Un « club presse » au collège : à la recherche de la bonne formule...

2 | (actualisé le ) par Nicolas Cimolino

Au sein du collège Kervallon, le club presse a été mis en place et proposé aux élèves lors de la rentrée 2011-12. Le premier numéro de « Kerva’Presse » est paru en décembre 2011, un numéro « zéro » au grand dam des élèves du club qui ne voyaient pas pourquoi on ne commençait pas directement avec le numéro 1. Il ne valait rien ce journal ? Retour sur cette expérimentation.

Acte 1 : Du papier, beaucoup de fierté mais trop de temps à peaufiner

Un professeur documentaliste, six élèves motivés (5 élèves de 4e et un de 5e, tous volontaires) et un rendez-vous hebdomadaire d’une heure au CDI de 17h à 18h dans le cadre de l’accompagnement éducatif… Il n’en fallait pas plus pour publier cinq numéros durant la première année scolaire !

Journal papier réalisé avec le logiciel libre Scribus (un résultat impeccable au prix de trop nombreuses heures passées sur la mise en page…), il était diffusé via les élèves du club presse qui disposaient de 10 exemplaires noir et blanc et d’un exemplaire couleur chacun. On pouvait trouver le journal au CDI, en salle des profs et surtout en version .pdf sur l’ENT du collège. Libre à chacun de l’imprimer si besoin…

Le club fonctionnait selon le principe d’une conférence de rédaction initiale (diffusion des dernières informations, choix des sujets de chacun, problèmes rencontrés, questions,…) puis écriture sur les ordinateurs. Une séance sur trois était consacrée à la découverte des différentes techniques de rédaction en fonction des différents genres journalistiques ainsi que de la découverte des médias, de la presse écrite en particulier.

Lors de cette première année, les séances initiales furent consacrées à définir le titre de notre journal (ce sera « Kerva’presse »), le logo, la parution (sous Kerva’presse, on peut trouver "journal du « club presse » du collège Kervallon à parution plus ou moins mensuelle…), du choix des rubriques et de la mise en page.

Pour travailler ensemble, une rubrique privée a été ouverte sur l’ENT, uniquement visible par nous sept. L’"accueil" de la rubrique me permettait de noter des informations générales à destination des élèves ; les élèves écrivaient leurs articles et je les corrigeais dans la partie « Blog » ; la partie « Forum » offrait la possibilité d’échanger entre nous, un forum étant ouvert pour chaque numéro. Quant aux « Dossiers partagés », on y stockait les photos qui serviraient à illustrer les articles… Bref, on retiendra qu’un prof et des élèves se servaient de l’ENT !

Une fois les articles écrits, ne restait plus qu’à fabriquer le journal... et c’est là que les problèmes ont commencé car j’ai bêtement voulu que ce soit parfait ! Donc j’ai passé beaucoup de temps le soir et le week-end à m’occuper de la mise en page. Le logiciel Scribus me paraissait la meilleure idée mais j’avais des doutes sur la capacité des élèves à l’utiliser. J’appréhendais donc chaque parution avec un peu d’angoisse au vu du temps que je m’obligeais à passer devant l’écran.

Malgré cela, on a fait paraître 10 numéros en deux ans, dans « la joie et la bonne humeur », avec une équipe remaniée la deuxième année. Les « cadres » sont restés et des nouveaux sont arrivés. On est passé à 10 élèves et on a commencé à institutionnaliser le « gâteau du club presse ». Régulièrement, un élève volontaire amène un gâteau qu’on partage durant la conférence de rédaction. A lui de mettre la recette en ligne dans la foulée…

Acte 2 : Et si on se consacrait uniquement à l’écriture et qu’on oubliait la mise en page ?

La troisième année, tout change ! Une équipe très (trop ?) rajeunie composée en grande majorité d’élèves de 6e et de 5e et une nouvelle formule : on arrête le journal papier et on lance un blog. Une super idée que je tenais là ! Fini l’attente pour les élèves entre la rédaction de leur article et la publication ; fini la mise en page… Tout allait se faire en temps réel pour un résultat impeccable.

Pour le choix du CMS - l’outil qui allait servir à faire notre blog, ce serait Wordpress, un outil libre évidemment, hébergé sur les serveurs du rectorat. On reste maître des informations publiées, le tout sans publicité. Avec le passage à l’ENT, l’espace dont disposait chaque établissement pour héberger son propre site ne servait plus. J’obtenais l’autorisation de le récupérer et y installais la version auto-hébergée de Wordpress.

Première conférence de rédaction de l’année, on décide donc l’habillage du site, des rubriques que l’on voulait garder ou supprimer et on crée les comptes utilisateurs pour chacun des élèves. Je forme tout ce petit monde à l’utilisation du CMS et le tour est joué. On publie à tout va. Enfin on essaie…

Parce que mine de rien, plusieurs difficultés perdurent ou se manifestent. La publication d’un article, qu’elle soit en ligne ou en version papier, implique une correction préalable. Et je n’ai pas toujours le temps nécessaire pour pouvoir publier l’article aussi rapidement que je l’avais promis.

