Doc pour Docs met en ligne la synthèse d’une expérimentation en lycée autour de la cartographie des controverses. Vous y trouverez des exemples de séances menées en ECJS, tout à fait transposable en EMC, et sans doute entrevoir des pistes déclinables en fin de collège dans le cadre de l’EMI.
Nous remercions Marie-Madeleine Heitz, professeur documentaliste d’avoir accepté de vous proposer ces documents.
A travers des questions-réponses ci-dessous, voici l’essentiel de cette expérimentation.
Comment définissez-vous la cartographie des controverses ?
La cartographie des controverses a été créée à l’Ecole des Mines par Bruno Latour, puis reprise à Sciences Po pour analyser les controverses scientifiques dans le paysage médiatique.
Prenons par exemple la controverse suivante : Faut-il se faire vacciner contre la grippe ? La recherche de la réponse ne conduira pas à un oui ou un non franc et massif mais permettra de découvrir les positions et les arguments des acteurs en présence suivant qu’ils sont portés par des scientifiques, des associations, des industriels…. Le but ultime étant de se faire une opinion sur la controverse. Vous trouverez des exemples de controverses traitées par les étudiants de Sciences Po à l’adresse suivante : http://controverses.sciences-po.fr/archiveindex/
Pour en savoir plus sur la cartographie des controverses, veuillez consulter le site suivant : http://controverses.ensmp.fr/presentation/
La cartographie des controverses peut être utilisée dans toutes les disciplines au lycée à condition de lui consacrer le temps nécessaire ce qui peut s’avérer problématique de par l’exigence des programmes. Nous l’avons testée en ECJS car la démarche de la cartographie s’inscrivait parfaitement dans l’esprit de cette activité : une problématique, une démarche de projet, des recherches d’information dans des sources variées débouchant sur un débat pour tenter de répondre à la problématique.
A l’école des Mines et à Sciences Po, la cartographie des controverses permet d’étudier le rapport entre science et société. En ECJS, nous nous sommes intéressés au rapport société et démocratie.
Au cours de l’année 2013-2014, nous avons expérimenté la cartographie des controverses au lycée Camille SEE de Colmar en classe de Terminale ES et L. Les résultats de l’expérimentation sont disponibles à l’adresse suivante :
https://www.ac-strasbourg.fr/pedagogie/documentation/pedagogie/sciences-humaines/la-cartographie-des-controverses/
Pouvez-vous nous dire comment est née cette expérimentation ?
J’étais formatrice pour le CAPES interne de documentation. Chaque année, je me devais de présenter des innovations dans le métier aux candidats. Je suis tombée sur l’expérimentation de la cartographie des controverses en collège et la cartographie des sources au collège. Ce fut une révélation mais je vous avoue qu’en tant que professeur documentaliste de lycée je suis restée un peu sur ma faim.
J’ai donc fait le tour du web à la recherche d’informations sur la cartographie des controverses et j’ai préparé une expérimentation, car j’avais pour principe de ne pas transmettre à mes stagiaires de capes des résultats d’expérimentations que je n’avais moi-même pas pratiquées.
Dès la rentrée, avec ma collègue et deux enseignants d’ECJS enthousiastes, nous nous sommes lancés dans l’expérimentation qui s’est avérée très enrichissante pour les élèves mais aussi pour leurs professeurs. Pour les professeurs documentalistes la cartographie des controverses est une manne pour l’EMI.
Quels ont été vos liens avec Science Po Paris qui expérimente cette méthode pour ses étudiants ?
