Mais, en outre, il me fallait veiller à organiser toutes les autres activités normales d’un CDI, en particuliers les expositions... J’en faisais environ une par trimestre. Le problème était de se procurer des expos dignes d’intérêt... J’avais à ce sujet un vrai partenariat avec les banques locales, que je ne citerais pas par crainte d’être taxé de publicité abusive, mais qui sont de vraies mines à expositions de qualité, même si la plupart portent sur la banque et le système économique, mais pas seulement. J’avais aussi, pendant longtemps organisé des journées professionnelles destinées à l’orientation des élèves, en liaison avec la Conseillère d’Orientation. Le CDI était alors envahi par des professionnels venus d’un maximum d’horizons, et par des élèves venus les questionner..!
Je me procurais, comme tout le monde, les expos itinérantes des CDDP/CRDP. Je dénichais quelquefois des choses plus originales comme la gigantesque collection de papillons exotiques de mon premier principal, ex-prof de SVT, et l’énorme collection de coquillages venus des iles du Pacifique qui est la propriété de mon troisième principal !! Je récupérais un jour une magnifique exposition sur Victor Hugo patiemment collectionnée et mise en forme par un collègue prof de français à Alès...
Enfin, je fus mis un jour en relation avec un journaliste d’un journal régional qui, féru de vieilles photos, possède une énorme collection de photos authentiques de la guerre de 14, dont il a réalisé lui même des panneaux d’exposition. Il possède aussi toute une série d’appareils photos, et un grand nombre de stéréogrammes sur plaque de verre, avec les visionneuses de métal qui permettent de voir les photos en relief... le tout d’époque.
Je faisais aussi venir des journalistes et des écrivains locaux, ainsi que des libraires, comme le remarquable Pierre M. Celui-ci, qui exerçait à l’origine la profession de physicien dans une centrale nucléaire de la vallée du Rhône, avait un jour tout laissé tomber pour se consacrer entièrement à sa passion pour la langue et la culture occitane. A ce titre, il avait ouvert à Salindres, à côté d’Alès, une librairie occitane, véritable caverne d’Ali Baba, qui recélait de véritables trésors, attirant des spécialistes des quatre coins de l’hexagone [1], et même d’Allemagne..! C’était une drôle de boutique, où Pierre ne se trouvait pas très souvent, parce qu’il était en train de discuter (en occitan) quelque part à côté, en ville. Il y avait un écriteau (en occitan) où se trouvait inscrit à peu près le texte suivant : « Prenez ce que vous voulez et laissez l’argent sur la table. Merci ! » Pierre a vécu ainsi toute sa vie de libraire. Il a maintenant fermé boutique, pris sa retraite, mais il continue à intervenir, sur demande, dans les écoles, en faveur de cette langue occitane qu’il pratique à la perfection.
Je passe évidemment sur les expos de travaux d’élèves qui sont le pain quotidien des CDI...
Il y avait en outre les sorties pédagogiques auxquelles j’ai quelquefois participé, mais plus rarement car il fallait que je reste au CDI !! A ce sujet, il me revient une anecdote amusante, que je m’en vais vous infliger, dans laquelle je jouais d’ailleurs le rôle du dindon de la farce. Je devais avoir une quarantaine d’années alors, et Georges, le prof de physique, avait coutume d’organiser chaque année avec des 3°, une sortie d’une dizaine de jours en Aveyron, dans un centre d’équitation voisin de Rodez. On y faisait bien sûr du cheval, mais aussi des classes de découvertes du riche patrimoine local : étapes de la Route du Sel, art roman à Conques, Rodez, etc...
Le Principal, ne voulant pas trop empiéter sur les journées de classe, avait exigé que la moitié du séjour se fasse pendant les vacances de Pâques...! Cela m’arrangeait, car ainsi, je pus participer à la 2° partie du séjour. Donc, je rejoignis l’équipe tout seul, par mes propres moyens, au tout début des vacances, comme je l’avais promis à Georges, qui, en outre, s’était adjoint Juju.
Arrivé bien après tout le monde, il y eut des difficultés pour me donner une chambre.. Je déclarais donc gaillardement qu’il ne fallait rien déranger pour moi, que j’avais amené une toile de tente et un duvet, et que je coucherais dehors, dans le pré, au bord de la rivière. On était en avril, il faisait très beau, mais on était sur le plateau aveyronnais à quatre ou cinq cents mètres d’altitude, et ce qui devait arriver arriva.
Il fit un froid de canard, et ma toile fut recouverte de deux millimètres de glace au bord de l’eau. Je ne pus pas fermer l’œil de la nuit, habillé comme un ours dans mon duvet. A deux heures du matin je faisais du footing dans le pré. A sept heures, Juju qui prenait son café aux cuisines me vit arriver, blême et tremblotant. Je me jetais sur le café bouillant, seulement, je ne voulais faire semblant de rien après mes proclamations glorieuses de la veille. Juju, fine mouche, qui l’avait fort bien compris, se marrait tellement qu’elle faillit s’étouffer avec ses tartines.
Toute la journée, je tremblais d’avance en pensant à la nuit suivante, et je me triturais désespérément les méninges en cherchant une solution à mon problème, et une échappatoire qui ne ressemblât pas trop à une capitulation sans condition..
Vers le soir, le patron du Centre Equestre arriva de Marseille où il était allé chercher un magnifique étalon arabe pour le dresser. Il vint me dire qu’il était obligé de le laisser tout seul.... et de le lâcher dans mon pré !! Et que je fasse attention parce qu’il risquait de me ronger les cordes de ma canadienne, voire mes serviettes qui séchaient dessus, sans compter diverses pièces de lingerie.
Je sautais aussitôt sur le prétexte et déclarais d’un air inquiet que, dans ces conditions, je ne pouvais plus camper là !! Et que, si, par hasard, par extraordinaire, et d’aventure, il y avait quelque part un coin inoccupé, à l’abri, j’y poserais volontiers mon couchage. Le patron, brave type, ne chercha pas à comprendre mes motivations profondes, et m’envoya dans un hangar où il rangeait d’innombrables sacs d’avoine pour sa cavalerie.
Je ne me le fis pas répéter. Et je vous affirme que je couchais là tout le reste du séjour, ayant posé mon matelas directement sur le ciment du sol, avec délectation, et je trouvais même que le grignotement permanent des souris dans les sacs d’avoine y faisait une délectable musique.
Et même, luxe inouï, lorsque on me demandait si je n’étais pas trop mal, je me donnais hypocritement des airs martiaux. Mais Juju ne fut pas dupe.
En effet, le lendemain, comme je me réveillais, béat, je la vis arriver, tenant à la main une paire de chaussures de tennis, les miennes, que j’avais oublié d’emporter dans ma hâte de déménager au plus vite. « Je les ai trouvées dans le pré, me dit-elle d’un air innocent. Tu n’as pas eu peur que le cheval te les mange ??! »
Je la regardais de travers, mais, quand je vis sa tête hilare, je fus saisi moi aussi d’un fou rire inextinguible, et, jusqu’à son départ à la retraite, bien avant moi, cette histoire nous fut une véritable cure de rigolade à chaque fois que nous l’évoquions ensemble !
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