Ensuite, l’écriture sur un blog modifie beaucoup la façon d’écrire des élèves. Je me retrouve donc non pas avec des articles mais souvent avec des « posts » remplis de smiley, de couleurs « aléatoires », de mots en majuscules suivis de 6 points d’exclamations, le tout dans un texte qui reprend le langage parlé des youtubeurs qu’ils regardent (sans leur talent) et sans forcément apporter les informations que l’on était en droit d’attendre.

D’autre part, malgré mes demandes répétées, les élèves ne jouent pas assez la carte du multimédia que permet le blog. Il faut les « tanner » pour qu’ils illustrent leurs articles de photos, de sons ou de vidéos. Il faut encore et encore leur rappeler qu’ils n’écrivent pas qu’à leurs copains sous prétexte que ça paraît sur Internet...

Dernier écueil dans ma « super idée » initiale : les élèves me font comprendre que le blog c’est bien, mais qu’un journal papier, c’est mieux ! On décide donc de partir sur le maintien du blog et la parution à chaque trimestre d’une sélection d’articles au format papier. Un élève plus motivé que les autres décide même de s’auto-former à Scribus et réussit à proposer rapidement une mise en page plus qu’honnête. Tout le monde y trouve son compte.

Un cercle vertueux s’enclenche petit à petit : les élèves veulent être sélectionnés pour la publication papier et leur niveau d’écriture augmente de concert. Les critiques et les articles sont plus longs, plus fouillés et enfin illustrés. Le responsable du journal papier devient un véritable rédacteur en chef, indiquant les rubriques où il manque des sujets, la longueur des articles attendus et sermonne même les élèves qui ne rendent pas leurs articles à temps ! En dehors des séances récurrentes consacrées à la découverte des médias, je n’ai plus qu’à corriger les articles... et à manger des gâteaux.

On tiendra cette formule durant deux ans tout en déplorant un frein majeur rencontré lors des séances du club presse : la lenteur EXTRÊME !!!!!! (moi aussi j’ai le droit !) de l’accès à notre CMS lorsqu’on voulait s’y connecter pour écrire. L’hébergement sur un serveur du rectorat déjà saturé n’était une bonne idée que sur le papier et on passe plusieurs séances sans pouvoir se connecter ou avec une connexion tellement faible que l’outil en ligne devient inutilisable.

Acte 3 : Rien, nada, que dalle… il n’y a pas eu eu d’acte 3

A la rentrée suivante, j’apprends que les heures d’accompagnement éducatif ne seront pas reconduites. Je ne propose donc pas d’atelier pour montrer à l’institution que la suppression de ce dispositif « ne sera pas sans conséquence sur les activités proposées à nos élèves ! » Tremble l’institution !.. Je me rends finalement assez vite à l’évidence : l’institution n’a pas tremblé... (et je m’en doutais un peu).

Par contre, les collègues me demandent régulièrement quand va paraître le prochain numéro... Les élèves qui participaient au club l’an passé me font part de leur désarroi (j’exagère à peine) et surtout, je ne mange plus de gâteau… Bref, il va falloir proposer une autre formule l’année suivante.

Acte 4 : Une version 100 % en ligne et des élèves plus motivés que jamais !

Rentrée 2016, le club presse est relancé avec 10 élèves dont 8 nouveaux répartis presque équitablement entre les 6e, 5e, 4e et 3e. Le créneau trouvé ? De 13h à 14h tous les mardis. Le CDI est alors « privatisé » pour l’atelier, ce que je n’avais jamais fait jusqu’à présent.

La version papier est oubliée (notre rédac’chef-maquettiste s’en est allé au lycée) et j’ai abandonné la version auto-hebergée de Wordpress pour la version gratuite en ligne. On perd en fonctionnalité et en indépendance mais on gagne en confort. Les publicités annoncées sur la version gratuite n’arriveront jamais car elles dépendent du trafic et le Washington Post ne souffre pas encore de notre concurrence…

Cette version du blog est désormais très fluide et très appréciée des élèves qui peuvent enfin se connecter et écrire immédiatement. La création de comptes pour des collégiens qui n’ont pas d’adresse mail personnelle à fournir (et que je refuse de leur demander) est plus longue et plus complexe que sur la précédente version mais on y arrive avec deux tours de passe-passe et l’utilisation des alias.

