Alors, bien sûr, on essayait de travailler et même, plus fort, on travaillait avec ces matériels là..
Il est évident que le montage des diaporamas se prêtait assez mal à des activités pédagogiques impliquant toute une classe. Oui, bien sûr, il ya toujours moyen de faire rédiger le commentaire des diapos par les enfants. Mais il nous arrivait aussi de mobiliser quelques élèves pour enregistrer ces commentaires afin de réaliser une piste son de diaporama. C’était assez difficile à réaliser. Déjà, rien que l’achat d’un bon micro directionnel relevait du tour de force au niveau de l’intendance.
Quant à la réalisation... c’était comique, vu a posteriori ! On se cloitrait avec notre équipe de commentateurs élèves dans les salles les plus reculées et les plus profondes du collège, après y avoir charrié le matériel nécessaire. Cette émigration se justifiait par l’espoir toujours déçu d’échapper aux bruits susceptibles de parasiter nos enregistrements... En outre, pour des questions de synchronisation avec la musique de fond et le passage des diapos, le timing du commentaire était sévèrement mesuré.. Les élèves et nous transpirions sang et eau pour obtenir vingt minutes d’enregistrement convenable. Et quand, euréka, nous y étions enfin parvenus, il n’était pas rare que la sirène des pompiers, l’alarme incendie détraquée, voire la sonnerie de l’interclasse vienne, patatrac, tout flanquer par terre..
La saga du diaporama, que tous les anciens documentalistes ont vécu comme moi, demanderait à elle seule plusieurs strophes pour être chantée à la mode des bardes druidiques des anciens temps. Nous étions obsédés par le diaporama.. la bande son, les projecteurs sophistiqués avec panier en couronnes, avec changement automatique des paniers, etc..
A ce sujet, il me revient une anecdote qui prouve bien à quel point on peut être inconscient lorsqu’on est habité par ce genre d’idée fixe. Un jour, un de nos collègues nous informa que le Directeur du Museum d’Histoire Naturelle pouvait éventuellement nous prêter la clé de la grotte de La Baume Latrone, qui ne se trouve pas très loin de Nîmes, à l’entrée des gorges du Gardon, en pleine garrigue. Cette grotte contient des peintures rupestres préhistoriques authentiques, en particulier des mammouths peints au trait et tracés au doigt.. Cette grotte était fermée, et j’espère qu’elle l’est toujours, par de lourdes grilles en fer, depuis que des imbéciles avaient cru bon de faire huit cents mètres sous terre pour aller jeter de la boue cavernicole sur les figures peintes. Je crois que cette grotte est d’ailleurs définitivement fermée à toute visite comme beaucoup d’autres et c’est très bien ainsi. A l’époque je venais de lire le génial bouquin de Leroi-Gourhan sur la Préhistoire de l’Art Occidental, à l’aide duquel j’avais fabriqué un cours pour mes élèves de Première, cours durant lequel je me suis autant régalé qu’eux. Ils me l’ont dit et même actuellement, j’ai rencontré des anciens élèves de cette époque et ils se souviennent du cours de Préhistoire. Vous me direz que la Préhistoire n’est pas au programme de Première, je sais. Mais j’avais fini le programme officiel, et puis je m’en moquais complètement, et je m’en moque encore trente cinq ans après. De tous temps, j’ai été très intéressé par tout ce qui touche à la préhistoire, car je me suis toujours demandé comment il se faisait que, seul entre toutes les créatures terrestres, nous soyons devenus ce qu’on appelle intelligents... et pas une vache, ou un âne.. Comment se fait-il que, ayant commencé au stade des lémuriens, nous n’ayons pas terminé notre évolution en bestioles de clapier, avec de la fourrure partout, et des yeux en boutons de nacre... ou bien en d’autres navrantes possibilités, ce qui peut être, n’aurait pas été plus mal, qui sait ? La préhistoire tente péniblement de percer le secret de nos origines, et cela m’a toujours passionné.
Mettez en relation cette passion et celle des diaporamas de l’époque, et vous comprendrez pourquoi je fus immédiatement enthousiasmé par cette proposition de visite. C’était, déjà, de la déformation professionnelle...!
Donc, un dimanche de bon matin, habillés de salopettes, chaussés de bottes et munis de casques de chantier, travestis en spéléologues amateurs, nantis de lampes électriques, nous partîmes une dizaine de collègues pour cette expédition souterraine. Je serrais sur mon coeur mon appareil photos avec son (énorme) flash.
Pour accéder à la petite rotonde qui abrite les peintures, il faut successivement franchir un étroit boyau d’environ dix mètres de long et quatre vingt centimètres de diamètre, vraie ratière, puis descendre avec une corde une cascade de stalactites de sept à huit mètres de haut, et enfin parcourir sur cinq à six cents mètres une vaste et large galerie couverte de boue glissante, surplombant des précipices obcurs dont on ne pouvait que difficilement sonder la profondeur à la lueur de nos lampes torches.
Bref, ce n’est pas un trajet de tout repos pour des amateurs.
Arrivé au fond, je photographiais minutieusement toutes les peintures, raclures, griffures et signes divers qui tombèrent sous mon objectif, en me pourlèchant à l’avance du magnifique documentaire diaporama que j’allais réaliser ! À cette époque j’ignorais que le flash abîme les peintures et je n’étais pas le seul.
Nous sortîmes de là vers les quatorze heures, les vêtements raidis pas la boue, comme des égoutiers. Mais, hélas, à peine rentrée à la maison, je subis la plus grosse déception professionnelle de ma carrière. Par la plus atroce des malchances, le mécanisme d’entrainement de la pellicule n’avait pas fonctionné et je n’avais rien soupçonné dans l’obscurité.. Je n’avais pris aucune photo.
Rendu furieux par cette déception, je décidais illico de recommencer le mercredi suivant, jour de congé scolaire, mais d’en faire profiter cette fois ci ma femme et mon fils, alors âgé de huit ans !! Je crus bon toutefois de m’adjoindre Francis, au cas où.., vu la présence du petit dans cette expédition. Toujours pour cette raison, j’emportais une échelle en plus de la corde !!
Trainer une échelle dans le boyau initial, pour s’apercevoir ensuite qu’elle n’était pas assez longue, descendre ensuite le gamin pendouillant comme un pendule au bout de la corde le long des stalactites jusque dans les bras de Francis qui était descendu le premier... quelle inconscience quand j’y pense !!! Mais cela ne nous troubla pas une minute, et paraissait aller de soi !!
Nous avions chacun une lampe électrique et par précaution des piles de rechange. Mais on ne prévoit jamais tout, et ce fut l’ampoule de ma lampe qui grilla. Des ampoules, ça, on n’en avait pas prévu ! Heureusement, les autres lampes tinrent bon. Cependant, quand nous sommes ressortis, bien plus tard, boueux et éreintés, je m’aperçus à la lumière du jour que le petiot n’était pas très rassuré. Il serrait fermement la lampe dans sa main - mais éteinte... Je lui demandais pourquoi. Il me répondit qu’il l’avait « économisée », au cas où les autres ampoules auraient grillé !!! C’est ainsi que je commençais alors à réaliser que j’avais pris quelques risques ce jour là.. et que le gamin avait été, somme toute, bien plus prudent que moi.
Mais l’objectif était atteint. J’avais mes diapos. Le plus beau de tout fut que cela ne donna jamais lieu au moindre diaporama !! Je ne sais plus pourquoi. Par contre les diapos doivent - peut-être - encore se trouver dans les archives du collège.
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