Nicole, cela fait 10 ans que tu as soutenu ta thèse sur l’activité de recherche d’information juvénile. L’un des résultats de ces travaux de thèse concernait le « rôle des copiés-collés dans l’activité de recherche d’information d’élèves du secondaire ». Depuis, de nombreux collègues se sont emparés de la question, à travers l’expression qui est la tienne, de « document de collecte ». Des stages PAF, des formations et des ateliers sur le sujet sont proposés tous les ans. Doc pour Docs montre très visiblement cette appropriation.
Quel est ton regard sur ce parcours, de la notion de document de collecte » et plus largement de la prise en compte des copiés-collés des élèves ?
Dix ans après, je reste captivée devant la rapidité de l’appropriation par les collègues et surtout la mise en partage continue de cette partie de ma recherche doctorale. Je garde le souvenir d’échanges dès 2008-2009 avec toi, Marion, et Noël Uguen sur ce sujet. Vos propres réflexions et travaux didactiques ont été tout aussi vite saisis et prolongés par les collègues. On peut penser que le changement de statut des copiés-collés, qu’induisaient mes travaux, renforcés par les vôtres, a favorisé cette réflexion collective autour des « copiés-collés ». Du statut de scories de la recherche d’information en régime numérique, les copiés-collés sont passés à celui de ressources pour les enseignements informationnels. Le fait que vous ayez repris l’expression « Document de collecte » le prouve, me semble-t-il. Et puis, peut-être qu’avec le « Document de collecte », les collègues ont vu l’opportunité de sortir de l’unique problématique juridique et éthique qui était jusqu’alors rattachée aux copiés-collés. Si celle-ci n’était (et n’est toujours) pas à négliger, elle visait surtout la sensibilisation à l’évitement du « plagiat ». Le « Document de collecte », lui, permettait de tracer un nouveau chemin en didactique, celui qui menait à la prise en compte des nouveaux comportements informationnels des élèves.
Il nous semble que la prise en compte de la pratique du copié-collé était aussi une invitation à dépasser la méthode des étapes de la recherche documentaire qui avait le vent en poupe dans les années 80 et 90. Or certains collègues intègrent maintenant les copiés-collés comme une étape supplémentaire de la recherche. Penses-tu que nos élèves aient besoin de cette simplification par étapes ou que, au contraire, cela peut desservir leurs apprentissages ?
Sur ce point, les appropriations et expérimentations des collègues, même divergentes, sont, à mes yeux, toutes valables. Les adaptations pédagogiques les meilleures sont celles qui convainquent ceux et celles qui les mettent en œuvre. Il est cependant évident que je partage les conclusions que vous tirez. En effet, le modèle (d’enseignement) en étapes est une vision excessivement simplifiée de la recherche d’information. Certes, il comprend bien des itérations entre étapes mais on n’y voit pas les interactions mutuelles des phases du processus informationnel et encore moins la façon dont les copiés-collés donnent du jeu à ces interactions. Toutefois, je comprends très bien que, pour d’autres collègues, le document de collecte fonctionne comme moyen d’enrichir l’ « étape » d’usage de l’information qui était, il faut bien le dire, peu remplie d’objets d’enseignement, pour les professeur.e.s documentalistes. A défaut de substituer un nouveau modèle (d’enseignement, j’insiste) au modèle en étapes, on peut estimer qu’il s’agit là d’une autre façon de faire évoluer un dispositif qui facilite l’enseignement informationnel.
Selon toi, l’activité de copié-collé des élèves est-elle ou non directement liée à l’avènement d’Internet ?
L’adage « rien ne change, tout change » résume bien la situation …. Le « plagiat » en contexte d’apprentissage est étudié au moins depuis les années 60. Reste la question de l’ampleur du phénomène des copiés-collés. Pour y répondre, le mieux est de se tourner vers les travaux Christophe Michaut [1] Dans ses enquêtes, les 2/3 des lycéens déclarent copier-coller, ce qui est considérable. Toutefois seuls 15 % déclarent le faire de manière régulière… En ce sens, on ne peut pas répondre positivement à la question. Ce n’est pas non plus une particularité du système éducatif français puisqu’on retrouve peu ou prou les mêmes pourcentages dans d’autres pays. On sait également qu’il y a un effet « matière ». Les copiés-collés sont plus courants dans les disciplines scientifiques (entendre « sciences de la nature ») et techniques que littéraires ou en sciences sociales. On en revient toujours au même constat : une technologie ne détermine jamais entièrement une pratique. Il faut le garder à l’esprit, même si l’évidence ne saute pas aux yeux, pour la pratique de copier-coller. Tout change… La technologie n’est pas pour autant dénuée d’effets. Par exemple, du point de vue de la notion d’auteur, livres et sites web sont perçus différemment par les jeunes. L’auteur est mis au premier plan pour les livres mais pas pour les sites. A force de circuler de sites en sites, l’auteur se dilue voire n’a jamais été présent dans l’esprit des jeunes chercheurs d’informations, selon les deux interprétations de ce phénomène que l’on retrouve dans la littérature scientifique. Cependant, ce type d’interprétation n’a jamais fait l’objet de preuve empirique. Il s’agit de pures conjectures... En revanche, le fait que, pour les élèves, copier-coller des extraits sites soit plus acceptable que copier-coller des extraits de livre, est un constat récurrent et solide.
