Yves Le Coadic, contre les images saintes de la politique documentaire

(actualisé le )

Voici un texte d’Yves Le Coadic, publié dans le cadre des interviews de la liste E-Doc. Les abonnés peuvent réagir à ces propos et poser leurs questions à l’auteur, directement sur la liste. Questions et réponses feront ensuite l’objet d’une compilation.

La Politique dite Documentaire du Ministère français de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche

Introduction

Dans l’enseignement secondaire, un certain nombre d’actions éducatives ont vu le jour ces dernières années. Ce sont :
- les Travaux personnels encadrés (TPE) qui « se situent en rupture avec tous les dispositifs précédents qui visaient à renforcer, à multiplier les actions de soutien », ont pour objectif premier de faire acquérir à l’élève de nouvelles compétences qui prennent en compte l’évolution des savoirs et l’impossibilité pour quiconque d’en maîtriser la totalité, même dans un seul secteur de la connaissance, et donc l’absolue nécessité de savoir trouver l’information en utilisant toutes les technologies et les méthodes disponibles.
- les projets pluridisciplinaires à caractère professionnel (PPCP) « menés par petits groupes d’élèves ont notamment pour objectifs de les entraîner à organiser méthodiquement leur travail, à rechercher et à exploiter de la documentation, à mettre en relation les connaissances et les aptitudes qui s’acquièrent dans les différentes disciplines. Tout en satisfaisant le goût de nombreux élèves de l’enseignement professionnel pour les réalisations concrètes, ils favorisent leur esprit d’initiative, leur créativité, leur capacité à repérer des erreurs et à les rectifier et sont un atout supplémentaire pour leur insertion professionnelle. »

Mais aussi, les IDD, l’ECJS, les Travaux croisés...

Ces actions éducatives s’appuient non plus sur des mécanismes de transmission de connaissances par ceux qui savent à ceux (savants) qui ne savent pas (ignorants appelés pudiquement apprenants en science de l’éducation) mais sur des mécanismes d’appropriation de connaissances à partir de produits ou de systèmes d’information conçus par des professionnels de l’information. De ce fait, le dispositif dépositaire de ces produits et systèmes, le Centre de Documentation et d’information (CDI) et les personnels qui ont la charge, les professeurs « documentalistes » (titulaires du CAPES de documentation) ont été mis en lumière.

La demande résultante ayant accentué la pression multiforme à leur égard, est apparu alors au Ministère le besoin de définir une politique (au sens d’une manière de gouverner la documentation) appelée tout naturellement Politique documentaire. Ont été alors tout aussi naturellement mobilisés les cadres intermédiaires du Ministère : inspecteurs généraux, recteurs, inspecteurs d’Académie, inspecteurs de l’éducation nationale, inspecteurs pédagogiques régionaux, tous et toutes très compétents en politique mais pas en documentaire, la « discipline scolaire » à laquelle ils se réfèrent étant la « Vie scolaire ». Le résultat : un certain nombre de rapports, de lettres, de textes écrits par ces cadres qui s’évertuent non sans mal, le sujet semblant peu compris, à définir cette nouvelle politique et, bien entendu, le rôle des professeurs de documentation. Deux orientations politiques dominantes apparaissent actuellement dans les textes (officiels) qu’ils ont produits, orientations qui conduisent à faire des actuels documentalistes soit des responsables de la communication de l’établissement, soit des responsables de systèmes d’information et de documentation de l’établissement ; c’est-à-dire des personnes éloignées de toute préoccupation pédagogique. Une troisième orientation politique n’apparaît pas : c’est celle du professeur d’information, responsable de la politique d’éducation à l’information des élèves, élèves pourtant fortement sollicités sur ce sujet dans les nouvelles actions éducatives que nous avons décrites plus haut et dans la vie en général. Par contre, apparaît l’orientation politique contradictoire de ne pas faire des documentalistes des enseignants, alors même qu’ils ont tous et toutes un certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement secondaire !

- 1. La politique documentaire, c’est la politique de communication de l’établissement : le responsable, c’est le (la) DIRCOM (directeur de la communication).

Dans les établissements, le DIRCOM est « responsable » de la communication et met en image la politique du principal ou du proviseur. Il fait partie de l’équipe de direction. Souvent épaulé d’une petite équipe, il utilise tous les outils de valorisation de l’établissement auprès de ses différents publics. Il entretient des relations avec la presse, édite un journal pour informer les personnels et les élèves, rencontre les élus locaux, rédige le rapport d’activité, développe des relations avec les entreprises, crée un site Internet, etc. Il maîtrise bien les nouvelles techniques d’information.

Déjà dans la circulaire de 1986, on retrouvait cette orientation dans l’énoncé de certaines missions : devoirs d’accueil et de socialisation, communication avec les enseignants, organisation d’activités socioculturelles, valorisation de l’image de l’établissement, liens avec les partenaires.

