Depuis quelques semaines, certains professeurs documentalistes expriment sur les listes professionnelles et les réseaux sociaux leur difficulté à se positionner comme enseignants dans le cadre de la réforme du collège qui sera mise en place à la rentrée 2016.
Que disent les textes ?
- La loi de refondation de l’École (2013)
« Il est impératif de former les élèves à la maîtrise, avec un esprit critique, de ces outils qu’ils utilisent chaque jour dans leurs études et leurs loisirs et de permettre aux futurs citoyens de trouver leur place dans une société dont l’environnement technologique est amené à évoluer de plus en plus rapidement. Les professeurs-documentalistes doivent être particulièrement concernés et impliqués dans les apprentissages liés au numérique. » - Le Référentiel de compétences des métiers du professorat et de l’éducation
“les professeurs documentalistes, [sont] enseignants et maîtres d’œuvre de l’acquisition par tous les élèves d’une culture de l’information et des médias” et doivent notamment maîtriser des “connaissances et les compétences propres à l’éducation aux médias et à l’information”. - Les programmes entérinent l’enseignement effectif de l’EMI (Éducation aux Médias et à l’Information) dans les programmes au cycle 3 et au cycle4.
« Tous les professeurs, dont les professeurs documentalistes, veillent collectivement à ce que les enseignements dispensés en cycle 4 assurent à chaque élève :
une première connaissance critique de l’environnement informationnel et documentaire du XXIe siècle ;
une maitrise progressive de sa démarche d’information, de documentation ;
un accès à un usage sûr, légal et éthique des possibilités de publication et de diffusion. »
L’objet du débat
Si l’EMI est présentée dans les programmes comme transversale et pluri-disciplinaire, les professeurs documentalistes, n’ont pas d’autre domaine d’enseignement reconnu, eux qui doivent "maîtriser les connaissances et les compétences propres à l’éducation aux médias et à l’information" (selon le Référentiel de compétences). Pour cette EMI, s’il y a bien un programme, aucun cadre horaire n’est imposé. Au moment où les établissements réfléchissent aux structures pour l’année prochaine, les enseignants des autres disciplines sont concentrés sur l’évolution de leur propre discipline (nouveaux programmes, nouvelles modalités de cours, pédagogie de projet). Ils sont donc moins préoccupés par l’EMI.
Par ailleurs :
la vision malheureusement répandue (et liée à une simple entrée de la problématique par la question des flux des élèves) qui dit que quand des élèves sont en séance au CDI, le CDI est "fermé"
et le décret Missions et obligations réglementaires de service des enseignants des établissements publics d’enseignement du second degré qui permet que "chaque heure d’enseignement" des professeurs documentalistes soit "décomptée pour la valeur de deux heures" (qui est très inégalement appliqué selon les contextes locaux des établissements comme le montre l’enquête de l’APDEN publiée le 9 février 2016)
incitent certains chefs d’établissement à tenir les professeurs documentaliste à l’écart des nouveaux dispositifs : AP dès la 6ème et EPI en 5ème, 4ème, 3ème. Le droit à être à l’initiative d’un EPI et/ou à le co-animer leur est parfois non reconnu.
Localement, le plus souvent, ce sont des logiques de gestion de flux des élèves hors cours qui prévalent sur l’entrée par les apprentissages et l’entrée éducative. Or, aujourd’hui les questions liées aux conséquences des publications en ligne, aux risques de désinformation, au "vivre ensemble" dans un monde connecté et plus globalement au lire/écrire à travers les médias sont plus que jamais cruciales.
L’École, par le biais des programmes prend en compte cette réalité, mais dans les faits les professeurs documentalistes ont le sentiment qu’ils ne peuvent ni faire valoir leur expertise enseignante ni être entendus sur l’urgence à promouvoir l’EMI.
Cette situation est dénoncée par les collègues concernés.
Quelques liens vers des articles sur le sujet ont été recensés par Frédérique Yvetot : http://sitedeladoc.free.fr/Lutte/ProfsDocsMecontents.html
Un article sur "Vousnousils" datant du mois de juin 2015 : Profs docs : « nous aimerions être un peu plus visibles ! »
Le collectif Où est le prof doc ? (Facebook, Twitter) continue de "défendre les missions d’enseignement malmenées par les textes officiels récents".
L’APDEN (Association des Professeurs Documentaliste de l’Education Nationale ex FADBEN) dresse un état des lieux en janvier 2016 : et réclame des horaires d’enseignement dédiés "La cohérence de cette réforme, pour ce qui concerne les professeurs documentalistes, passe par [...] la mise en place d’horaires dédiés pour les apprentissages en information-documentation ou en éducation aux médias et à l’information, horaires qui doivent être garantis pour tous les élèves et reconnus statutairement comme des heures d’enseignement pour les professionnels qui les dispensent."
