Entretien avec Pascal Duplessis, créateur d’ID Base.

(actualisé le ) par Doc pour Docs

Actuellement professeur documentaliste et formateur à l’ESPE des Pays de la Loire, site d’Angers, Pascal Duplessis est responsable pédagogique du Master MEEF Documentation et responsable de la préparation au CAPES interne. Il est membre fondateur du Groupe de recherche sur la culture et la didactique de l’information (GRCDI).

Bonjour et merci d’avoir accepté de vous soumettre au jeu de questions/réponses proposé par Doc pour docs !
Vous avez mis en ligne fin octobre 2013 une base de données ID Base, sous-titrée « fiches pédagogiques pour professeurs documentalistes ». Elle contient à ce jour 45 fiches pédagogiques extrêmement documentées, rigoureusement présentées et analysées.

1. Quelle est l’idée de départ du projet ID Base : vos réflexions, vos objectifs ?

Le projet ID Base est à la convergence de plusieurs réflexions dont certaines sont déjà anciennes. La première s’intéresse au moyen de relancer le chantier didactique sur l’élaboration curriculaire, chantier qui a commencé au début des années 2000 et qui s’est concrétisé depuis par l’émergence d’un projet ambitieux, la création d’un curriculum de l’information-documentation , et des avancées déterminantes, principalement l’ébauche d’un corpus de notions.

La problématique didactique articule la question des apprentissages : comment les élèves apprennent-ils ? la question des savoirs scolaires : quels contenus doivent être transmis ? et enfin la question pédagogique : comment les professeurs-documentalistes organisent la mise en scène de leur enseignement pour que les élèves apprennent ? C’est dire s’il est nécessaire, pour penser cette didactique nouvelle, de réfléchir à un équilibre entre ces trois actants incontournables que sont l’élève, les savoirs de référence et l’enseignant. L’angle d’approche d’ID Base est de se pencher plus particulièrement sur ce dernier, pour examiner de près comment il perçoit ce travail didactique et comment il œuvre à son édification sur le terrain, conjuguant réception des savoirs de référence et médiation auprès des élèves. Il faut avoir à l’esprit que l’enseignant documentaliste , sans programme ni horaires institutionnalisés mais fidèle à son mandat pédagogique, fait quotidiennement œuvre didactique en analysant les besoins et les difficultés des élèves , en sélectionnant et en adaptant les savoirs de référence et en créant des situations d’enseignement-apprentissage adéquates. Afin de pouvoir compléter les approches épistémologiques et psychologiques en cours, il m’a semblé temps d’interroger les pratiques didactiques et pédagogiques des professionnels et de mesurer le poids et la nature de leur contribution au chantier curriculaire.

La deuxième réflexion m’est venue d’un travail que nous menons depuis trois ans avec des collègues du secondaire sur l’analyse de séances pédagogiques mises en ligne ces dix dernières années. Cent fiches ont ainsi été passées au crible pour tenter de repérer les contenus d’enseignement-apprentissage que privilégient les professeurs documentalistes lorsqu’ils font cours ainsi que les méthodes pédagogiques qu’ils utilisent. L’analyse n’est pas terminée mais il ressort déjà deux points qui nous intéressent ici.
Le premier est que coexistent aujourd’hui deux didactiques différenciées. La première, la plus ancienne, est la didactique de la « recherche documentaire », héritée des travaux de Brigitte Chevalier en 1983. D’inspiration béhavioriste (le découpage de la tâche en multiples étapes), s’appuyant sur des référentiels de compétences procédurales, elle est de nature transversale et nécessite, pour ne pas tourner à vide, de travailler avec les disciplines instituées , en tant qu’auxiliaire méthodologique.
La seconde est beaucoup plus récente, bien qu’elle puise sa légitimité dans la création du CAPES « Sciences et techniques documentaires » de 1989 et ses premières interrogations de pionniers comme Françoise Chapron, Alain Warzager (1992) et Jean-Louis Charbonnier (1997). Si la première didactique est tournée vers les « techniques », la didactique de l’ « Information-documentation » est orientée vers les « Sciences » et constitue ce qu’on peut appeler une approche déclarative. D’inspiration constructiviste (permettre aux apprenants de construire leurs connaissances), adossée à des savoirs théoriques, réflexifs, constitutifs d’une matière disciplinaire, elle est de nature spécifique et comme telle peut exister de manière autonome, puisque ayant ses propres objets d’étude, mais également s’inscrire dans des projets interdisciplinaires. Ces deux didactiques coexistent donc mais dans une proportion qui avantage largement la première (la recherche documentaire), bien que l’écart entre l’approche procédurale et l’approche déclarative semble se réduire. Par exemple aujourd’hui, il n’est pas rare de trouver des séances en 6ème qui traitent des moteurs de recherche en tant qu’objet d’étude. Le deuxième point qui ressort de l’examen de ces cent fiches est un sentiment de confusion dans les gestes pédagogiques, notamment en ce qui concerne la didactique de l’information-documentation où la construction des séances n’est pas toujours cohérente entre le positionnement des objectifs, la tâche proposée et l’évaluation. Il ressort déjà de cet examen que, si les contenus info-documentaires ne sont pas toujours bien maîtrisés (et l’on sait bien pourquoi !), le déroulement de la séance n’est pas toujours construit dans les règles de l’art. On peut en imputer facilement la faute à un déficit de formation continue. Toujours est-il que, contrairement aux idées reçues, les professeurs documentalistes utilisent un large panel de démarches pédagogiques, allant des techniques expositives aux méthodes actives.

