner dans un document les informations utiles et les écrire
au brouillon sans faire de phrases, en n'extrayant que les expressions,
les idées essentielles, lesquelles seront reformulées et réorganisées
lors de la rédaction.
Moins fréquente, l'approche conceptuelle, quant à elle,
propose de conduire l'élève à prendre conscience
du « pour quoi » prendre des notes (idée de but)
et de « ce que c'est » que de prendre des notes
(idée de nature).
Le premier volet de cette approche conceptuelle concerne le but. Il est alors temps de rappeler que la prise de notes a pour finalité l'édition, au sens où éditer, c'est préparer, établir et présenter (un texte) pour le rendre public - même si le public peut se réduire à la seule personne de l'enseignant ! A partir de cette notion d'édition peuvent ainsi se concevoir les deux grandes orientations qui vont infléchir la portée de la prise de notes. Ou bien la prise de notes se limite à une réédition, ou bien elle vise un inédit.
Dans le premier cas, la réédition, il s'agira de produire du même, c'est-à-dire de conserver un savoir existant. La perspective est double. Nous pouvons prendre des notes pour confirmer ce qui a déjà été présenté dans le cours, par exemple, et l'information se fait illustration, ou bien nous le faisons encore pour justifier ce qui a été avancé, et l'information se fait preuve. Nous pouvons encore prendre des notes pour condenser un texte, un propos. Pour tous ces types de réédition, la prise de notes renvoie à l'idée première de prendre, qui est un acte de captation, sans autre intention que celle de s'emparer d'un sens pour le conserver. Elle vise ainsi à une conformation à un savoir déjà édité. On pourrait alors préciser le terme de « notes » par celui de « notices ». En effet, une notice est un « extrait raisonné, un compte-rendu succinct » (Nouveau Littré, 2004). À ce premier niveau d'interpellation de l'idée de prise de notes, nous voyons quel intérêt didactique il peut en être tiré. L'activité même de la prise de notes s'apparente au processus conduisant à un condensé. Il apparaît dès lors que le référent conceptuel de cette opération est la condensation. Ce concept fondamental en documentation est de même convoqué lors de la consultation des résultats d'une requête dans une base documentaire, quand il s'agit de maîtriser le concept de « notice bibliographique ». Celle-ci désigne en effet un document secondaire condensant un document primaire. En ce sens, la prise de notes correspondrait au versant procédural et tâtonnant conduisant à la construction du concept de condensation, tandis que la notice bibliographique en représenterait l'autre versant, à savoir un aboutissement formel et opérationnel et ce, d'autant moins bien perçu par l'élève que la notice est reçue comme un produit finalisé par d'autres.
Dans le second cas, l'inédit, il s'agira de produire du différent, c'est-à-dire de découvrir, au sens du mot invention, un savoir nouveau - au moins pour soi. Deux voies encore. Ou bien il s'agit d'accéder pour la première fois à un savoir contenu dans le programme étudié en cours, de le tirer à soi, et on voit bien que prendre des notes revient à un apprendre, telle que l'étymologie de « note » le suggérait ; ou bien il s'agit de construire intimement -c'est-à-dire avec soi- un savoir, et où le prendre en question se révèle être un comprendre. Dans ces deux derniers cas, l'acquisition s'est accompagnée cette fois-ci d'un processus d'élaboration de l'information en un savoir qui est soit attendu, soit dans l'attente de lui-même. Là encore, il reste à préciser le terme de « notes ». Et puisque l'enjeu est l'explicitation et qu'il implique très fortement le sujet cognitif, nous avancerons cette fois-ci le terme d' « annotations », dans le sens d'une valeur ajoutée au texte du savoir, telle que le produit l'usage de la glose.
L'approche conceptuelle propose donc en un premier temps de construire, à partir du concept d'édition (réédition/inédit) les deux notions de « notice » et d' « annotation », toutes deux dérivées de l'idée première de « notes ». La notice étant ce qui conserve la trace d'un savoir a priori et extérieur au sujet, tandis que l'annotation est ce qui porte le germe d'un nouveau savoir dans l'intimité cognitive du sujet. Il s'ensuit, au plan pédagogique, que l'enjeu cognitif de la prise de notes doit être annoncé, en amont du travail documentaire, afin qu'il soit identifié par l'élève comme élément essentiel de sa représentation de l'activité à venir. « Prendre des notes » est une consigne trop floue. Il faut préciser son but : doit-elle servir une condensation de l'information permettant son stockage et prendre ainsi la forme de notices, ou doit-elle accompagner la construction d'un nouveau savoir, par la production régulière d'annotations successives ?
Ainsi, un deuxième volet intéresse la nature de la prise de notes. Ce que l'élève doit savoir à ce propos, c'est que la prise de notes est, d'une part, l'outil d'un projet (éditer du même ou du différent), et d'autre part, qu'elle participe d'une prise de connaissance au travers du traitement cognitif de l'information. Ce traitement révèle en miroir la nature même de l'activité de recherche d'information. Sous cet angle, traiter l'information pour prendre, apprendre et/ou comprendre, ce peut être :
- faire simplement correspondre une question et une réponse :
la recherche d'informations se limite ici à une activité
dite de « retrouvage » (réédition)
;
- résoudre un problème d'information : la recherche
d'information, pragmatique dans ce cas, se confond à une recherche de
solution (réédition) ;
- construire un savoir à partir de données informationnelles dont
l'élève percevrait la portée cognitive : la recherche
d'information constitue dès lors les rouages de la médiation documentaire
(production d'inédit) ;
- accompagner un questionnement dynamique, non plus tendu vers la résolution
d'un problème donné, mais vers l'intelligibilité
des conditions de ce problème : la recherche d'information fournit
enfin un support au processus de problématisation, ce qui peut être
le cas dans ces activités (TPE, IDD, etc.) où le fil du chemin
se déroule devant soi au fur et à mesure que l'on chemine
(production d'inédit).
De la sorte, la prise de notes pourrait être définie comme un outil
personnel servant une stratégie d'édition d'un savoir
(connu ou à découvrir) à partir d'un type particulier
de traitement cognitif de l'information, et selon un enjeu cognitif qu'il
convient de préciser et d'intégrer au contrat didactique.
[1] Texte écrit en marge de la rédaction du Petit dictionnaire didactique à l'usage des enseignants documentalistes à paraître prochainement en ligne. Co-rédigé avec Ivana Santonocito Ballarini, certifiée de documentation, ce dictionnaire tente d'identifier et de définir les concepts info-documentaires spécifiques qui peuvent être construits à partir des activités documentaires en ligne. Chaque notice est développée en deux temps : le premier présente le concept sous l'angle de l'information documentation, tandis que le second l'inscrit dans une démarche de didactisation.
[2] Monthus Marie, Pratique documentaire et prise de notes, CRDP Midi-Pyrénées, 1994.
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