Le club presse reprend donc de plus belle pour sa cinquième année et une certaine routine se met en place, faite d’alternance d’écriture libre (les élèves choisissent les sujets) et contrainte (je choisis les sujets pour eux). Les élèves sont nombreux à apprécier ces moments où le sujet leur est imposé et plébiscitent même les séances où ils doivent tirer au sort un sujet d’actualité et rédiger un article dans un temps imparti : 15 minutes de recherche documentaire, 15 minutes pour rédiger l’article, 10 minutes pour trouver et insérer des médias et 5 minutes de relecture. Et les 10 minutes restantes ? Entièrement consacrées à déguster le gâteau, rebaptisé officiellement « Gââtôô » par une élève accro qui aurait bien voulu déposer la marque…

D’autres exercices d’écritures trouvent grâce à leurs yeux : les articles « cadavres exquis » (le premier écrit le « quand », le second le « où », le troisième le « quoi »,… le tout à l’aveugle pour un résultat… surréaliste ! L’article « 1er avril » plaît aussi, qui se doit de relater une fausse information de la façon la plus sérieuse et la plus crédible possible ou encore la rédaction d’un article à partir d’une image peu explicite dont ils n’auront aucune autre information : je leur distribue un sujet et ils ont 45 minutes pour produire une article avec un titre et une photo créditée.

Cette année 2017-18, c’est même un très bon cru pour le club ! 11 élèves, également répartis sur les 4 niveaux, tous motivés par le même objectif et qui partagent le même état d’esprit. Pas de regards condescendants sur les « petits » de 6e, pas de blasés de chaque proposition ou de « je suis venu parce que mon copain est au club presse... » (fonctionne aussi au féminin). Ça s’est ressenti dès la première séance et ça continue jusqu’à aujourd’hui. Quelques élèves continuent leurs articles sur les heures d’études, d’autres attendent le week-end pour écrire,… Bref l’écriture et l’envie débordent de l’atelier et personne ne boude son plaisir.

Un journal lu et apprécié, de quoi ravir nos journalistes en herbe

Et pour les petits coups de mou durant l’année, quelques remontants efficaces... Tout d’abord les statistiques de fréquentation du site, ça fait toujours plaisir aux élèves qui vont les consulter en se connectant au CMS. Combien de visiteurs, combien de vues, quel article est le plus lu,… Tant qu’ils ne choisissent pas les sujets à traiter en fonction de l’audience qu’ils pourraient obtenir, ça reste bon enfant...

Et la cerise sur le gââtôô ©, ça reste notre participation annuelle au concours Mediatiks, organisé par le CLEMI. Concourant dans un premier temps au niveau académique, notre journal Kerva’presse est passé de « coup de cœur du jury » à « 2ème prix du meilleur journal papier » puis « 1er prix du meilleur blog » avant de finir « Grand prix du jury » et se qualifier pour le concours national. Une 4e place nationale dans la catégorie « blog collège » n’ayant pas entamé la détermination de nos élèves, nous avons réitéré cette année notre participation et obtenu une « mention spéciale » (traduction diplomatique pour dire « Bon maintenant ça suffit, laissez la place aux autres ! »)

Ce concours et la remise des prix à laquelle nous étions conviés est pour nous l’occasion d’une sortie sur Toulouse à la journée. Un programme immuable (visite d’un média le matin, pique-nique sur les berges de la Garonne, remise des récompenses l’après-midi avant que le professeur documentaliste paie à son tour son gâteau) pour remercier les élèves de leur investissement tout au long de l’année.
Remise des prix à Toulouse pour le concours Mediatiks 2017 (Photo Hervé Cazcarra)

Et demain ? On ne change pas une équipe qui gagne...

Le club presse du collège Kervallon va bientôt terminer sa sixième année d’activité et tous les feux sont au vert pour une septième saison. Les élèves du club souhaitent continuer (même les élèves de 3e !) et d’autres tapent à la porte. L’acquisition par le collège de tablettes permet de multiplier les points d’accès au CMS au sein du CDI afin que chaque élève du club dispose d’un terminal. L’utilisation des tablettes permettrait d’ailleurs de partir en reportage au sein du collège, de faire des photos et d’enregistrer des sons et des vidéos… mais pour l’instant, l’idée ou l’envie ne s’est pas encore faite sentir.

Les élèves aiment écrire sur le blog. Irénée peaufine de longs articles sans une seule faute du moment que ça touche de près ou de loin l’univers du manga ; Camille fait de même, les fautes en plus ; Dimitry propose plus d’un article par semaine avec un ton qui lui est propre (de même que son respect des règles de grammaire et d’orthographe…) ; Eliott sèche toujours quand il s’agit de trouver un sujet et mes propositions ne lui conviennent jamais ; Erhel aime tellement partager ses passions qu’il s’est créé son blog perso (un article = deux publications !) ; Milo et Eryn ont des convictions et des messages à faire passer ; Maïa et Tiphaine ont tellement d’idées d’articles qu’elles en finissent un sur trois ; Ismaël et Margaux, ça roule… Bref, chacun y trouve son compte et c’est sûrement ça le plus important.

Pour voir le résultat du travail de notre club : https://kervapresse.wordpress.com/