Un troisième axe de réflexion s’appuie sur l’observation d’Edu’Base Documentation, cette base institutionnelle recensant depuis 2006 des séances pédagogiques mettant particulièrement en valeur « les pratiques liées aux TICE, aux compétences du B2i et aux compétences documentaires ». Si une plate-forme de mutualisation est absolument nécessaire pour toute discipline, il est regrettable que la seule existante ne fasse place qu’à une approche procédurale et transversale. Le filtre de recherche concernant les contenus n’ouvre que sur une liste fermée de compétences procédurales. Bien qu’elle vienne très récemment de s’ouvrir à l’identité numérique, à la crédibilité des sources et au droit d’auteur, aucune entrée n’est à proprement parler consacrée aux savoirs théoriques, empêchant ainsi la possibilité d’émergence d’une autre didactique.
Ces différentes réflexions ont ainsi conduit à imaginer un outil qui puisse répondre aux besoins des collègues professeurs documentalistes en matière de didactique. Les deux objectifs du projet ID Base sont de contribuer à l’édification de la didactique de l’information-documentation en s’appuyant sur le travail mené sur le terrain et de participer à la formation continue aussi bien sur le plan didactique que sur le plan pédagogique.

2. Du point de vue de la démarche scientifique :
Vous avez élaboré en 2009 une première grille de problématisation de « l’entrée dans la culture de l’information par les usages »
Comment avez-vous fait évoluer cet outil d’observation pour aboutir à la conception des fiches d’ID Base ?

S’il faut chercher une continuité entre cette proposition théorique d’une entrée dans la culture de l’information par les usages et le projet d’ID Base, c’est bien dans l’idée d’un apprentissage à inscrire au moins dans l’action, au mieux dans la situation. L’entrée par les usages insiste sur la nécessité qu’il y aurait à proposer aux élèves des situations concrètes et dans lesquels ils trouveraient l’occasion de construire de manière combinée ces trois types de connaissance que sont l’efficacité (savoirs pratiques), l’intelligibilité (savoirs théoriques) et la responsabilité (savoirs éthiques). Des situations qui leur permettent, pour répondre à cette injonction qui leur est faite d’être à la fois héritiers et co-créateurs de la culture de l’information, d’ « en être » et de « s’y connaître » en quelque sorte. Et concrètes parce qu’elles les engagent à résoudre des problèmes qui construisent, tout en les mobilisant, ces nouvelles compétences intégratives induites par le traitement de l’information, des documents et des médias numériques, telles que la publication, la communication, la diffusion, le partage, la création collaborative, le réseautage, la veille ou encore l’indexation sociale. Le projet d’exploration des pratiques didactiques qu’est ID Base vise à repérer des séances pédagogiques orientées vers la construction de notions opératoires et à valoriser celles qui présentent cette approche par les usages. Lors des premiers travaux exploratoires du domaine conceptuel de l’information-documentation, il y a presque dix ans, certains ont voulu enfermer cette didactique dans le seul courant transmissif. ID Base montre dès à présent que cette réduction n’a pas lieu d’être et que toutes les méthodes pédagogiques, dont les approches actives, sont utilisées. Il reste cependant à mettre davantage en relief les approches situées, c’est-à-dire qui tirent les connaissances à construire des situations elles-mêmes, qui existent.

3. La mise en place d’IDbase (conception et réalisation) vous a-t-elle pris beaucoup de temps ? Quelles ont été les principales difficultés que vous avez rencontrées ?