Milad Doueihi dans, Pour un humanisme numérique, dit que le copié-collé répond à une évolution sociale. Les copiés -collés renoueraient avec une pratique lettrée ancestrale de l’anthologie, pratique rendue aujourd’hui incontournable en raison de l’info-obésité. Qu’en penses-tu ?
L’idée d’anthologie est de nature à orienter des projets pédagogiques de façon très intéressante, puisque l’anthologie repose sur une série de choix. Il y aurait ici un beau moyen de faire à nouveau converger, pour le meilleur, apprentissages informationnels (comme la focalisation sur le thème de recherche, et la sélectivité des sources et contenus informationnels) et pratiques usuelles de copier-coller des jeunes. Ceci me fait également penser aux réflexions autour de la notion de curatorship, curateur, associée à celle d’éducation aux médias numériques [2]. Je cite, de mémoire, une des idées : en assemblant, désassemblant plusieurs ressources, et de différents formats, on comprend qu’il existe des relations entre les textes et formats sélectionnés.
Selon toi, peut-on lier la pratique du copié-collé scolaire celle de la culture du remix (que l’on retrouve pour la musique par exemple), et celle de la culture du détournement (comme celle des fanfictions) chez les jeunes ?
Si l’on entend la culture du remix comme une opposition aux autres formes culturelles, c’est-à-dire celles qui renvoient aux limitations de l’accès et de la circulation des contenus, pour reprendre la caractérisation de Jenkins, ou encore comme forme d’expression créative au sens défini par Certeau pour les pratiques quotidiennes, alors on pourrait penser que la « culture des copier-coller » en est une manifestation. Si l’on poursuivit dans la même veine, on arrive aux tensions entre les valeurs de cette culture et celles de la culture scolaire. Toutefois, il resterait à prouver empiriquement la proximité des cultures du remix et des copier-coller. Dans tous les cas, ce type d’explication ne pourrait concerner qu’une part assez réduite des adolescent.e .s, qui sont peu nombreu.x.ses à créer et partager des contenus ou encore, pour les plus jeunes, à disposer d’une vue claire sur les enjeux politiques sous-jacents à ce type de pratiques.
Avec l’utilisation pédagogique des copiés-collés, y a-t-il selon toi des pistes fertiles pour assurer des transferts entre les d’apprentissages scolaires et les pratiques sociales des adolescents ?
Il est très difficile de répondre à cette question. La question des transferts d’apprentissage est l’objet d’un nombre considérable d’études dans plusieurs disciplines, ce qui donne une idée de sa complexité. D’un point de vue cognitif, elle se rapporte à la question, toujours débattue, du rôle du contexte dans le développement des apprentissages, aux types de connaissances qui facilitent ou pas le transfert, etc. voire à la définition de ce qu’est un transfert… Cependant, dans le domaine qui est le nôtre, il est judicieux de penser que le transfert des apprentissages formels vers les pratiques sociales des adolescent.e.s (dans le but d’en accroître les bénéfices pour eux-mêmes et les autres) est une question d’une grande importance parce qu’elle renvoie aussi aux inégalités sociales. Si l’on s’en tient au domaine de l’information et des médias, on sait que les médiations des adultes (enseignants, parents, éducateurs) garantissent, en très grande partie, le développement des apprentissages et on le suggère ici, le transfert d’apprentissages. Les possibilités éducatives dans les familles vis à vis de l’information et des médias étant très variables, les médiations enseignantes des professeur.e.s documentalistes sont primordiales. De mon côté, j’aurais tendance à penser qu’il faut poursuivre le même type d’investigation que celui qui a prévalu pour l’étude des copiés-collés dans la recherche d’information. Voir ce qu’il s’y passe et identifier les « bénéfices » des diverses pratiques numériques (informationnelles, relationnelles, culturelles (dont celle des jeux vidéo)), pour penser de nouveaux points de vue didactiques. Par « bénéfices », il ne s’agit pas de juger de ce qui est bon ou de ce qui ne l’est pas dans une pratique mais bien de repérer comment les jeunes « ont prise sur » telle pratique, pour le dire en termes concrets. Cela suppose de poursuivre, dans cette perspective, les travaux scientifiques, et en relation étroite avec les praticien.ne.s.
