Calendrier de l’avent du domaine public : un projet de valorisation des Communs à l’école. Entretien.

par Hélène Mulot

Cyrille Delhaye est musicologue de formation et chercheur associé au GRHis (laboratoire d’histoire de l’Université de Rouen Normandie). Dans ce cadre, il développe un projet de valorisation des archives numérisées du Centre Iannis Xenakis visant à promouvoir, de manière libre et ouverte, le patrimoine créatif associé à une machine d’aide à la composition par le dessin (l’UPIC), inventée par le compositeur, mathématicien et architecte Iannis Xenakis (1922-2001), au début des années 1980. Il exerce depuis 2016 au lycée de Pont-Audemer après Rouen et Aubergenville.

Cyrille, tu fais partie de l’équipe autour du projet PREMICES, Un Projet sur l’EMI à l’ESPE de Rouen. Selon toi que vont apporter ces regards croisés entre « la recherche » et « le terrain » ? A Doc pour Docs nous sommes plutôt friands de ce type de démarche.

Ce projet de recherche porté par Anne Cordier (MCF en SIC) vise à interroger les pratiques, les usages et les représentations des FSTG de l’Espé de Rouen autour de l’Éducation au Médias et à l’Information, car depuis la Loi d’Orientation et de Programmation pour la Refondation de l’École de la République du 08 Juillet 2013, tous les enseignants ont la charge partagée de cette “éducation à”.
L’idée première de Anne était de constituer une équipe hétérogène faisant intervenir : des professionnels de terrain (professeurs documentalistes en charge de la formation continue à l’Espé ou bien anciens diplômés du Master Pro Doc qui exercent en établissement), mais aussi d’enseignants chercheurs en SIC ou bien encore de formateurs investis dans la formation de personnels enseignants et d’éducation (CPE, éducation musicale et lettres).
Lors des trois premiers séminaires, nous avons déjà pu mesurer la richesse d’une approche interdisciplinaire pour co-construire le questionnaire qui sera adressé au 650 étudiants en MEEF 2 de l’Espé de Rouen, mais aussi celui adressé aux responsables de parcours MEEF de l’Espé. Les discussions autour du choix des questions ou de leurs formulations s’équilibrent autour de la richesses des points de vues, des expertises et des expériences personnelles de chacun.

Erwann Lepoittevin a suivi un double cursus universitaire, en histoire et en cinéma audiovisuel. Comme Cyrille, il a toujours exercé en lycée, à Evreux, puis Pont-Audemer, avant un détour par l’Orne à l’Aigle, et un retour à Pont-Audemer cette année.

Cyrille, tu as publié en décembre un tweet qui m’a beaucoup interpellée. Il s’agissait de la création d’affiches pour le calendrier de l’avent du domaine public inspirées par celui initié par le collectif savoirsCom1 qui se propose de dévoiler chaque jour de décembre un artiste dont les oeuvres vont s’élever dans le domaine public au 1e janvier. Racontez-nous Erwann et Cyrille ce beau projet d’éditorialisation.

[Erwann] Nous sommes arrivés tous les deux cette année au lycée Prévert. Nous avons rapidement discuté de projets communs que nous pourrions mettre en place, et la question de la mise en valeur du domaine public est vite arrivée sur le tapis. J’avais dans l’idée depuis un moment de créer une sorte de bibliothèque numérique d’ouvrages du domaine public librement téléchargeables par les élèves. Mais je n’étais jamais passé à la mise en forme concrète de cette idée. Cyrille était sensible également à cette question, et il m’a parlé du travail du collectif SavoirCom1. Du coup, nous avons élaboré petit à petit l’idée du calendrier de l’avent du domaine public…

[Cyrille] Tout l’enjeu était de savoir quelle forme donner à ce calendrier. Après discussion avec une professeure de lettres nous imaginions pouvoir organiser une séquence en décembre autour de ce thème : projections vidéos à heure fixes, détournement du meuble à périodiques avec des boîtes à ouvrir pour découvrir les productions des élèves, etc.
Confrontés aux réalités du calendrier scolaire, nous n’avons pu mettre en œuvre ce projet de séquence avec les élèves. Or, l’idée d’éveiller la communauté éducative du lycée aux communs de la connaissance nous tenait particulièrement à cœur. C’est pourquoi avec Erwann nous avons décidé de nous arrêter sur la forme la plus simple du calendrier : la production d’affiches mettant en avant une personnalité dont les travaux s’élèveraient dans le domaine public en 2017.

[Erwann] La crainte que nous avions était de perdre l’intérêt des élèves avec des personnalités disparues depuis trop longtemps. Nous avons donc décidé d’explorer en parallèle la question du droit à l’image, en présentant deux personnalités décédées récemment, plus familières pour les élèves.

[Cyrille] De plus, cette thématique faisait écho à une séquence que nous menions en parallèle en première en EMC sur l’identité numérique et le droit à l’image.

[Erwann] D’une manière globale, nous avons tenté d’équilibrer le ratio homme/femme et les différents domaines des arts et des sciences.

Ce projet lié au domaine public, aux droits d’auteurs et au partage des connaissances se rapproche donc de la question des Communs.
Comment faites vous vivre cette question des Communs au quotidien ?