Concernant le support, j’ai eu la chance de bénéficier des grandes compétences et de la disponibilité d’un proche qui a conçu et écrit le programme à partir de nos échanges. Du point de vue de la structure intellectuelle de la base, cela a également été très vite, tant le projet avait mûri depuis quelque temps. En deux semaines, le site était écrit et réalisé. La difficulté réside aujourd’hui dans l’écriture des fiches d’analyse : sélectionner une proposition en ligne, savoir la lire sans la dénaturer mais trouver les appuis pour la faire évoluer, faire des propositions réalistes, avancer pas à pas dans les deux directions pédagogiques et didactiques, trouver le ton juste, enfin, pour m’adresser à mes collègues. Le projet ID Base implique une prise de position critique sur des travaux de professionnels qui pourrait être mal ressentie. Il faut donc convaincre de l’intérêt de cette démarche et rester dans une posture de questionnement et de partage.

4. Comment avez-vous effectué la sélection des séances/séquences pédagogiques ?

Au départ, je disposais de ce corpus de cent séances sélectionnées par le groupe de travail auquel je participe, corpus dans lequel je puisais les séances ayant une approche déclarative. Une visite des principaux lieux de publication, notamment académiques, a rapidement fourni une centaine de nouveaux signets à trier. La visite de la ProfDocOsphère représente également une mine parce que plusieurs blogs se répondent entre eux et permettent une circulation aisée et fructueuse. En effet, certaines de leurs auteures participent activement de ce processus de didactisation en cours. En fait, j’ai rapidement acquis la conviction que la matière ne manquait pas, ce qui est très encourageant.

Pour autant, toute fiche témoignant de cette visée n’est pas forcément utilisable. Beaucoup des propositions disponibles en ligne sont en fait des comptes-rendus de séquence ou bien se résument à des présentations de fiches élèves. Je ne dis pas qu’elles ne sont pas utiles et intéressantes, mais simplement qu’elles ne sont pas exploitables pour le projet ID Base. A partir de ces documents, qui me paraissent incomplets, il est en effet impossible de se rendre compte avec précision de la stratégie pédagogique employée, de visualiser la tâche à partir de laquelle l’apprentissage se noue, de déterminer quels objectifs d’apprentissage précis structurent la séance. La partie « déroulement de la séance » est en effet essentielle à la compréhension de celle-ci. Elle donne à voir, au travers de la gestion de la classe, comment et avec quelle habileté on conduit les élèves à s’investir dans une tâche que je considère comme le cœur de l’activité d’apprentissage. Les fiches élèves, si elles sont grandement utiles, ne sont que des outils didactiques adjuvants. Ce qui compte, ce sont ces situations imaginées par l’enseignant qui mettent adroitement l’élève en obligation de construire des connaissances et de modifier ses représentations à partir de traitements et de manipulations de « matériaux » induits par des consignes. Ces matériaux sont des documents de toutes sortes (imprimés ou numériques, pages de résultats d’un moteur, pages de blogs, sitographies, plate-formes de signets, outils de réseautage social, pages personnalisées, etc.) tout ce qui peut être analysé et utilisé par l’élève, tout ce qui pose question et permet de construire des problèmes de type informationnel.
La fiche pédagogique, je le sais bien, n’est qu’une représentation formelle d’une expérience vécue et unique. Pour autant, c’est un document de communication que l’on adresse aux autres et à soi-même, en tant que trace d’un geste didactique, pour la prochaine fois. Il se doit donc d’être lisible et le plus complet possible. De nombreuses fiches témoignent ainsi d’un souci de partage et de concision. Elles rendent alors possible un véritable exercice de confrontation au travail de l’autre et favorisent la recherche de solutions et de possibles qui vont pouvoir faire avancer le chantier didactique.

Au final, les critères retenus pour la sélection des fiches pédagogiques sont, outre cette orientation déclarative et ces qualités de communication et de précision, de présenter une perspective pédagogique originale ainsi qu’une situation d’apprentissage centrée sur une tâche bien identifiée.

5. Pourquoi avoir présenté trois tableaux synoptiques organisés autour des quatre axes : méthodes pédagogiques, interdisciplinarité, notions info-documentaires, progression ? A qui s’adressent ces tableaux et comment peut-on les utiliser ?

