« Avec l’apparition des nouveaux dispositifs pédagogiques transversaux pour le collège et le lycée - itinéraires de découverte (IDD), travaux personnels encadrés (TPE), projet pluridisciplinaire à caractère professionnel (PPCP), éducation civique juridique et sociale (ECJS) - puis la mise en place progressive du brevet informatique et Internet (B2I), le rôle du professeur-documentaliste devient plus important. « Mécaniquement » déjà, ne serait-ce que par le rôle incontournable de l’espace CDI assigné par les textes officiels, il n’est plus seulement une interface privilégiée entre le document et l’élève - un « intermédiaire des chercheurs et des curieux » selon Paul Otlet - mais devient un enseignant délivrant une pédagogie documentaire transversale, souvent innovante, bien en amont du document existant. »
Surtout en amont...! Car c’est à partir de cet amont que se construisent vraiment savoirs et cultures. Rien que cet amont nécessiterait un livre entier, et n’épuiserait pas le sujet.
« La territorialité du CDI s’exerce avant tout dans un environnement. Situé « au cœur de la vie de l’établissement » comme le stipule la Loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989, le centre de documentation et d’information bénéficiant d’un positionnement stratégique génère une révolution des pratiques pour devenir un « CDI au cœur du projet pédagogique ».Ce territoire du quotidien est constitué selon des principes souvent communs à tous les établissements. La personnalité du documentaliste impose cependant à ce lieu une empreinte physique caractéristique sur les espaces de lecture, l’agencement du mobilier, l’éclairage, le choix du matériel de bibliothèque, etc. Néanmoins, il doit aussi prendre en compte des contraintes incompressibles : l’espace (la surface au sol et son aménagement : la banque de prêt, les OPAC , les étagères, les ouvertures) et la sécurité. »
Ces contraintes spatiales, de mobiliers et d’équipements divers, pèsent quelquefois, et trop souvent, très lourdement sur le rôle des CDI. Les architectes devraient bien s’en souvenir !!
« Sur trois années passées à l’IUFM de La Réunion, une observation rapide du comportement des candidats préparant l’épreuve orale de technique documentaire permet d’affirmer que ces derniers, dans leur très grande majorité, sont des « googlemaniaques » et ne contredisent en rien les statistiques récentes des internautes qui plébiscitent cet outil à plus de 73 %.Le recours aux moteurs de recherche devient une pratique généralisée au CDI. Le fonds documentaire est parfois même exclu au profit d’une information online jugée plus récente et donc plus fiable... « Hors d’Internet point de salut, point de modernité. Hors d’Internet nous sommes condamnés à l’ignorance, aux archaïsmes » (Musso 2003b, 53). »
C’est clairement abusif !! Point de modernité peut être, mais point de salut, c’est évidemment discutable !! De plus ce qui est récent n’est pas forcément plus fiable.
« Traditionnellement, le documentaliste se trouve être l’élément central de ce vaste projet. C’est lui qui valide l’information et décide selon des normes et des procédures standardisées de signaler un document, de le classer et de le diffuser.La grande difficulté des documentalistes actuellement - mais aussi des bibliothécaires chargés de la méthodologie du travail universitaire (MTU) en première année (DEUG), par exemple - est de transmettre une démarche méthodologique de recherche et de validation des documents numériques. »
Vastissime question !! Mais pas seulement. En fait, celui ou celle qui est capable de construire la démarche documentaire la plus pertinente vis-à-vis d’un sujet donné sera sans doute le plus habilité à valider les documents trouvés. Mais, en tout état de cause, la validation donnée reste toujours relative à la connaissance du sujet !! Ce qui ne résoud en rien, et même complique considérablement le problème de l’apprentissage. Cela revient à dire en effet que celui qui sait trouve.., et trouve, et trouve toujours encore plus. De ce fait la seule vraie question est de permettre à l’élève de démarrer sa boule de neige documentaire personnelle. A partir de ce constat sans illusion, l’enseignant doit être capable de construire une façon -adaptée à chaque cas, c’est son rôle- de former les élèves à ces méthodes tout en leur inculquant des savoirs.. chemin faisant. C’est peut être un objectif modeste, qui peut paraître sans grande ambition, mais indispensable. Il s’agit -pardonnez moi cette expression culinaire- de faire prendre la mayonnaise.