Nicole, la grande inquiétude, quand on commence, en tant que professeur(e) documentaliste, à autoriser les copiés-collés des élèves, c’est qu’ils risquent ne rien apprendre. Peux-tu nous rassurer sur ce point ? As-tu au cours de tes recherches identifié d’autres limites ?
Les jeunes de mes enquêtes actuelles, le disent... en désignant les autres. « Il y en a, j’en connais, ils font des copiés-collés mais ils apprennent rien, tant pis pour eux » me disait récemment une lycéenne de 16 ans. J’ai rencontré ce genre de réflexions spontanées bien souvent. Penser que les autres font moins bien que soi-même est d’ailleurs une attitude très commune … à tous les âges et pour bien des activités… C’est le fameux biais d’optimisme dans le cas de comparaison sociale. On le retrouve dans l’ « effet troisième personne », bien connu dans les études sur les effets des médias : les gens pensent que les autres sont plus influencés par les messages médiatiques qu’ils ne le sont eux-mêmes. Les jeunes, dans les entretiens, parlent aussi d’eux-mêmes, en montrant qu’ils connaissent et suivent, en bons élèves, les normes et valeurs scolaires.
Côté recherche, le sujet fait l’objet de nombreuses études mais je n’en connais aucune qui confirme l’absence d’apprentissages à cause du copier-coller… Mes travaux ont montré eux aussi qu’il n’en était rien puisque les copiés-collés sont un moyen de mener une activité de recherche d’information, complexe à l’école (faire une recherche sans connaissances sur le sujet et informationnelles), et par définition au service de l’acquisition de connaissances sur une matière. Côté enseignant, il ne s’agit pas à proprement parler d’autoriser les copiés-collés mais d’en faire quelque chose dans le cadre d’apprentissages informationnels, qui ne sont pas les plus simples à enseigner.
Que penses-tu de revenir avec nos élèves sur leurs traces de recherche grâce aux copiés-collés collectés ? Quels apprentissages informationnels sont engagés ?
C’est une excellente façon de permettre aux élèves d’être réflexifs vis à vis de leurs recherches d’information, et de progresser dans tous leurs apprentissages. Elle est à rapprocher de « l’autoconfrontation », un dispositif qui a fait ses preuves dans le domaine éducatif, et utilisé pour les mêmes raisons, d’accroissement de la réflexivité, par la recherche scientifique (c’est une riche méthode de collecte de données). Généralement, elle est réalisée à l’aide d’enregistrements filmiques de l’activité. C’est d’ailleurs la méthode que j’ai utilisée pour étudier la recherche d’information juvénile, donc les copiés-collés. De ce point de vue, on ne peut qu’approuver l’économie de moyens qu’offre le « Document de collecte » pour confronter les élèves à leurs activités informationnelles.
Les copiés-collés ont a minima à voir avec la compréhension de son thème de recherche (on copie-colle ce que l’on comprend de son thème), l’évaluation de l’information (on copie-colle ce qui est crédible), et les surveillance et régulation de son activité de recherche (on examinant ses copiés-collés, on évalue l’état de son activité de recherche d’information). En revenant avec les élèves sur leurs traces de recherche, il y a donc une triple entrée en termes d’apprentissages informationnels. Est-ce qu’il y en a d’autres, je n’en suis pas sûre. À mes yeux, le document de collecte ne sert bien que ces trois apprentissages. J’apprécierais cependant d’être contredite !
Ne penses-tu pas que si certains élèves s’en tiennent à rendre des copiés-collés, c’est en partie la faute aux consignes scolaires qui ne sont pas adaptées au monde informationnel actuel ?
Cela tient à une diversité de circonstances, l’effet filière que j’ai déjà évoquée. On peut ajouter une question développementale, par exemple, les plus jeunes copient-collent davantage que les plus âgés. On pourrait ainsi citer d’autres facteurs en puisant dans les travaux de plusieurs disciplines. Ils sont nombreux. Logiquement, on peut donc penser que modifier les consignes scolaires ne permettrait donc pas à tous les élèves d’éviter les copiés-collés dans leurs devoirs.
