Marie-France Blanquet. 3 : Réponses (2ème partie)

(actualisé le )

2° Le devenir du métier :

La remarque précédente permet de rebondir sur les questions de Richard Peirano et de Jacqueline Valladon. Le premier s’inquiète du devenir de l’enseignant documentaliste, oublié en partie par les nouveaux dispositifs d’enseignement, au profit de l’enseignant de discipline. La seconde s’interroge sur des outils qui permettent d’automatiser certaines taches documentaires comme le résumé.

Actuellement, tous les métiers se trouvent dans un tourbillon d’interrogation portant sur leur devenir. Les nouvelles technologies de l’information en sont la cause principale. Il est, je crois important de ne pas oublier l’environnement global lorsque l’on réfléchit sur soi-même. Les professionnels de l’information et de la documentation cherchent à connaître l’impact de ces technologies au même titre que de très nombreuses autres professions. La problématique de leur devenir se pose de la même façon puisqu’il s’agit de déterminer la dimension technique, « machinale » (donc automatisable) et sa dimension humaine, nécessitant la présence des personnes concernées.

La révolution industrielle nous a appris la dimension machinale de la plupart des métiers du secondaire. Le passage dans la société de l’information nous fait vivre et découvrir cette dimension pour des métiers du tertiaire dans leur globalité ou pas. Par machinale, nous entendons, bien sûr, la possibilité de faire effectuer par une machine (ici l’ordinateur au sens très large) une tâche, une fonction, une mission qui jusqu’à présent était exécutée par l’homme. Ce qu’il y a de nouveau, c’est que la machine fait désormais des opérations classées dans l’intellect, l’immatériel, contrairement aux tâches manuelles et concrètes qu’effectue, par exemple, le métier à tisser, remplaçant l’homme dans ses gestes et mouvements. L’ensemble des travaux menés au titre de l’intelligence artificielle ou informatique avancée repose sur la base suivante : la machine réalise des travaux qui nécessiteraient de l’intelligence si elles étaient effectuées par l’homme. La génération de textes (résumé automatique ou traduction automatique) s’inscrit dans ce cadre là. Bien évidemment, comparés à l’action humaine, ces systèmes ne sont pas toujours encore aussi performants. Mais ils permettent d’aller plus vite et de l’avant : attitude qui caractérise toutes les activités humaines actuelles où il s’agit d’aller encore et toujours plus vite, mais vers quoi ?

S’agit-il à long terme de :
- remplacer l’homme dans son rôle d’homme. Ceci semble être la réponse des technocrates qui confient à la machine le gouvernail de sa destinée. N’oublions pas que pour le père de la cybernétique, Norbert Wiener, les hommes étant incapables de se conduire seuls, il faut confier à la machine le soin de piloter son destin !
- permettre à l’homme de découvrir sa seule raison d’être, défendue par tous les Humanistes dans le temps comme dans l’espace : faire la rencontre de l’Homme et le construire. Rappelons nous cette superbe phrase de Pascal : « Où va ce même homme qui subsiste toujours et apprend continuellement ? »

Ces considérations transposées dans le domaine de la documentation, signifient-elles que le métier peut se dégager de tâches contraignantes et de nature répétitive ; ceci lui permettant de retrouver sa réelle vocation ? Cela veut-il dire, au contraire, comme le prédisent certains , la « mort » du documentaliste ? Sera-t-il un dinosaure demain ; internet sera-t-il son fossoyeur ?

Aujourd’hui, pour le documentaliste, quels sont les travaux susceptibles d’être entièrement ou partiellement exécutés par une machine ; quelles sont ceux qui ne le sont pas ?
Si nous reprenons les opérations de la chaîne documentaire nous pouvons voir que des tâches liées au traitement de l’information sont en partie ou totalement automatisables : le catalogage, l’indexation des textes ou de la question posée lors d’une recherche documentaire et le résumé. Les recherches menées sur le langage naturel reposent essentiellement sur deux méthodes conjuguées et complémentaires : les approches statistiques et procédurales et l’approche linguistique. Elles poursuivent l’objectif de construire des outils logiciels permettant à la machine de « comprendre » les requêtes exprimées en langage naturel et de leur répondre. Ces recherches ont permis l’apparition, sur le marché des logiciels, d’un certain nombre d’infologiciels qui , tels Pertinence Summarizer ou Copernic Summarizer, permettent de générer des textes sous forme résumé. Il serait trop long ici d’expliquer leurs principes de fonctionnement qui consiste actuellement dans l’extraction et l’assemblage de phrases entières du document considérées comme les plus porteuses de sens. La véritable construction d’un texte condensé n’est pas encore intégrée dans ces logiciels. Si vous avez le temps et la curiosité, allez sur le site http://www.pertinence.net (site disparu) et abonnez-vous (c’est gratuit !) afin de comprendre l’intérêt, les modes de fonctionnement et les limites de ce type de systèmes qui proposent des résumés de longueur variable, personnalisable en temps réel et dans plusieurs langues vivantes (dont le chinois et le coréen).