« Si le professeur-documentaliste pouvait encore maîtriser par ses pratiques la masse documentaire du CDI traditionnel, l’arrivée du numérique provoque une perturbation importante. Internet est non seulement un formidable outil de communication et de coopération mais aussi une volumineuse bibliothèque virtuelle (l’organisme chargé de statuer sur les normes du Web, le W3 consortium, se trouve à l’origine de la première bibliothèque virtuelle en ligne : The Virtual library). Les pratiques du documentaliste évoluent inévitablement avec un temps de latence (ce que les historiens appellent le « temps des mentalités ») et correspondent en partie à l’interprétation que ceux-ci se font du document numérique (« forme », « signe » ou « médium ». Cf. Pédauque, 2003).Des tentatives de régulation existent depuis la naissance du HTML. Une page Web vue à l’écran n’est pas exactement la même vue par un robot de recherche. Dès la normalisation du langage HTML des balises spécifiques délivrent des renseignements descriptifs et des éléments sémantiques sur les données du document lui-même. Ces métadonnées permettaient dans les années 1994-1996 à un moteur puissant - AltaVista - de développer un algorithme de recherche prenant en compte les méta-balises inclues dans l’en-tête (head) des pages Web et de faciliter la catégorisation (clusterisation) dynamique des données (fonction Refine du moteur).
Depuis quelques années le plus important organisme de fédération de bibliothèques - l’OCLC : Online computer library center - travaille sur la mise en place de données sur les données de manière plus structurante (descriptivement et sémantiquement). Ce vaste chantier appelé Dublin Core Metadata Initiative (DCMI. Le siège de l’OCLC est à Dublin, Ohio) permet aux professionnels de l’information et de la documentation de cataloguer plus lisiblement les ressources en ligne et de rendre interopérables les autres métadonnées.
Cette pratique n’est pas nouvelle puisque les bibliothécaires cataloguaient déjà en format MARC (MAchine Readable Cataloging) les documents (primaires) pour approvisionner leur catalogue. Ce qui est novateur, c’est que le Dublin Core (DC) se substitue au format MARC. Le document primaire possède ainsi une encapsulation dans son en-tête qui l’identifie et ces données (secondaires) sont fournies soit par un professionnel de la documentation (dans la logique de l’OCLC) soit par l’auteur de la page.Le Dublin Core peut servir de solutions appropriées face à l’obésité documentaire donc à la régulation des centres de documentation et à la bonne gestion documentaire des ressources électroniques. L’OCLC possède un catalogue collectif mondial créé et maintenu collectivement par plus de 9000 établissements (WorldCat) et détient les parts de la société néerlandaise PICA qui gère le système universitaire de documentation français (SUDOC). Ceci induit peut-être une stratégie d’interopérabilité de cet organisme entre ressources sur support papier (niveau local) et ressources numériques (niveau global).
Des éléments Dublin Core pour l’éducation existent aussi : le LOM (Learning Object Metadata) en cours de développement par l’IEEE et en France, un programme interdisciplinaire du CNRS travaille sur une autre application pour donner un sens aux données, les ontologies : le projet OURAL (Ontologies pour l’utilisation de ressources de formation et d’annotations sémantiques en ligne).
Quel peut être l’avenir de la documentation numérique ? Il semble que le format de données XML, qui existe déjà, avec une implémentation successive de briques permettant une indexation sémantique (RDF : Resource Description Framework, OWL : Web Ontology Language ...), facilitera la naissance d’un Web sémantique (Semantic Web) : l’aboutissement d’un rêve selon Tim Berners-Lee...
