Marie-France Blanquet. 2 : Réponses (1ère partie)

(actualisé le )

Bonjour,

Merci pour les questions posées par l’intermédiaire de la liste E-doc et auxquelles je vais tenter de répondre le plus clairement possible. Pardon aussi d’y répondre avec tant de retard mais surtout pour ma franchise qui ne va, parfois, surement pas vous faire plaisir. Vos questions portent sur deux points. La première concerne l’intitulé donné au métier : documentaliste. La seconde le devenir de cette profession face aux nouveaux dispositifs d’enseignement (de type TPE) et des équipements logiciels permettant l’automatisation de certaines tâches documentaires (ici, le résumé automatique)

1° La ou les dénominations du métier :

Paul Otlet que l’on considère comme le « Père de la documentation » avait proposé le terme de fichiste pour qualifier ce métier. Dans son esprit, la fiche représente alors une base matérielle essentielle pour l’organisation et la mémorisation de l’information. Normalisée, elle permet de créer des catalogues et des banques de données bibliographiques. N’oublions pas qu’avec ses amis, Otlet est le créateur d’une des premières banques de données bibliographiques avec le Répertoire de l’Office international de bibliographie qui comporte à l’époque (en 1920 environ) quelques 10 à 12 millions de notices. Otlet voit dans la fiche une façon de rationaliser le livre et le document et tout naturellement, celui qui crée et remplit les fiches s’apelle le fichiste. Nous avons heureusement échappé à cette dénomination. Cela pour deux raisons principales : la confusion totale avec, d’une part, l’archiviste et le manque de dynamisme qu’évoque (à tort souvent) ce métier ; mais aussi, d’autre part, avec le policier, le banquier et autres métiers appelés à « ficher » leurs clients.

En 1932, l’Office de la langue française recommande le terme de « documentiste » (dent,dentiste, journal, journaliste...). « Documentateur » (observateur, explorateur...) et « documenteur » (administrateur, arpenteur, inventeur...) sont également proposés par Otlet et Jean Gérard. Pourtant, c’est le terme de documentaliste (que signifie « documental ? ») qui est adopté lors du Congrès de la Documentation Universelle en 1937. Mais ce terme ne fera son apparition dans les principaux usuels français qu’en 1970.

La difficile naissance linguistique du documentaliste est-elle à l’origine de son mal-être ? Car, depuis sa naissance, ce métier jeune est en mal de reconnaissance, confondu souvent avec ses cousins bibliothécaires et archivistes (métiers traditionnels), à la recherche d’un nouveau nom de baptême. On a vu ainsi une association professionnelle changer son intitulé : l’Association des documentalistes et bibliothècaires spécialisés est ainsi devenue dans les années 90, l’Association des professionnels de l’information et de la documentation. La Fédération internationale de la documentation dans le même temps est devenue Fédaration internationale de l’information et de la documentation ; comme si le terme d’information marquait mieux les missions de la documentation. Des métiers dérivés : courtier, veilleur...ne voulant pas être associés à l’intitulé : documentation, ont créé leurs propres filières et associations professionnelles. « Nous savons à quels points nos professions sont mal connues et nos compétences encore moins clairement identifiées » écrit Florence Wilhem-Rentler pour justifier le premier congrès « Convergences et spécificités des métiers des archives, des bibliothèques et de la documentation » qui aura lieu à Rennes en novembre 2003.

La quête incessante des documentalistes pour changer l’intitulé de leurs professions ou marquer clairement les limites qui les séparent de celles qui lui sont proches est révélatrice d’un malaise qui vient, certes des autres mais surtout d’eux-mêmes. Par ailleurs, pour l’enseignant documentaliste, l’ambiguité est doublée par le fait qu’il est en plus un enseignant (métier tradionnel également) !

Que les autres aient une mauvaise (voire pas du tout) perception d’un métier qu’ils ne pratiquent pas peut paraître « normal ». Connaissons-nous tous les métiers actuellement exercés dans notre environnement, en reconnaissons-nous les missions, les fonctions et les objectifs ? La consultation du Répertoire opérationnel des métiers (ROME) permet de découvrir des métiers, des noms de métiers aux missions et utilités sociales complètement nouveaux et originaux pour certains d’entre nous. Des professions sont connues parce qu’elles occupent le devant de la scène (les médias, par exemple) ou répondent à un besoin social largement reconnu (la justice, la santé...) Beaucoup d’autres n’occupent pas les premières places. Cela ne veut pas dire qu’elles sont inutiles ou secondaires. C’est le contraire même bien souvent.