Au courant du premier trimestre 2014-2015, nous avons été contactés par une équipe de chercheurs de Sciences Po Paris réunis au sein d’un consortium FORCCAST qui a pour objectifs de promouvoir la cartographie des controverses, pratiquée depuis de longues années au sein des grandes écoles. Ils sont en train de mener une expérimentation visant à introduire la cartographie des controverses au lycée. Pour cela les chercheurs travaillent avec des lycées du 93 dans le cadre des TPE en classe de Première. On peut trouver des informations sur cette expérimentation aux adresses suivantes : http://forccast.hypotheses.org/2751 et http://forccast.hypotheses.org/2728
Au mois de janvier, nous avons été conviés à deux jours de travail à Science Po Paris. Une collègue et moi-même avons fait le déplacement et nous avons présenté notre expérimentation qui a suscité un vif intérêt et également des regrets qu’elle se termine. Ces journées de travail et la rencontre avec les enseignants des lycées du 93 nous ont donné envie à ma collègue et à moi-même de nous lancer dans une autre cartographie. J’avais également pris contact avec l’IA EVS de mon académie qui était très intéressé par la cartographie des controverses et qui aurait bien vu une expérimentation sur deux ans, en première et en terminale. Dans cette optique nous avons décidé de focaliser la deuxième expérimentation sur une classe de première, d’axer sur les médias et de nous lancer dans le débat d’acteurs qui avait été expérimenté avec des étudiants de master mais jamais au lycée.
Le compte-rendu de l’expérimentation 2014-2015 a été présenté lors d’un stage de Science Po à destination des enseignants de lycée du 93 : lycée du Bourget et micro-lycée.
Concrètement vous définissez des étapes de la cartographie des controverses. Quelles sont –elles ?
Le traitement d’une controverse comporte plusieurs étapes :
1. La définition de la controverse
2. L’historique
3. L’arbre des débats
4. La cartographie des acteurs impliqués dans la controverse
5. Les liens entre les acteurs
6. La communication de la cartographie des controverses
La cartographie des controverses ne débouche jamais sur une présentation de solutions. Elle vise à mieux comprendre les facettes de la controverse et le positionnement des acteurs impliqués.
En adaptant cette trame aux objectifs de l’ECJS, nous avons privilégié le déroulement suivant :
Classe de première
1. A partir de la problématique de départ, brainstorming pour faire émerger les connaissances du sujet. Classement en sous-thèmes
2. Recherche documentaire sur un sous-thème pour approfondir sa connaissance du sujet, et cerner ce qui fait controverse dans la société.
3. Présentation des résultats de recherche au grand groupe pour constituer un corpus commun de connaissances et affiner la problématique
4. Analyse de médias diffuseurs et de médias produits pour acquérir des connaissances sur le paysage médiatique
5. Construction du déroulement du débat
6. Choix pour chaque élève d’un acteur impliqué dans la controverse. Recherche d’informations sur cet acteur et recherche d’arguments pour alimenter le débat.
7. Transformation des arguments collectés en arguments qui répondent aux questions du débat Rédaction de l’argumentation
8. Découverte de la réfutation et travail par groupes sur la réfutation
9. Débat
10. Bilan du débat et de la séquence d’ECJS
Classe de terminale
1. Choix du thème de la controverse et brainstorming pour faire émerger les connaissances du sujet
2. Recherche documentaire pour approfondir sa connaissance du sujet, découvrir les textes juridiques qui l’encadrent et cerner ce qui fait controverse dans la société.
3. Définir les missions en fonction de la controverse : (historien, spécialistes des médias, du public, des associations, des religions, de l’éthique, de la philosophie, de la santé, de la politique, de l’international…)
4. Collecter des arguments en fonction de la mission choisie et valider ces informations en analysant les sources, les auteurs et l’expertise du site consulté. (document de collecte)
5. Organiser ces informations pour dégager les tendances dominantes dans la société
6. Synthétiser les informations trouvées. (Production personnelle)
7. Approfondir les recherches dans un domaine ou un point particulier de la controverse
8. Identifier les acteurs de la controverse et les positionner par rapport à la controverse
9. Rechercher les liens entre les acteurs et leur visibilité sur le net et les médias
10. Découvrir un pan du fonctionnement de la démocratie en France
11. Communiquer les résultats du travail effectué
12. Faire le bilan du travail
Quel est l’intérêt pour le professeur documentaliste ?
L’expérimentation de la cartographie des controverses que nous avons menée en 2013-2014 en classe de Terminale puis en 2014 - 2015 en classe de première sur un thème et avec des objectifs différents nous a permis de constater à chaque fois de plus l’inépuisable richesse de ce concept et son intérêt pour des lycéens et les enseignants : démarche de projet, pédagogie active, co-construction du savoir, autonomisation progressive des jeunes, acquisition de connaissances et de compétences disciplinaires et médiatiques, appréhension de la complexité...