« Et le ministère de l’Education nationale dans tout cela ? ». Le centre national de documentation pédagogique est actif dans ce domaine et participe par l’intermédiaire du CRDP de Montpellier à un « groupe de travail métadonnées éducation » (GTME). Le moteur du CNDP - Spinoo - sera à terme capable de proposer une interface de recherche où les métadonnées seront prises en compte. »
Le rêve passe ! Le rêve du Bibliothécaire : tout pouvoir indexer, classer, cataloguer, répertorier, sans rien délaisser du visible et de l’invisible, en temps réel....! Tous les systèmes de classements à la course derrière les technologies, ventre à terre comme le lévrier des cynodromes derrière le leurre...! Et pourtant cela fait partie de notre boulot, c’est vrai. L’espoir du bibliothécaire, basé actuellement sur les metadonnées, le XML, le Dublin Core,.. comme il fut basé sur la Dewey, la CDU, le format MARC.... avant que ça change encore, et que ça rechange. Car la norme suit la technologie, et la technologie galope, galope ! C’est plus qu’un rêve, c’est un mirage qui recule quand on avance, comme dans les dunes du Tassili....! Mais c’est bien utile... même si ce n’est jamais satisfaisant.
« Pour le (cyber)documentaliste, il est alors nécessaire de retrouver des repères (notion de territorialité) et des liens pour se projeter de nouveau entre une communauté locale (l’établissement) et une communauté « globale » (les CDI sur le Web, les réseaux de documentalistes, les sites coopératifs, etc.). »
Sans doute. Mais il ne faut pas perdre de vue qu’auparavant les Docs étaient isolés dans leurs Etablissements comme Robinson dans son ile... !!
« Ces outils sont « bibliothéconomiquement » efficaces même si les versions des logiciels changent et acquièrent de nouvelles fonctionnalités. Ici, le système s’auto-administre et s’autorégule. Ainsi, à terme, un élève bien formé pose une bonne requête et trouve le document en rayon. Pour provoquer : un « bon élève » n’a plus besoin du documentaliste dans sa recherche au CDI ! (Caractère téléonomique du système). »
Bien sûr : ceci est valable pour un logiciel de recherche documentaire local type bcdi, pas pour le Web.
« Faire des recherches uniquement à partir de moteurs (voire d’un seul outil) ne semble pas être la meilleure manière pour se représenter le Web documentaire... »
C’est sûrement exact, techniquement exact, mais est-ce la finalité in fine de notre métier à nous autres ?
« Depuis quelques années, certains sites de méthodologies à la recherche d’information servent - théoriquement - de références pour les acteurs de la documentation. Il est à noter que ces sites émanent souvent de bibliothèques universitaires et sont souvent le fait de conservateurs ou de bibliothécaires (ce qui remet en cause une fois de plus les frontières traditionnelles entre les deux professions : documentaliste et bibliothécaire). »
Hé bien justement !! Ce n’est pas une remise en cause, mais une démonstration que nous exerçons des métiers semblables mais différents.