La documentation fait partie de ces professions non placées sous les feux de la rampe, qui exigent persévérance et modestie avec des résultats peu spectaculaires à court terme. Mais qu’importe si ceux qui l’exercent le font avec « profession » au sens étymologique du terme !

Les documentalistes d’établissement scolaires veulent être reconnus. Leurs raisons peuvent être comprises par tous. Il est normal de vouloir que son travail soit reconnu, principalement quand il est animé par des idées sur l’hommme, son devenir et des valeurs essentielles d’égalité.
Il semble, cependant, plus important de répondre à la question par qui ils veulent être reconnus ? Si les décideurs ou supérieurs hiérarchiques et les élèves reviennent quelquefois dans ce constat de non-reconnaissance dénoncé par les enseignants documentalistes, ce sont le plus souvent les enseignants de discipline qui sont désignés ; c’est-à-dire des professionnels proches, qui font partie de leur environnement quotidien et qui font comme eux, au moins pour une moitié le même métier qu’eux (enseignant-documentaliste ; enseignant de discipline). Là le bât blesse réellement. Qelle fonction n’est pas reconnue : celle d’enseignant, de documentaliste ou d’enseignant-documentaliste et pourquoi ?

Plusieur raisons peuvent aider à expliquer le manque de connaissance et de reconnaissance des enseignants documentalistes dans les établissements scolaires, en particulier par les enseignants de discipline. Et pour une grande partie d’entre elles, ce sont les documentalistes qui en sont directement ou pas l’origine. Il appartient en effet à un professionnel qui exerce une profession de faire la preuve par ses actions de son efficacité et de son utilité. Cela n’est pas toujours le cas des enseignants documentalistes coincés dans un statut hybride où l’enseignant de troisième type( !) semble avoir pris le pas sur l’enseignant comme sur le documentaliste. Deux métiers en un pour en produire un troisième résume sa situation où celui de pédagogue domine et celui de documentaliste s’endort.

Expliquons-nous :

Lorsque l’on parcourt des revues professionnelles ou lorsque l’on assiste à des rencontres entre enseignants documentalistes, on a souvent l’impression d’être dans une formation en sciences de l’éducation. L’enseignant documentaliste parle beaucoup de pédagogie avec émergence dans son discours de termes phares repris en choeur par l’ensemble de ces professionnels. Ainsi, les termes d’autonomie, d’apprenants au cœur de, de posture pédagogique... reviennent très souvent. Analysons par exemple le terme d’autonomie. Il est vrai que l’acquisition de l’autonomie par l’élève est un objectif important pour tout enseignant. Mais pourquoi serait il le fait du seul documentaliste ? S’autoproclamer professeur d’autonomie n’est-ce pas une façon de signifier à l’enseignant de discipline que son objectif est l’assujetissement et la dépendance de leurs élèves.

Quand les documentalistes déclarent qu’ils veulent enseigner autrement, ils s’affirment en s’opposant par cette affirmation même aux enseignants de disciplines. Le sous entendu donné par le « autrement » marque déjà une opposition idéologique pédagogique. Enseigner en complémentarité ou documenter eut été une expression plus heureuse. Car à tort ou à raison, l’enseignant documentaliste incarne pour l’enseignant de disciplines le chapelet de reproches que l’on fait auucours magistral, à l’absence de transdisciplinarité, au groupe classe replié sur lui-même, à l’évaluation notée, au rythme scolaire... Il représente tout cela. Certes, cet ensemble d’idées peut et doit être défendu mais à condition d’être démontré dans l’action. Ce que ne font pas toujours les enseignants documentalistes qui oublient un peu trop facilement leur principale fonction : celle du documentaliste.