[Cyrille] Avec Erwann nous ne parlons jamais de “notre” CDI, c’est un espace dont nous sommes responsables mais qui est commun et ouvert à tous : par exemple, les élèves élus du CVL se sont organisés pour tenir une permanence du CDI lorsque nous sommes absents, ou bien un soir par semaine une AED ouvre le CDI durant l’étude du soir à l’internat, etc. Entendons nous bien, ici, il n’est pas question de remplacer l’expertise du prof doc en terme de culture de l’information ou en EMI mais bien de permettre l’accès aux ressources qui nous sont communes. Cet état d’esprit s’illustre par exemple lors de la première séquence initiée avec toutes les classes de secondes, où nous leur faisons systématiquement prendre conscience que l’intégralité des ressources du CDI font partie du bien commun en mouvement, destiné à s’adapter à leur besoin et plus largement à ceux de la communauté éducative : libre à eux de s’en saisir !

[Erwann] En outre, nous essayons toujours de revaloriser au mieux le matériel ancien, au niveau mobilier comme au niveau informatique. Nous souhaitons par exemple passer de vieux postes sous Linux plutôt que de les stocker en attente de recyclage, afin d’offrir aux élèves le choix de leur système d’exploitation.
Par ailleurs, dans le cadre du club manga, nous avons proposé aux élèves de leur attribuer une somme, issue des crédits du CDI, dont ils sont responsables. Ils doivent planifier les achats avec comme seule contrainte de faire découvrir de nouvelles productions, en gardant à l’esprit qu’ils n’achètent pas pour eux, mais pour tous.

Du côté de vos collègues et de la communauté éducatives, quels ont été les retours et réactions ?

[Cyrille] Nous avons eu beaucoup de retours positifs. L’affichage avait lieu chaque jour à 10 heures, au CDI, en salle des professeurs, au self et dans l’agora, lieu de vie des élèves. Nous avons pu déployer autant de points d’affichage grâce à une collaboration fructueuse avec la vie scolaire, les AED ont joué le jeu et ont affiché dans ces différents espaces de l’EPLE. En salle des professeurs, le rituel a vite induit une grosse attente. Le dévoilement de la personnalité du jour est devenu un jeu. Des professeurs ont même demandé à récupérer des affiches.

[Erwann] Le référent TICE nous a rapidement proposé de relayer sur le site du lycée notre projet, ce qui a donné une visibilité hors établissement au projet. On a eu là aussi quelques retours positifs, et… notre seul retour négatif. Un parent d’élève élu au CA a adressé au Proviseur une remarque sur l’utilisation du terme “avent”, qui posait selon lui un problème au niveau de la laïcité. C’est un professeur d’histoire-géo, référent laïcité de l’établissement, qui lui a répondu, en rappelant que l’utilisation première de mot “avent” remontait aux empereurs romains. L’avent était alors la période festive qui précédait le retour des empereurs à Rome. Cette anecdote montre bien à quel point les professeurs eux-mêmes se sont emparés du projet et ont eu à coeur de le défendre.


Envisagez-vous des prolongements à cette action ?

[Cyrille] Oui, dès l’automne prochain deux professeures de lettres sont investies pour préparer avec deux de leurs classes le calendrier de l’avent 2017-18 : les élèves seront cette fois impliqués dans le choix des personnalités et la création des affiches. En outre, l’une des collègues souhaite mettre les élèves en situation de réécriture d’œuvres du domaine public à partir de janvier en s’inspirant des travaux d’Olivier Ertzscheid et de son livre Les Classiques connectés, elle souhaite aussi associer des sons et un paysage sonore aux mises en voix des textes produits par les élèves.

[Erwann] Par ailleurs, nous avons continué à creuser l’idée d’une bibliothèque numérique donnant accès à des œuvres du domaine public. Nous avons opté pour la solution développée par le réseau BiblioBox. Nous avons réfléchi aux limites potentielles du dispositif. Nous voulions une attractivité visuelle et un accès rapide, afin de réduire au maximum l’effet seuil. Pour le moment, nous avons intégré la collection d’ouvrages du domaine public rééditorialisés par TV5 Monde, et nous cherchons à collaborer avec les professeurs de lettres afin de systématiser l’ajout des lectures intégrales étudiées en cours.
Pour l’achat d’œuvres qui ne sont pas dans le domaine public, nous passons par le réseau de libraires indépendants LesLibraires.fr qui autorise le paiement par mandat administratif.

[Cyrille] Toujours dans l’optique de diminuer l’effet seuil de la BiblioBox, nous cherchons à réduire le nombre de clics pour accéder aux œuvres (travail sur l’interface d’accueil, et utilisation de bibliothèques numériques gérées sous Calibre et Calibre2opds).
Plus largement, ce dispositif est moteur dans l’inclusion des élèves avec troubles spécifiques du langage et des apprentissages (dys, etc) car il permet l’accès aux ouvrages numériques sous format epub. Les élèves peuvent donc adapter sur leurs smartphones l’espacement des caractères et utiliser des polices sans empattement. Dans la mesure où ce projet s’adresse à tous, nous défendons au prochain CA l’achat de cinq liseuses (au format ouvert) pour permettre le prêt de livres numériques à ceux qui ne possèdent ni tablette, ni smartphone tout en offrant la possibilité de l’ajout de la police OpenDys.

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