« Il est à noter que ces sites émanent souvent de bibliothèques universitaires et sont souvent le fait de conservateurs ou de bibliothécaires (ce qui remet en cause une fois de plus les frontières traditionnelles entre les deux professions : documentaliste et bibliothécaire). L’Unité régionale de formation à l’information scientifique et technique (URFIST) de Paris propose par exemple un guide méthodologique particulièrement pertinent : CERISE (conseils aux étudiants pour une recherche d’information spécialisée efficace). Idem pour l’ENSSIB (Ecole nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques) avec le site REPERE. L’Université du Québec à Montréal (Infosphère) et l’Université Laval (GIRI : Guide d’initiation à la recherche dans Internet ) sont aussi des « sites ressources ». Pourtant, ces sites - à la disposition de la profession - n’ont quasiment pas été mentionnés dans les résultats de notre enquête. A la question : « Consultez-vous des sites d’aide à la recherche ? (Exemple : Cerise, Repère, Infosphère, Captain-Doc, sites des Urfist) », 44 % de documentalistes répondent « jamais » et 38% « rarement ». Ce qui fait un total de 82 % n’exploitant pas ou très peu les sites de méthodologies. »
Voilà un passage extrêmement intéressant. Ces sites sont en fait des sites techniques de la bibliothéconomie pure et brute. Ils ont pour nous une valeur extrêmement importante pour notre formation et notre culture professionnelle. Pour le reste, c’est-à-dire le rôle d’enseignant de ces méthodes, adaptées par nos soins à des élèves très différents les uns des autres, ce qui est notre spécificité, ces sites ne peuvent et ne doivent être que l’équivalent (par exemple) d’une thèse sur les Carolingiens, lue et assimilée par un prof d’Histoire, afin d’en extraire dix lignes réfléchies et pertinentes, destinées à sa seule classe de 5°. Et cela donnera forcément un enseignement bien meilleur que si l’enseignant l’avait ignoré. Mais l’alambic pédagogique sera passé par là, ce qui n’est pas le problème des gestionnaires de médiathèques, et c’est normal. Alors il faut arrêter d’assimiler ces deux professions complémentaires certes qui cohabitent forcément chez les Docs. La fonction enseignante est celle vers laquelle doit tendre toute notre activité de formation technologique, et pas l’inverse.
« Si l’initiation des élèves des collèges et lycées au CDI partait de pré-requis relativement sommaires (même si certains connaissent les BCD), ce n’est pas le cas pour le Web. Comme le souligne Pascal Marquet (2003, 108 et s.), les adolescents - dans leur « perception de l’utilité documentaire du Web » - développent une stratégie préexistante à l’institution scolaire. »
Bien sûr, mais c’est un argument amusant ! En effet, je pense aussi que la "stratégie" développée par l’élève pour trouver des sites du genre "interdits" ou "réprouvés", ou bien concernant un chanteur à la mode, est extrêmement astucieuse et bien fondée. J’en conviens volontiers. Mais tout le problème est de savoir si cette stratégie sera transposable en l’état pour traiter un sujet plus "académique" du genre "Henri IV et l’Edit de Nantes" !!! Ce n’est pas le même registre de connaissances, or c’est ce dernier registre qui nous importe à nous... Mais il reste vrai que, dans les domaines précités, grace à des pré-requis bien plus au point que les miens, les élèves trouveront bien mieux que moi. Et cela prouve justement, de facto et par l’absurde, que l’enseignant Doc doit se préoccuper de l’amont de la recherche documentaire sur un sujet donné, avant de passer à la méthodologie elle même. Il faut relier continuellement méthodologie, technique et savoirs lorsqu’on enseigne la recherche documentaire. Il s’agit de donner le départ de la boule de neige du savoir construit chez les élèves. Une fois la boule de neige formée, il n’y aucune raison pour qu’elle ne continue pas à rouler, à croitre et à embellir !!
« Paradoxalement - à l’ère du numérique - les nouveaux modèles de gestion documentaire et de recherches d’information en ligne passeraient-ils par un retour raisonné des pratiques « anciennes » des bibliothécaires / documentalistes : le catalogage analytique i.e. la catégorisation sémantique de l’information comme approche privilégiée et rapide (le temps !) pour une maîtrise qualitative et pertinente du document et de son contenu ? »
À condition que le progrès technologique en donne les moyens... et surtout le temps. Car ce progrès peut sans doute résoudre presque tous les problèmes si on lui en donne le temps. Or, curieusement, le progrès technique dans son essence est toujours pressé, galopant, en perpétuel devenir. Il ne s’arrête jamais pour se donner le temps d’analyser, de comprendre et d’éduquer, d’indexer et de cataloguer. C’est toute la difficulté mais aussi tout l’intérêt du métier..
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