Le Café Pédagogique a publié un article intitulé : « Les professeurs documentalistes , oubliés de la réforme du collège ? »
D’autres points de vue ?
Dans un entretien« Le professeur documentaliste : De l’EMI à l’établissement apprenant » daté du 19 décembre 2015 accordé à l’APDEN, Alain Picquenot IA-IPR Etablissements et Vie scolaire honoraire développe un point de vue différent. Dans ce texte optimiste pour l’avenir de la profession il invite à réinterroger la posture de l’enseignant, au regard de la dimension des lieux dans lesquels le professeur documentaliste exerce : le CDI d’abord, mais plus globalement l’établissement.
"Mon propos fera plus polémique que les précédents sur les deux premières avancées. Mais à partir du moment où la qualité d’enseignant est reconnue très clairement par le texte de juillet 2013, les professeurs documentalistes (des professeurs qui sont des documentalistes) n’ont plus à redouter les dérives qu’ils envisageaient. C’est aussi en faisant « son » travail de documentaliste dans « son » établissement que le professeur montre la nécessité et l’utilité de sa « discipline »."
Comment se situer ?
La profession des professeurs documentalistes est constituée de profils variés (voir les différentes enquêtes de l’APDEN par exemple). Cette diversité des profils est une richesse, mais la rend plurielle.
Les professeurs documentalistes sont désormais formés aux nouveaux usages liés au numérique et à leur prise en compte dans leurs séances d’enseignement. Bien plus que d’être de simples gestionnaires de ressources, ils enseignent, veillent, diffusent leur veille à leurs collègues, travaillent en réseaux (dans des associations, dans les académies ou bassins, sur les listes professionnelles, sur les réseaux sociaux...). Les professeurs documentalistes sont attentifs et réactifs sur toutes les questions liées aux évolutions de la société et aux événements médiatiques.
Les professeurs documentalistes de 2016 assument au quotidien une place spécifique dans les établissements. Leur identité professionnelle se dessine autour de quelques lignes de force :
Ils enseignent tous les jours, selon des modalités diverses et selon leur contexte local : devant des classes entières, devant des petits groupes, mais aussi très souvent lors des apprentissages individuels : ils observent, interrogent l’élève qui fait une recherche ou publie un document ("Quelles sont ses démarches ?") pour percevoir son niveau d’appropriation des notions info-documentaires : auteur, source, information pertinente...
Ils savent que leurs objets d’enseignement, le document et l’information, sont en évolution et en complexification constante. Ils savent que le monde contemporain est de plus en plus documenté. Ils sont logiquement attachés à l’enseignement de l’information-documentation, pour autant, ils sont attentifs à ce que ce qu’ils ont enseigné dans le cadre d’un projet avec une discipline soit réactivé dans un projet avec une autre discipline.
Ils utilisent très régulièrement pour leur élèves la pédagogie de projet.
Ils enseignent aux élèves à analyser les traces de leurs recherches, à verbaliser leur cheminement, à expliciter leurs démarches. Ils les aident à comprendre et s’approprier leurs espaces informationnels, la structuration du Web. Ils leur enseignent comment publier et partager des informations de façon responsable (voir le curriculum APDEN ou la matrice EMI de l’Académie de Toulouse).
Ils portent pour leurs élèves une vision de l’environnement numérique qui ne passe pas par une " éducation par la peur" mais qui les invite à agir sur cet espace de façon libre, critique et créative en développant et assumant une présence numérique.
Ils font la promotion de la lecture et de l’ouverture culturelle, non pas à coté de leur activité d’enseignement, mais bien au centre dans cette volonté d’aiguiser les esprits et une connaissance du monde par le sensible.
Où en sommes-nous ?
Les professeurs documentalistes, dans les établissements du secondaire, sont une chance pour les élèves face aux nouveaux défis du monde actuel.
Najat Vallaud-Belkacem, dans un discours du 9 février 2016, l’explicite : "Grâce à eux, les élèves accèdent à une compréhension des médias, des réseaux et des phénomènes informationnels dans toutes leurs dimensions : économique, sociétale, technique, et éthique. Ils donnent aux élèves les connaissances nécessaires pour maîtriser l’information, et avoir, devant les écrans, une distance critique et une autonomie réelle."
Les contenus cités par la Ministre sont aussi essentiels qu’ils sont conséquents : remise en cause des digital native et donc nécessité de décortiquer le monde numérique, étude des sources, prise de conscience de la bulle créée par les algorithmes, étude des médias, réseaux et phénomènes informationnels, création de médias scolaires...
Cette reconnaissance est importante mais :
Quand les élèves vont-ils apprendre tout cela ?
Quels moyens les professeurs documentalistes vont-ils avoir réellement à leur disposition pour répondre aux espoirs et à l’ambition éducative portés par la mise en place de l’Éducation aux Médias et à l’Information ?
Le débat est ouvert
Partager cette page