- 2. La politique documentaire, c’est la politique des systèmes d’information et de documentation de l’établissement : le responsable, c’est le (la) DIRSID (ou directeur des systèmes d’information appelé aussi DSI).

Le DIRSID est à la fois un manager et un technicien. Manager, car il définit, propose et met en oeuvre la stratégie des systèmes d’information de l’établissement, définit les budgets et gère les moyens matériels et humains. Technicien, parce qu’il doit parfaitement connaître l’environnement matériel et logiciel (architecture système et web, architecture réseaux et sécurité) de son établissement pour le faire évoluer en même temps que les technologies : intranet, réseau haut débit, logiciel de travail coopératif, serveur Web, système de GED, postes client léger, développement d’outils citoyens. En tant que responsable d’un service très important pour l’établissement, il prend évidemment part aux comités de direction. Son rôle est de la première importance puisque la qualité et l’efficacité de l’équipement en techniques d’information conditionnent bien souvent la réactivité et le rendement de l’établissement.

Là aussi dans la circulaire de 1986, on retrouvait cette orientation dans l’énoncé de certaines missions : maîtrise et gestion patrimoniale des ressources et des équipements du CDI, projets d’équipement, d’informatisation, gestion de l’espace documentaire.

- 3. La politique documentaire, c’est la politique d’éducation à l’information des élèves : le responsable, c’est le (la) professeur d’information.

Niée par les cadres intermédiaires du Ministère, la politique de l’enseignement de l’information au collège et au lycée est à construire. Pourtant sa légitimité n’a jamais été mieux établie dans une société où la demande d’information, quelle que soit son ambiguïté, n’a jamais été aussi forte. Mais elle est loin d’être établie dans le cadre scolaire alors qu’elle l’est dans le cadre universitaire.
Plus généralement, pèse sur l’enseignement de l’information une doctrine officieuse qui imprègne et oriente de fait la profession. Elle est officieuse parce qu’elle ne figure comme telle dans aucune instruction officielle ni aucun texte de programme. Mais c’est une doctrine parce qu’elle est explicite et cohérente ; elle a été expressément formulée lors de colloques, de conférences et dans divers articles ; elle est en permanence rappelée en filigrane dans les rapports des jurys de concours ou les rapports d’inspection.

Cette doctrine qui donne corps à la politique documentaire actuelle part du principe que la documentation n’est pas une discipline et n’a pas vocation à être enseignée. Et donc que l’information n’en serait pas une non plus. Il n’y aurait concernant l’information ni exigences scientifiques, ni exigences pédagogiques et didactiques : il n’y aurait donc aucun savoir enseignable. Or on sait que cela est faux car il existe une discipline de plein droit qui est la science de l’information enseignée comme chacun sait à l’Université.
On entretient ainsi le mythe d’une discipline « ascolaire ». Malgré tout, au fil des années s’est développée une scolarisation rampante et non assumée de l’information, mais une mauvaise scolarisation faite d’initiations, de sensibilisations, de formations soi-disant à l’information, etc. Scolarisation encouragée encore une fois par la circulaire de 1986 qui donnait aux professeurs documentalistes mission « d ’initiation et de formation des élèves aux techniques documentaires ».

En Conclusion

Si, comme le dit un de ces rapports, la définition des missions et la description des tâches des professeurs documentalistes, à la fois professeurs d’information et professionnels de l’information, forment un spectre professionnel trop large et si l’acquisition de compétences informationnelles est devenue une exigence pédagogique entraînant un projet pédagogique pour la documentation, alors une politique « documentaire » intelligente sera une politique de l’enseignement « documentaire ». Plus précisément, une politique d’éducation à l’information car la documentation n’est que le prétexte à l’information. La définition de cette politique devra contribuer à faire vivre l’information au collège, au lycée et à l’Université et faire concourir information, pédagogie et didactique au développement de l’esprit critique et de l’autonomie des élèves. Ce qui conduira à :
- reconnaître que l’information au collège et au lycée est une discipline scolaire.
- reconnaître qu’apprendre à s’informer et à informer est un apprentissage et qu’enseigner l’information est un métier.
- assumer la diversification des formes d’enseignement de l’information qu’entraîne sa démocratisation.
- articuler l’apprentissage informationnel et les savoirs.
- articuler l’apprentissage informationnel et l’apprentissage de nouveaux usages des techniques d’information.
- ne pas confiner l’enseignement de l’information au collège et au lycée.
et à remodeler la formation initiale et continue des nouveaux professeurs d’information et de documentation ainsi que les concours de recrutement et à concevoir un concours de recrutement de professeurs agrégés d’information.

Parce qu’elle développera les moyens de favoriser l’appropriation et l’exercice par le plus grand nombre du savoir et de la réflexion informationnelle, cette politique apportera par là même sa pierre à la difficile et nécessaire démocratisation de l’information et de son enseignement.

P.-S.

Yves F. LE COADIC
CNAM Information scientifique et technique
292 rue Saint-Martin
75141 PARIS Cedex 03 - France
lecoadic@cnam.fr

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