En tant que professeurs documentalistes, de par nos missions, nous sommes très sensibles au sujet des violences en ligne que peuvent rencontrer les élèves. Nous sommes nombreux à intégrer le sujet lors de séances d’EMI, de séances consacrées au « vivre ensemble » ou de projets en lien avec le climat scolaire. Par les contacts réguliers que nous avons avec les élèves, par les interventions que nous menons en classe, par les discussions que nous avons avec eux au CDI, nous jouons aussi un rôle de « vigie ». C’est parfois vers nous qu’ils se tournent quand ils repèrent des situations problématiques.
D’ailleurs, quel professeur(e) documentaliste n’a jamais été interpellé(e) par son ou sa chef d’établissement au sujet d’un problème de violence en ligne commis par un ou plusieurs élèves de l’établissement ? A qui n’a-t on jamais demandé, dans l’urgence, de prévoir une ou plusieurs interventions avec une classe pour armer les élèves à mieux vivre un problème semblable ?
Pour réagir à toutes ces situations nous menons une veille régulière sur le sujet. Mais c’est un travail long… Et nous avons parfois besoin d’une bonne remise à niveau sur le sujet !
Le livre de Bérengère Stassin, (cyber)harcèlement , est le livre idéal pour découvrir ou se remettre à jour sur toutes les questions de violence en ligne. Indispensable pour les professeurs documentalistes, il sera aussi utile pour les personnels de direction et les CPE concernés par ce sujet. Très accessible, il se lit avec facilité et permet de préciser et de structurer les concepts en lien avec la violence en ligne. Plus encore, le livre propose des pistes pédagogiques et éducatives en prévention des situations de harcèlement.
L’ouvrage pose en premier lieu une définition du harcèlement scolaire et relate l’historique de sa prise en compte dans l’éducation Nationale. Bérengère Stassin distingue ensuite la cyberviolence du cyberharcèlement.
Pour le domaine de la cyberviolence, l’auteure décrit tour à tour les violences verbales, les violences sexuelles comme le revenge porn, les violences physiques comme le happy slapping (le fait de se filmer en train de distribuer des coups à un inconnu) et décrit les différents challenges ayant eu cours sur le web depuis 2012 (fire challenge, blue whale challenge...). Elle aborde aussi les phénomènes de violence de meute dont ont été victimes des youtubeuses, des journalistes et explique ce que fut l’affaire récente de la ligue du LOL.
Pour la question du cyberharcèlement, l’auteure aborde d’abord le phénomène hors l’école pour en préciser ensuite les spécificités scolaires et ce que cela induit des relations entre les élèves.
Enfin, l’ouvrage offre de pistes institutionnelles et pédagogiques d’intervention et de prévention du cyberharcèlement. Le rôle des partenariats associatifs ainsi que des instances comme le CESC (comité d’éducation à la santé et la citoyenneté) sont précisés. L’auteure relève la nécessaire formation aux compétences psycho-sociales et notamment la formation aux émotions individuelles et collectives notamment dans le cadre du parcours éducatif de santé. Enfin elle souligne et développe le rôle de l’EMI pour renforcer les compétences numériques, informationnelles, médiatiques et communicationnelles des adolescents.
(cyber)harcèlement est donc un ouvrage à la fois extrêmement précis, documenté et exhaustif sur le sujet des cyberviolences…. Une lecture indispensable !
Pour vous faire une idée plus précise de son ouvrage, nous avons demandé à l’auteure de répondre à quelques questions. Nous la remercions d’avoir accepté...
1. Pouvez-vous en quelques lignes nous donner votre parcours et la genèse de cet ouvrage ?
J’ai soutenu une thèse en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Lille en novembre 2015. Cette thèse portait sur le terrain de la blogosphère infodoc et visait à montrer que le blog était un nouveau dispositif de médiation de l’information favorisant l’émergence de communautés de savoir en ligne et permettant aux blogueurs de valoriser leurs compétences et leur expertise, de construire leur identité numérique et leur e-réputation. Peu de temps après ma soutenance, je suis intervenue dans un lycée pour parler de l’identité numérique et des réseaux sociaux dans le cadre d’une séance d’EMC auprès d’élèves de Seconde. Certains d’entre eux m’ont fait part des nouvelles formes de violence auxquelles ils étaient confrontés : insultes et moqueries en ligne, publication d’images compromettantes... Alors que je ne m’intéressais pas vraiment à ces questions à l’époque, je me suis dit, à l’issue de cette intervention, que la cyberviolence était un autre prisme sous lequel l’identité numérique pouvait être étudiée. En septembre 2016, j’ai été recrutée comme maître de conférences à l’Université de Lorraine. J’ai rejoint le Centre de recherche sur les médiations (Crem) et me suis immédiatement lancée dans la recherche sur ces nouveaux phénomènes. J’ai ouvert un carnet de recherche sur Hypothèses pour partager mes lectures et mes premières réflexions. Sont ensuite venus les articles sur The Conversation. Puis, j’ai rencontré Hervé Le Crosnier, qui a su me convaincre d’écrire un petit ouvrage de synthèse sur ces questions.