On voit plusieurs réponses dans les différents pays. Par exemple, on plaide pour un apprentissage dès le primaire de la prise en compte des copiés-collés (en termes de prévention du plagiat, de culture de l’intégrité académique). Cependant, il n’est interdit de faire évoluer ou de diversifier la forme des consignes… Par exemple, demander systématiquement aux élèves de justifier leurs copiés-collés. Autrement dit, leur demander de mettre en mots leurs critères de sélection des extraits copiés collés (vs leur demander uniquement de « reformuler avec vos propres mots » ). On a ainsi une tâche d’écriture, comme dans le cas de la reformulation. Mais, cette tâche est de nature à rendre bien visible le travail de recherche d’information. C’est une autre conception des copiés-collés : ceux-ci sont pertinents pour les élèves et il faudrait donner la possibilité d’exprimer ces sens attribués. Ce type de consigne aurait une autre vertu, celle d’ éviter que les principaux critères de choix ne tournent autour de la tâche scolaire à réaliser et au contraire, favoriserait les jugements de pertinence focalisés sur la source et le contenu de l’information.
Certains professeurs documentalistes ont mis en pratique des prolongements au document de collecte en lui donnant une pérennité qu’il n’avait pas vocation à avoir au départ. Que penses-tu par exemple, lors de l’étude de controverses d’intégrer pleinement le document de collecte enrichi aux productions finales ?
Cela fait longtemps que je pense que les meilleur.e.s pour penser les conséquences éducatives, pédagogiques, et didactiques des travaux de recherche ne sont pas les chercheur.euse.s mais les collègues sur le terrain ! Les chercheur.euse.s en restent bien souvent à des généralités quant aux implications qu’ils/elles tirent de leurs travaux. Sur le terrain, la réflexion se prolonge, se précise et s’adapte au contexte d’exercice de chacun.e. Votre proposition de faire usage du « Document de collecte » comme dispositif collectif, pour l’étude des controverses, en est encore la preuve. Si on lui ajoute une perspective temporelle, elle me semble bien coller avec ce que propose Chateaureynaud [4] pour qui il faut prendre en compte « les nouvelles questions et hypothèses [qui] viennent modifier l’espace de raisonnement collectif des protagonistes », et repérer « comment les protagonistes révisent, ou non, leurs versions ou options (…) ». Les controverses sont un sujet porteur pour l’ÉMI qui, il faut le souligner, est bien taillée pour les étudier avec les élèves.
Penses-tu que ces questions liées au copié-collé puissent être rapprochées de celles des Communs, activités qui permettent à une communauté de gérer une ressource ? Que penses-tu de cette vision de la gouvernance de l’information ?
Si le terme « gouvernance » me déplaît pour sa connotation à une idéologie qui me paraît incompatible avec l’idée de « Communs », j’adhère totalement aux Communs de la connaissance, qui sont vitaux, pour tous et toutes, en tous lieux. Ici, je suivrais plutôt Dardot et Laval qui proposent « gouvernement », plus exactement, « pratique de gouvernement des communs (soulignés par les auteurs) par les collectifs qui les font vivre » . Les combats, pour la reconnaissance et le développement des Communs, menés par les professionnels de l’information et des chercheur.euse.s qui ont choisi de centrer leurs travaux sur cette thématique, sont essentiels. Les activités de vulgarisation et de sensibilisation d’Hélène Mulot montrent bien que les principes des « Communs » sont de nature à charpenter l’EMI dans une direction nouvelle. Celle-ci peut être le point d’entrée d’une série d’apprentissages critiques, à proposer résolument aux élèves et étudiants. L’apprentissage de l’éthique et de la légalité doit désormais s’articuler intelligemment avec celui de la littératie critique en relation avec l’information, comme celle développée par des auteurs comme Elmborg [5] . On y pense les questions fondamentales autour des infrastructures de l’information et on y critique les visions dominantes du monde. On vise l’acquisition par les élèves et étudiants d’une conscience critique vis à vis de l’information. Pour l’éducation à l’information, c’est une façon, politique, de converger vers l’éducation aux médias, qui a toujours porté une perspective critique. À mes yeux, la manière la plus intéressante de faire converger les deux littératies… A suivre !
Nicole Boubée
Maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication
ÉSPÉ Toulouse Midi-Pyrénées, Université Toulouse Jean Jaurès
Thèmes de recherche : Pratiques de recherche d’information. Pratiques d’information d’actualité. Usages juvéniles de l’internet. Éducation aux médias et à l’information.
Responsable du Master 2 Éducation aux médias et à l’information à distance
@nb_etlse
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