L’étonnement est profond, en effet, de voir que les documentalistes d’établissements scolaires acceptent -ou ont accepté- de se laisser appeler « enseignant documentaliste ». Il y a là un bégaiement incogru et absolument inacceptable. C’est oublier un peu vite l’étymologie du terme document issu du verbe latin « docere » qui signifie enseigner.C’est oublier également l’historique de ce terme et ses différents sens complémentaires synthèse de la mission du documentaliste. Le document en effet dans sa première acception juridique est synonyme de preuve. C’est le titre de propriété, par exemple. La langue espagnole a gardé ce sens en désignant par « documentacion » les pièces d’identité d’ un individu. Le mot a ensuite évolué pour signifier l’illustration d’un propos. C’est par exemple l’enseignant qui illustre son cours par des schémas, des cartes ou le botaniste qui ajoute à son texte des dessins de fleurs. Là, le document est second par rapport à l’apport primaire d’information apportée par l’homme et sa parole ou son écrit. Il « signale » (étymologie d’enseigner) par le document son savoir. Le terme de document, avec l’évolution des techniques d’imprimerie et d’édition, la démocratisation des supports... prend enfin le sens que nous lui connaissons aujourd’hui et qui porte en germe une idée chère à tous les documentalistes scolaires : celle de l’autonomie L’accès au document en toute liberté permet d’avoir, avec cette même liberté, accès à la connaissance. Cela de façon active et sans plus être dépendant d’une structure institutionnelle (cas des autodictates). Seulement l’accès au support ne signifie pas accès spontané et systématique au contenu, c’est-à-dire au savoir. Cela s’apprend. Cela veut dire que l’accès au document doit être accompagné afin que soit évaluée l’appropriation correcte de son contenu. En ces temps de « zapping » important un des rôle essentiel du documentaliste réside dans cette assurance que l’élève a assimilé le contenu informatif du document. Cette évaluation ne peut être menée à bien qu’avec l’assistance des enseignants de discipline. Cela pose une problèmatique dans la division du travail de ces deux corps d’enseignant , comme nous le verrons ultérieurement.

Un autre sens du terme document permet, par ailleurs, d’insister sur une autre idée chère, à juste titre, du documentaliste : celle de la vérification ou fiabilité de l’information. Paul Otlet avait pressenti ce que, plus tard, on a qualifié d’explosion de l’information. Que dirait-il aujourd’hui des milliards de pages que contiennent web visible et invisible ? Il devient donc impératif d’acquérir et de faire acquérir par les élèves l’esprit critique nécessaire pour savoir juger la qualité dans toute cette quantité d’information. Là encore le documentaliste joue un rôle essentiel par sa politique d’acquisition, le traitement matériel (catalogage) et intellectuel de l’information de son fonds documentaire et la mise à disposition différenciée suivant les niveaux, les besoins des élèves qu’il conduit au savoir ; à qui il doit apprendre aussi à surmonter deux maux contemporains et conjugés : sur et sous information. Enfin, une autre acception du terme permet de mettre l’accent sur la responsabilité de mise à dispostion à ses usagers, du document par le documentaliste ; le signalement de l’information par une signalétique appropriée entrant dans les compétences documentaires tout comme l’organisation d’un enseignement entre dans les compétences d’un enseignant.

C’est pourquoi, malgré tous les termes proposés : informatiste, informatologue, documentologue recherchiste, professionnel de l’information..., je pense, pour répondre aux questions de Nicole Boubée, d’Alain Gurly, Guy Pouzard et Andre Montagne , que « l’uniterme » de documentaliste convient très bien pour désigner à la fois la fonction, les missions et les objectifs de ce professionnel. Pis, il me parait dangereux de se réfugier dans des dénominations qui mettent l’accent sur des outils ou équipements : cyberdocumentaliste, informatiste ou informaticien. Cela risque de signifier que le métier n’existe qu’à travers cet équipement au risque de faire oublier les activités conceptuelles ou invisibles d’une profession. C’est un peu le piège, semble-t-il dans lequel sont tombés les documentalistes scolaires avec les TICE. Si l’arrivée des technologies de traitement et de diffusion de l’information leur a permis de se démarquer et de montrer leur qualité de veille et d’adaptation, ces technologies en se popularisant, placent ces qualités dans l’ombre et rendent « inutiles » les professions qui allaient avec !

En résumé, pour répondre à la question de Jacqueline Valladon, je ne pense pas que le documentaliste scolaire soit dans une impasse s’il acquiert une plus grande professionnalisation documentaire : être documentaliste ne se limite pas à la gestion d’un fonds. C’est d’abord et avant tout avoir une rigoureuse politique d’acquisition, c’est à-dire connaître et évaluer les gisements d’information, les sélectionner en fonction d’une analyse des besoins et les traiter de façon à les mettre à disposition des usagers du centre de documentation. En ce sens, le documentaliste est un réel enseignant mais cette qualité est englobée dans l’intitulé de son métier.

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