Fatigués d’attendre l’argent et les dotations officielles qui, comme l’Arlésienne, nous étaient toujours promises et qu’on ne voyait jamais, nous avons alors décidé, Francis et moi de passer à l’action.
Dans un premier élan, ce furent les Associations de Parents qui furent sollicitées et mises en concurrence sans état d’âme. Comme l’une avait commencé à nous acheter quelques bouquins (évidemment tamponnés à son enseigne..), les autres furent bien obligées de suivre. Cette compétition dans la donation, bien qu’assortie de commentaires aigrelets sur l’incurie de l’E.N, etc..etc.., nous permit de faire rentrer en rayonnages un certain nombres de livres de lecture pour les élèves.
Mais il nous fallait immédiatement une grosse somme d’argent si on voulait vraiment équiper la bibliothèque, d’une façon conséquente et d’un seul coup. Et cette somme, nous ne savions pas si nous l’aurions un jour. Quant à la fameuse dotation de départ, on l’attendait toujours. Francis eut alors l’idée d’organiser une tombola.. Quelques élèves, dûment convaincus et chapitrés, apportèrent des objets hétéroclites destinés à servir de lots !! Nous en avions stocké tout une collection chez le Conseiller d’Orientation. Et les gamins nous aidèrent à vendre les billets, en faisant du porte à porte dans les bâtiments du quartier. L’opération, menée tambour battant, fut un succès. Comme l’appétit vient en mangeant, instruits par l’expérience, nous avons alors décidé de tout miser sur un réinvestissement des fonds ainsi perçus, et de jouer une bonne fois pour toute à quitte ou double.
Nous étions arrivés aux environs des vacances de Noël, et, après avoir demandé et obtenu l’autorisation du Patron, nous avions décidé de faire un énorme loto dans la grande salle polyvalente du collège, auquel serait convié tout le monde, personnels, élèves et parents. Je me souviens que, avec mon collègue, et après notre journée de travail, nous avons écumé pendant quinze jours les supermarchés de la ville pour rechercher les denrées nécessaires au meilleur prix, veillant à la dépense de notre pécule comme Harpagon devant sa cassette. Peu experts en ces choses, nous fûmes efficacement secondés dans ce travail par l’ami Marcel, Conseiller d’Education, qui nous octroya généreusement son aide éclairée. C’était (c’est toujours !) un organisateur efficace de ce genre de manifestations, et en outre, il était capable d’apprécier d’un coup d’oeil la valeur intrinsèque d’un lot, chose capitale quand on veut gagner de l’argent ! Quelle équipe ! Jusqu’à des heures avancées de nos soirées et même de la nuit précédent le loto, nous fabriquions des filets garnis, des corbeilles garnies, des lots de toutes les espèces.. Francis, de sa belle écriture de dessinateur professionnel, avait réalisé de splendides affiches, qui, pour le coup, firent preuve d’une percutante efficacité ! [1]
Bref. Tout fut prêt dans les temps. La soirée fut exceptionnelle, la salle polyvalente bondée.. Le soir, après avoir fermé les portes derrière le dernier client, je me souviens qu’on ne pouvait plus parler en comptant la recette, enroués que nous étions tous les trois d’avoir hurlé des numéros pendant deux heures de rang.
Mais le contenu de notre nouvelle tirelire récompensa amplement tous nos efforts. Jamais le CDI n’avait été aussi riche. Le coffre fort du Foyer accueillit notre argent pour la durée des vacances de Noël.
A la rentrée, munis de ce pactole, nous nous sommes mis à dévaliser les libraires de la ville, à écumer les ventes de livres à prix réduits, fin de stock ou de séries, ouvrages que nous épluchions soigneusement dans les tréfonds obscurs des arrières boutiques. Nous revenions le soir au collège, fourbus, chargés comme des bourricots, ployant sous le poids des cartons... Je ne crois pas qu’il existe un bonheur plus grand pour un documentaliste que celui de trimballer des cartons pleins de livres !! Et ce, nonobstant les étages !! A Nimes il y avait un ascenseur. Mais, bien plus tard, à La Grand’Combe, je me suis tapé mon étage avec mes cartons pleins, radieux comme un pinson qui butine la rosée !! [2]
Le résultat, cependant, fut à la hauteur de notre travail. Les rayonnages enfin se remplissaient et nous avions l’air moins bête que de garder des planches, aussi Borgeaud fussent-elles !! Les gamins, venus recouvrir les livres, étaient ravis. Ils auraient volontiers recommencé. Mais les acteurs principaux étaient un peu sur les rotules... Et demandaient le temps de souffler et d’engranger la récolte. Cela n’empêcha pas les élèves de continuer à fouiller leurs placards, leurs greniers, et ceux du quartier, mis en coupe réglé, pour nous amener des livres encore utilisables. Evidemment il y avait du déchet dans ces trouvailles, et il nous fallait éliminer. Mais surtout il fallait déployer des trésors de diplomatie pour expliquer pourquoi on éliminait.. afin de ne pas vexer les enfants et les amener à savoir faire un peu de tri eux-mêmes...
C’était, peut-être, une autre époque.
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