Un « speed-reading » comme premier rendez-vous avec un livre

par Sandrine Geoffroy

1. Pourquoi un speed-reading ?

Proposer un projet lecture à des adolescents est toujours source de perplexité pour nous enseignants, tout d’abord quant à la motivation des élèves à s’investir dans cette aventure mais aussi perplexité dans la manière de conduire ce projet afin de le rendre vivant, attractif et moteur. Ainsi, alors que nous faisons participer chaque année une classe de 4e au Prix des Incorruptibles, nous cherchions un moyen de leur faire découvrir la sélection : comment susciter leur intérêt et curiosité afin de leur donner envie de se plonger dans l’histoire de ces livres et dans l’aventure de ce projet lecture sur plusieurs mois ?
Les années passées, la présentation des ouvrages se faisait à l’oral par le professeur de français et le professeur documentaliste : nous nous répartissions ainsi les livres à présenter et nous intervenions à tour de rôle. La première de couverture était montrée et nous donnions parfois déjà nos coups de cœur. Mais finalement, lors de cette séance, nous occupions quasiment tout l’espace de parole. La présentation était somme toute très classique et les élèves malgré tout assez passifs.
Alors comment rendre les élèves plus actifs lors de cette séance inaugurale du projet ?

2. Un speed-reading, qu’est-ce que c’est ?

Pourquoi ne pas faire manipuler les livres aux élèves afin qu’ils les regardent, feuillettent, soupèsent, sentent... qu’ils aient un premier contact avec chacun d’eux ? Et c’est avec cette idée de “contact” que, par analogie, nous avons pensé à détourner la pratique de "speed-dating" pour l’adopter comme démarche pédagogique. Un speed-dating est une soirée où en quelques minutes lors de rapides entretiens, les personnes se font une idée d’une autre avec pour objectif de trouver un partenaire amoureux. Il s’agit donc d’envisager de faire entrer l’élève en relation avec le livre de manière furtive et curieuse ; car finalement, lorsqu’on va choisir un livre dans un CDI, une bibliothèque ou une librairie, le contact avec les ouvrages est souvent fugace aussi, avec parfois des coups de foudre dès la première ou la quatrième de couverture !

3. Comment cela fonctionne-t-il ?

Les modalités de réalisation sont finalement proches de celles du "speed dating". Lors d’une séance de 55 min, le temps va être décompté toutes les 6 minutes pour leur permettre de "rencontrer" les 6 livres de la sélection. Chaque groupe d’élèves réuni en îlot au CDI va avoir en main un livre de la sélection des Incorruptibles accompagné d’une fiche critériée comprenant les éléments-clés du livre qui vont permettre aux élèves de se forger une première opinion. Ces critères tournent essentiellement autour du paratexte du livre :

  • les clés d’identification d’un livre : titre,auteur, éditeur, collection
  • l’illustration de la première de couverture
  • leur sentiment à la lecture du résumé en quatrième de couverture
  • l’incipit et les éléments apportés
  • le genre du livre
  • leur bilan avec un avis à apporter sous forme de smileys

A la sonnerie d’un minuteur, le livre se déplace de table en table, change de groupe et va de main en main. C’est donc une lecture dynamique, en survol et en diagonale que doivent faire les élèves tout en échangeant entre eux sur leurs premières impressions sur le livre.
La fiche quant à elle est ensuite conservée dans le classeur de français et peut être consultée à chaque fois que l’élève doit choisir un nouveau livre de la sélection.

4. Quel bilan de cette séance ?

Au terme de la séance - somme toute assez “speed” pour les enseignantes aussi dans la gestion du temps - notre objectif est atteint. A savoir, faire de l’élève un lecteur sensible et engagé, dont l’avis compte et qui est capable d’exprimer, même de manière partielle, une critique sur des œuvres de littérature de jeunesse contemporaines. L’élève devient acteur de ses choix et opinions par un ressenti, une impression sur un livre qui se confirmera ou pas par la suite, sentiment qu’il apprend au cours de ce speed-reading à partager et échanger avec d’autres lecteurs.

Cette séance s’inscrit dans l’EMI en corrélation avec la Matrice EMI des TRAAM Toulouse avec pour objectif de donner un premier avis d’observateur, d’analyser le paratexte d’une œuvre et de développer un point de vue. L’élève est capable “d’exprimer son point de vue ainsi que de reprendre ceux d’autres auteurs. Il distingue les différents types de discours (faits, opinions,...) qu’il rencontre et adapte le sien et sa mise en forme en fonction du support de publication et de son contexte (commentaire, critique, analyse,...)”.

Ce speed-reading permet de créer une émulation autour des livres du fait de son dynamisme mais également grâce aux échanges puisque les ressentis se partagent, s’opposent, bouillonnent, et quelques fois “explosent”.

Quelques remédiations et prolongements possibles :

  • dans l’idéal, le speed-reading mériterait de durer une dizaine de minutes par livre afin de laisser plus de place à l’échange entre les élèves.
  • une deuxième heure pourrait être nécessaire pour effectuer un bilan avec les élèves lors d’une mise en commun à l’oral afin de mieux partager les ressentis et afin de développer chez l’élève des capacités à s’exprimer et à argumenter face à des avis différents.
  • plus tard dans l’année, il serait aussi intéressant de voir avec les élèves si la lecture des œuvres a finalement confirmé ou infirmé leur première opinion. Les élèves pourraient ainsi reprendre leur fiche de speed-reading et comparer leurs a priori sur les livres avec leurs avis réels, après la lecture des œuvres afin de se demander si ces avis sont concordants ou pas et comment ils l’expliquent.

Sandrine Geoffroy, professeur documentaliste
Caroline Gerber, professeur de français

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