Quelles sont les types de séances présentées dans ces documents ?
Pour montrer l’intérêt de la cartographie des controverses par rapport à une recherche documentaire classique, je n’aborderai que les séances qui apportent une plus-value.
Tout d’abord la ou les séances consacrées à la définition du sujet. Lors de projets de recherches documentaires en ECJS, cette phase est souvent survolée alors qu’elle conditionne la qualité du débat final. Il est primordial, au départ, de définir précisément la controverse et que ce corpus de connaissances soit partagé par tous les élèves, afin que les recherches documentaires ultérieures soient efficaces et cohérentes.
En classe de terminale, nous avons expérimenté la recherche documentaire à partir de missions. Les élèves sont responsables d’un domaine de recherche : philosophie, médecine, public…. et identifient plus facilement les acteurs et leurs intérêts par rapport à la problématique. Ils approfondissent plus les recherches et la qualité des arguments s’en trouve nettement améliorée.
Le travail sur les acteurs a été une expérience nouvelle mais très formatrice. Le positionnement des acteurs a permis de déterminer les tendances dominantes dans la société par rapport à la controverse. Le lien entre les acteurs a été l’occasion de mettre en évidence les alliances et de déboucher sur une approche du fonctionnement de la démocratie. Cette étape, jamais abordée en ECJS, est pourtant primordiale pour cette discipline.
En classe de première, en nous appuyant sur les résultats des recherches des élèves, nous avons abordé les médias produits comme étant des constructions et permis aux élèves de prendre conscience de leur rapport aux médias.
En nous appuyant sur les fiches méthodes à disposition des étudiants de Sciences Po, nous avons abordé les registres de l’argumentation : ethos, pathos, logos ainsi que différentes techniques de réfutation.
Le débat d’acteur a été l’occasion pour les élèves de se glisser dans la peau d’un personnage, de ne plus s’exprimer en leur nom propre mais avec des arguments liés à un domaine d’expertise et à la fonction de l’acteur choisi.
Réalisées en ECJS, ces séances correspondent tout à fait aux objectifs de l’EMC dont je citerai quelques extraits :
"Ces thèmes offrent toutes les opportunités nécessaires pour permettre aux élèves de réfléchir aux rapports qui existent entre la morale, le droit, la loi, les habitudes sociales, donnant ainsi les moyens de comprendre la spécificité et le rôle de chaque domaine. "
La cartographie des controverses, en s’intéressant aux sciences et aux acteurs impliqués dans une controverse s’y prête bien.
« Il s’agit de contribuer à former l’esprit critique des élèves et de les conduire à élaborer des argumentaires construits et pertinents favorisant la confrontation de points de vue singuliers. »
Les activités expérimentées n’ont eu d’autres buts que la formation de l’esprit critique à travers l’analyse de la foule d’information disponible dans les médias.
En quoi l’étude des controverses est-elle un support pour l’EMI ?
La cartographie des controverses permet d’acquérir des connaissances sur les médias en appréhendant une situation complexe ainsi que des compétences dans l’utilisation des médias car tout le travail se fait à travers et à l’aide des médias, suivi d’une analyse et d’une réflexion critique distanciée.
Par médias je n’entends pas uniquement les médias d’informations bien qu’ils aient leur part dans la cartographie mais tous les médias diffuseurs et produits. La cartographie permet d’appréhender le paysage médiatique dans sa globalité et sa complexité pour s’informer, analyser, produire et diffuser des informations. Ces activités favorisent le développement de compétences comme lire, écrire, naviguer et organiser en tenant compte de la dimension informationnelle, sociale et technique des médias.
Pour conclure, je dirai que la cartographie des controverses répond à nos aspirations de professeurs documentalistes : contribuer à la formation du citoyen de demain, ouvert d’esprit et capable d’appréhender des situations complexes dans un monde mouvant.
Pour plus d’informations, vous pouvez me contacter à l’adresse suivante :
mheitz68@gmail.com
Pour aller plus loin
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Notre scoop.it « Cartographie des sources » et plus précisément en utilisant le filtre « Étude de controverses »
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