Lorsque le CDI se met en place au collège Leo Larguier, c’est une totale innovation. Etre en zone ZEP aussi ! Le CDI est une curiosité, et, comme le disait à l’époque mon ami Yves, attaché d’intendance, « on touche en plus un spécialiste ». Le spécialiste c’était moi, ce qui dans son esprit était sans doute une garantie d’efficacité, mais le pauvre ne se rendait pas compte du genre de scie à intendance que j’allais devenir rapidement, et qu’il eut à supporter pendant vingt ans !! C’est lui qui me surnomma « le mange budget », un jour de colère. Certes mais que pouvais-je faire d’autre ?? Pourtant, ces attrapades régulières favorisèrent en fin de compte l’amitié et je crois que la nôtre fut et reste solide.
Le collège avait été classé en zone ZEP parmi les premiers qui le furent dans l’Académie, parce qu’il y avait une très forte proportion d’élèves venus des nombreuses familles harkis implantées sur la commune et dans le canton. Mais en fait, la population grand’combienne réalise, depuis la fondation de la commune en 1852, par la Compagnie des Mines qui porte son nom, un véritable melting-pot d’ethnies et de nationalités diverses. On ne peut pas comprendre ce collège, ni présenter ses élèves sans dire un mot de la population locale dont ils sont évidemment issus.
Dès l’origine la main d’oeuvre locale des paysans cévenols fut insuffisante, et, vers 1855-56, il y eut d’abord la couche des travailleurs lozériens descendus de leur proche montagne pour venir arracher du charbon au bénéfice de la Compagnie. Mais cet apport péri local ne suffisait toujours pas.... En effet le nombre du personnel employé par la Compagnie devait atteindre jusqu’à dix-sept mille personnes dans les années de l’après guerre de quarante. Pour en arriver là, à la fin du XIX° siècle, vinrent d’abord de forts contingents d’ouvriers wallons qui connaissaient le travail du charbon et de la mine, suivis rapidement juste avant la guerre de 14 par des émigrants polonais. Après la première guerre mondiale, sont venus les italiens anti-mussoliniens, suivis quelques années plus tard par les espagnols anti-franquistes. Il y eut même quelques familles portugaises. Après la deuxième guerre mondiale vint la première génération des Nord Africains, algériens et marocains surtout, pas mal de kabyles aussi, suivie d’une très nombreuse deuxième génération à la fin des hostilités en Algérie. Depuis une dizaine d’année maintenant, le canton connaît une forte immigration turque. [1]
Alors, quand on nous parle d’intégration, ici, on connaît, il y a très longtemps que nous savons ce que ça signifie, et que nous pratiquons, grandeur nature et taille réelle !!
J’ai découvert récemment dans les collections peu lues de la Médiathèque grand combienne, une thèse rédigée sur la ville il y a quelques années par une sociologue brésilienne qui était venue passer une année chez nous pour ce faire. Tout ce que je viens de vous dire y est décrit par le menu... Il parait que la formation de la ville de La Grand’Combe ressemble fort par certains côtés à la formation des villes champignons brésiliennes. D’où cet aspect peu ordinaire. Je connais des gens du côté du Rectorat et de l’Académie qui considèrent ainsi notre collège comme « atypique » !!
Atypique ou pas, je regrette quant à moi de ne pas avoir été suffisamment expert en linguistique pour étudier, il y a quinze ans, la langue vernaculaire grand combienne... celle que l’on entendait parler dans la rue et sur le marché bi-hebdomadaire. C’est un étrange mélange de français, d’occitan, de maghrébin, de polonais, d’italien, et d’espagnol. Certes, on la parle encore, mais ce sabir que j’ai entendu pendant de nombreuses années tend à disparaitre petit à petit, au profit de l’argot standard américano-télévisuel, que j’appelle le patois occidental (peut être devrait-on écrire d’ailleurs oxydantal), désormais pratiqué par les jeunes générations toutes ethnies confondues.
Il reste tout de même des réminiscences amusantes et des expressions que tout le monde comprend. Par exemple, lorsqu’on organise des lotos au profit de telle ou telle association (le loto est le jeu collectif par excellence dans notre région), il est courant d’entendre l’aboyeur hurler :" Pois chiche". Tout le monde (descendants d’italien, de polonais, de maghrébin, etc..) marque sans hésitation le chiffre 16. En effet, en occitan local « cèzè » signifie pois chiche !! Pour le chiffre 14, on annonce systématiquement « arbatach », ce qui signifie paraît-il quatorze en arabe, mais tout le monde comprend parfaitement !! Je pourrais donner d’autres curieux exemples linguistiques, mais j’en resterai là. Il y faudrait un véritable chapitre qui m’éloignerait somme toute de mon sujet..
Quant à l’interpénétration des cultures, je peux vous dire qu’en ce qui me concerne, je ne risque pas d’oublier, à ma façon, ni le Ramadan, ni la fête de l’Aïd, car toutes mes filles (Dans l’ordre chronologique : Shéhérazade, Nadia, et Soraya, toutes de remarquables collaboratrices) qui m’ont aidé au CDI pendant des lustres, connaissant ma gourmandises pour toutes les pâtisseries orientales, m’ont gavé chaque année de loukhoums et autres sucreries en cette occasion [2] !! En retour je leur apportais des pots de miel, denrée de base de ces pâtisseries, car j’ai aussi des ruches...
Et j’ajoute qu’au collège l’idée laïque et son application avait réglé tous les problèmes à cette époque. La preuve ? Ce que je viens de décrire...et ce que je vais encore écrire... Seule l’idée laïque du malheureux bouc émissaire Jules Ferry peut faire coexister harmonieusement des cultures diverses. Alors, plus tard, tout a changé, quand on s’est imaginé de faire mieux, en traitant tout par la permissivité. Il parait que c’est la nouvelle laïcité. Très bien, mais je suis trop vieux et j’ai trop vu comment la vieille façon de faire réussissait si bien, pour changer d’avis. Ce n’est pas l’extérieur qui doit influencer l’Ecole, mais l’inverse, et pour cela l’extérieur ne doit en aucun cas venir imposer ses hurluberlurades versatiles, et des règlements qui ne sont pas faits pour elle, dans l’enceinte de l’Ecole. Au Moyen Age, on avait fait de l’Université un corps autonome et indépendant, afin d’assurer le calme, la rigueur et l’indépendance nécessaires aux études et à la formation des esprits. Il serait urgent d’y revenir. Comment peut-on enseigner sérieusement lorsque une institution qui a pour but d’instruire et de cultiver les enfants, chose bien plus importante que l’Euro ou la Bourse, est bafouée, ridiculisée et maltraitée tous les jours dans les personnes de ses représentants... Il n’y a plus d’enseignement possible. Je crois qu’on le voit trop bien maintenant.
Mais revenons-en à ces mémoires et donc à des temps plus civilisés...
Partager cette page