Dans le même ordre d’idées, des logiciels permettent de remplacer le documentaliste dans une des taches les plus caractéristiques de sa profession : l’indexation. Intuition de Siquena ou Knowings de KMS font de l’indexation automatique ou apportent une assistance technique importante à cette opération. Ces systèmes n’exigent plus de moyens humains mais la qualité de l’indexation laisse un peu à désirer. Cependant, contrairement à l’indexation humaine, elle peut être constamment remis à jour et suivre ainsi l’évolution naturelle du vocabulaire ; ce qui représente un intêret certain.
On peut ainsi automatiser un certain nombre d’autres activités documentaires : la constitution et la gestion de thesaurus, l’établissement de profils, la représentation des connaissances, la veille informationnelle...
Reste à savoir si ces infologiciels remplacent totalement le documentaliste ou lui permettent de trouver sa réelle voie, et laquelle ?

Cette question mérite d’avoir plusieurs réponses :

La première porte sur les niveaux financiers et techniques de ces logiciels qui concernent pour l’instant du moins, les entreprises qui ont des moyens. Ce n’est pas le cas des CDI. Ce n’est pas- et c’est un autre élément de réponse- pour autant une raison pour les documentalistes de « faire l’impasse », c’est-à-dire de ne pas les connaître, car ils permettent de suivre l’évolution à plus ou moins long terme de la profession. Leur prix qui les rend pour l’instant inaccessibles ne constitue pas une excuse pour l’ignorance massive que la plupart des documentalistes d’établissement scolaire ont pour ces outils. De la même façon, ne pas avoir accès à une certains nombre de sources et de ressources informationnelles ne justifient pas leur méconnaissance. Combien d’enseignants documentalistes connaissent les services rendus par le Conseil international de la langue française, la base de données Frantext ou Eurodicautom ? autant de bases parfois gratuites, susceptibles d’intéresser les enseignants de discipline.

Et ici, je m’adresse plus spécialement à Richard Peirano. Les documentalistes ne seront jamais « inutiles » s’ils exercent leur profession. Il garde, en effet, un rôle déterminant dans l’acquisition par l’élève de l’esprit critique qui le conduira à vérifier les marques qui rendent fiable un document (auteur, date, éditeur...) mais surtout à croiser des sources diversifiées. Ce même documentaliste assume une grande responsabilité dans le savoir s’organiser de l’élève. Il y a là une dimension souvent défendue par les documentalistes sous le terme de méthodologie ou d’acquisition de méthode de travail. Apprendre à organiser et à gérer de façon systématique sa propre mémoire documentaire est un apport transversal à tous les apprentissages. Savoir discipliner l’information par des techniques documentaires « ad hoc » est une compétence documentaire que le documentaliste se doit de transférer sur tous les élèves. Non, les documentalistes ne sont pas inutiles s’ils exercent les fonctions documentaires qui consistent à veiller sur tout ce que les enseignants de discipline pourront utiliser de façon maximale lors de l’accompagnement de leurs élèves.

Il en reste du travail à faire pour ce généraliste de l’information qu’est le documentaliste : mettre en place la gestion des savoirs, le « record management »...Cela le conduira à entamer avec les enseignants de discipline une réelle coopération, basée sur une reconnaissance mutuelle des compétences. Par exemple, le documentaliste ne peut seul, achever son enseignement portant sur la recherche documentaire sans l’aide du spécialiste de la ou des matières concernées. Un documentaliste ne peut pas être à la fois, historien, géographe, physicien ou mathématicien.... Il est, du même coup, incapable de vérifier la fiabilité du contenu informatif du document mais surtout de son appropriation correcte par l’élève. Leur complémentarité apparaît dans cet exemple.

Les documentalistes scolaires s’inscrivent, en général, dans une tradition humaniste. C’est ce qui fait la noblesse de leur mission. En ce sens, ils rejoignent les objectifs de l’enseignement public dans l’objectif de permettre à chacun d’accéder sans frontière au monde de la connaissance.

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