2. Selon vous, la question des cyberviolences est-elle une question centrale dans la société et pourquoi ?
Oui, c’est une question centrale. La cyberviolence frappe partout, à tout âge et dans tous les milieux : l’école, l’université, le monde du travail, la sphère privée… Différentes zones du web regorgent en outre de discours de haine. La cyberviolence est ancrée dans le racisme, le sexisme, la grossophobie et l’homophobie, comme le montre régulièrement l’actualité. On pense ici aux affaires Nadia Daam ou Bilal Hassani ou encore au récent scandale de la Ligue du LOL. Cette violence doit avant tout être pensée comme une forme renouvelée et médiatisée d’une violence plus traditionnelle. Mais la chambre d’écho que constitue le web l’amplifie, parfois de manière démesurée. Concernant les adolescents, nous savons qu’environ 20 % d’entre eux y sont confrontés, parfois de manière répétée, donc harcelante. Le harcèlement scolaire et son pendant numérique qu’est le cyberharcèlement ont des conséquences terribles sur ceux qui en sont victimes. La lutte contre ces phénomènes doit donc être une priorité.
3. De quelle façon ces phénomènes impactent-ils aussi l’école, les élèves et les adultes qui les encadrent (enseignants, personnels de direction) ?
Le harcèlement scolaire, tel qu’on le connaissait jusqu’à la fin du siècle dernier, s’exerçait dans des lieux et des temps bien circonscrits : la cour de récréation, la salle de classe... Mais une fois sorties de l’école, les victimes trouvaient un peu de répit. Aujourd’hui, il n’est pas rare que leurs agresseurs les poursuivre en dehors de ces temps et lieux par le biais des smartphones et des médias sociaux. Cela signifie que la violence scolaire sort désormais de l’école et que parmi les témoins ou les agresseurs se trouvent des personnes totalement extérieures aux établissements, mais qui font partie du même « réseau social numérique » que les victimes et agresseurs principaux. Mais un autre cas de figure est possible : une violence est perpétrée sur les réseaux sociaux, le soir ou pendant le week-end, et déclenche une vague de brimades qui sont infligées à la victime, en face à face, dans l’enceinte de l’école. Une violence initialement non scolaire devient alors scolaire. Enfin, il faut aussi avoir conscience que les enseignants ne sont pas épargnés et peuvent, eux aussi, se faire insulter ou moquer en ligne, par des élèves, des parents d’élèves ou par leurs propres collègues. C’est donc l’environnement scolaire dans son ensemble qui est impacté par la cyberviolence.
4. Comment pensez-vous que nous pouvons en tant qu’enseignants, et plus précisément professeurs documentalistes, prévenir cette violence ?
Il faut envisager le harcèlement et le cyberharcèlement comme les deux faces d’une même pièce et les combattre par les mêmes dispositifs et notamment par des dispositifs éducatifs. Dans mon livre je parle de l’éducation à l’empathie, car les émotions jouent un rôle prépondérant dans ces phénomènes. Il faut apprendre aux élèves à verbaliser leurs émotions, mais aussi à reconnaître celles des autres, à se mettre à leur place. Je parle aussi de l’éducation aux médias et à l’information, qui vise, entre autres, à apprendre aux élèves à gérer leur présence en ligne, à comprendre le fonctionnement des médias sociaux, mais aussi à identifier la nature des messages et à faire preuve d’esprit critique. L’enjeu est de leur faire prendre conscience qu’une information compromettante circulant, en ligne ou hors ligne, à l’encontre de tel ou tel camarade n’est peut-être qu’une simple rumeur visant à lui nuire et qu’il n’est probablement pas nécessaire de la relayer ou de la « liker ». Le professeur documentaliste a bien évidemment un rôle clé à jouer dans ces éducations et notamment dans le renforcement de la culture informationnelle et numérique des élèves. En outre, pour travailler sur les émotions, la tolérance, la différence, certains documentalistes mettent en place des ateliers de bibliothérapie. C’est aussi une belle piste à creuser.
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