Je ne serai pas chiche. Après une Préface et des avertissements, voici un Prologue. Vous ne pourrez pas dire que je vous mesure, que dis-je, que je vous plains, tous les ingrédients habituels de l’oeuvre littéraire, à défaut évidemment d’une "oeuvre" elle-même. Vous aurez peut être même une Postface, si j’y arrive, sans compter les Annexes, notes diverses et bibliographie, toujours possibles, en y réfléchissant bien.
Je saute à pieds joints par dessus mes débuts en tant que MA. Deux années, complètes, dont Mai 68, une date historique.. que j’ai vécu comme tout le monde à cette époque, en surveillant les bâtiments vides de mon Lycée ( à Bédarieux, Hérault), et en bâtissant, en paroles, un avenir meilleur : c’est beau d’être jeune. Je recommencerais bien.
A la rentrée 68, je suis titularisé au Lycée A. D. de Nîmes. Je vais y enseigner l’Histoire et la Géographie deux années avant d’aller faire mon service militaire. On m’a donné des classes de 1° cycle à l’annexe Jean Reboul située dans un ancien couvent désaffecté, complètement délabré, derrière le vénérable Lycée lui-même.
J’ai un emploi du temps qui, de nos jours, passerait peut être pour scandaleux. Le lundi par exemple, j’ai cours de 8 à 9, de 11 à 12 et de 16 à 17. J’habite assez loin et ne peux rentrer chez moi. Donc je passe ma journée au Lycée à préparer des cours et corriger des copies. A l’annexe, j’ai une salle de cours tellement vétuste que cela défie toute description. Il faut d’abord traverser trois autres salles de cours en enfilade avant d’accéder à la mienne.. La sonorisation y est totale. On entend tout ce qui se dit à côté.. Les murs tremblotent, les planchers vibrent. J’ai fait reculer les tables du premier rang car j’ai peur que le tableau dégringole sur les gamins, lorsque j’écris dessus.
Pour accéder aux étages, il faut passer sur des balcons d’accès en encorbellement. Le sol de ces balcons est constitué de lourdes plaques de pierres taillées encastrées dans des poutrelles de fer rouillées. Or, de temps en temps, il manque une plaque !! Il faut enjamber !! Au dessous, il y a un étage ou deux de vide. De nos jours on crierait au suicide. A l’époque, on enjambait, quoi ! sans sourciller.. les quarante centimètres manquants !! En disant toutefois : « Faites attention !! »
Les gamins m’aiment bien. Ce sont des garçons. La mixité est encore balbutiante.. Lorsque je leur annonce mon départ pour le service militaire, ils se cotisent pour m’offrir un cadeau : un livre sur le Japon. Pourquoi le Japon, mystère, je n’ai jamais su. Ils ont dû rencontrer un problème de budget chez le libraire, je suppose ! J’ai ce livre dans ma bibliothèque et j’y tiens beaucoup, c’est mon premier cadeau d’élève. Ils ont tous signé sur la page de garde. Pas un ne manque à l’appel. Autour des signatures, ils ont collé des décalcomanies tirées de la BD « Les Chevaliers du Ciel », feuilleton qui passe à la télé. Ils me prennent pour Tanguy et Laverdure réunis, sûrement, parce que je leur ai dit que j’étais affecté dans l’aviation. Ce qui est vrai, mais ils ne savent pas, et moi non plus, que je ne mettrais jamais les pieds dans un avion sur la base aérienne où je vais aller !! J’ai bien ri en voyant les décalcomanies, mais en cachette, naturellement, parce qu’ils étaient sérieux comme des papes en m’offrant le livre, et le délégué spécial qu’ils avaient nommé me faisait un si beau discours...
Et puis quand ce dernier cours a été terminé, ils m’ont chanté quelque chose, je crois bien que c’était « Adieu, Monsieur le Professeur ». Je sais, ça doit sembler surréaliste. Alors, je les ai fait sortir, avant de montrer trop d’émotion. Je suis un grand sentimental, mais j’ai bien fait d’en profiter. Car je dois dire que cela ne m’est plus jamais arrivé de toute ma carrière..
En Septembre 1971, après un interlude de 16 mois, retour au lycée.. On a démoli l’annexe. J’ai hérité de classes du second cycle, et répéter chaque année le même cours aux trois classes de 2° dont je suis chargé me pèse de plus en plus. La Révolution Française me sort par les pores, et le cours de météorologie aussi, par les mânes de Pédelaborde, et de Soboul !! Comme d’habitude, je suis atteint de bougeomanie...Je songe sérieusement à me recycler.. J’envisage même à un moment la carrière d’Inspecteur Primaire..
Et puis, un beau jour, je tombe en arrêt devant le Service de Documentation de mon Lycée. La titulaire est sympa, nous parlons occitan tous les deux, et, ma foi, je sens que ce travail pourrait bien m’intéresser. Moi qui cherche la variété, je risque fort de la trouver.. A ces lointaines époques, on était nommé dans un Service de Documentation sur simple entretien avec le Directeur du CRDP.. Je postule et c’est ce qui m’arrive. A la rentrée 74, me voilà nommé dans un Collège neuf de la Zup de Nîmes.
C’est le coup d’envoi de ma carrière de Documentaliste, mais je l’ignore, comme j’ignore à peu près tout du métier.
Evidemment.
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