Les trois tables ont toutes en commun de présenter en ordonnées les notions info-documentaires puisque ce sont elles qui caractérisent le mieux cette entrée didactique. A partir de là, les abscisses « méthodes », « disciplines » et « niveaux » produisent des tables spécifiques . La première indique en fonction de chaque notion la méthode pédagogique qui a été utilisée. Ainsi, il est d’ores et déjà intéressant de constater qu’une même notion peut bénéficier de traitements pédagogiques variés. La didactique de l’information-documentation, comme toute autre didactique, n’est donc pas restreinte à une méthode particulière. On comprendra que la liberté pédagogique concerne aussi l’enseignant documentaliste, le laissant maître de ses choix compte-tenu des contraintes qu’il connaît. La deuxième table, « interdisciplinarité » s’adresse tout particulièrement aux situations professionnelles où l’enseignant documentaliste souhaite travailler dans un cadre interdisciplinaire ou y est obligé s’il veut disposer d’heures par exemple. Ces deux tables donnent en coordonnées le niveau auquel la fiche est dédiée.
La troisième table, « progressions », rend compte des déclinaisons de chaque notion dans les niveaux du secondaire, à partir d’exemple de séances dont les fiches sont présentées en coordonnées. C’est le véritable tableau de bord de la base du point de vue de son projet de contribution des professionnels à la didactique de l’information-documentation. Après cette première phase exploratoire que j’évoquais plus haut au sujet de la sélection des fiches, cet outil va servir de table d’orientation pour cette construction didactique, m’incitant à privilégier certaines fiches pour combler des vides. Au fur et à mesure de la montée en puissance de la base, on pourra ainsi commencer à étudier des progressions possibles. La table permet déjà de repérer les notions les plus travaillées pour tel ou tel niveau.
Ces tables servent donc de tableaux de bord pour discerner les tendances, estimer les ressources et pointer les lacunes. Elles constituent également un outil interne de recherche performant puisqu’elles permettent de sélectionner, à partir de trois critères par table, une fiche existante. En effet, le fait de cliquer sur une coordonnée compose automatiquement la requête correspondante.

6. Comment avez-vous déterminé les "notions" sélectionnées sur le menu déroulant de la page de recherche ?

Les notions du formulaire sont générées automatiquement au gré de leur apparition dans les analyses des fiches. Il ne peut donc pas y avoir de réponse vide à une requête. Par contre, le choix de telle appellation de notion pour caractériser la visée didactique d’une séance est personnel. Il est en grande partie déterminé par les travaux didactiques de cette dernière décennie et par quelques rares publications. Toutes ces références sont fournies dans la partie « Ressources » qui clôt chaque fiche analytique. On y trouvera, pour la partie didactisée, le Médiadoc de mars 2007 consacré aux savoirs scolaires en information-documentation , le dictionnaire des concepts info-documentaire disponible sur SavoirsCDI, le wikinotion de la Fadben et quelques travaux issus des académies de Rouen, Caen et Nantes, dont des cartes conceptuelles et des propositions de définition. Dans la partie « à didactiser », pourrait-on dire, sont proposées quelques textes de référence en Sciences de l’information et de la communication qui peuvent soutenir le professeur documentaliste dans son travail de transposition didactique interne. Si le travail est loin d’être terminé, nous pouvons ainsi toujours disposer de ressources essentielles pour progresser. L’expérience me montre que nombreux sont nos collègues qui déclarent souhaiter travailler de la sorte mais qui se disent empêchés parce qu’ils n’ont pas accès aux contenus de référence. C’est l’un des objectifs d’ID Base que de mettre ces documents à portée de tous et au plus près des besoins. J’ajouterai prochainement sur le site une liste d’outils destinés à seconder le professeur documentaliste dans la préparation des séances. Parmi ceux-ci, il trouvera une bibliographie spécifique à chaque notion enseignée.

Pour en revenir aux notions sélectionnés dans la base, il faut savoir qu’elles ne sont pas toujours identifiées comme telles dans les fiches pédagogiques que j’analyse. Il arrive en effet que les auteurs de certaines séances n’aient pas intégré ces notions dans leurs objectifs, ou les aient formulées autrement. Pourtant, l’analyse de la fiche révèle que ces notions pourraient constituer l’enjeu majeur de la séance et figurer au rang des objectifs notionnels de premier plan. Lorsque tel est le cas, le pari est alors pris de les inscrire en tant qu’objectifs d’apprentissage et de les rendre visibles dans le descriptif de la séance afin de donner cohérence à l’ensemble. Le commentaire qui suit permet ensuite d’expliquer les raisons de ce choix et de faire des propositions.

La mise en avant des notions travaillées par la profession, si elle contribue comme je le souhaite à l’édification curriculaire, montre du même coup ses limites. La question est de savoir si le corpus notionnel de l’information-documentation est traité de manière exhaustive par les professeurs documentalistes. A vouloir partir de l’existant, le risque est de ne donner au final qu’une vue partielle du programme complet. On le voit bien ces dernières années, la profession, manquant de repères institutionnalisés, subit les influences et les modes, passant par exemple d’un engouement pour le brainstorming et les cartes heuristiques à un intérêt pour l’identité numérique, le document de collecte ou la controverse. Si ces coups de projecteurs permettent des avancées remarquables en matière de traitement didactique, avancées qui doivent être capitalisées, elles ne doivent pas pour autant perdre de vue d’autres contenus, ne serait-ce que les fondamentaux comme « information », « document numérique » ou « média » qui ne sont encore que très peu explorés. Ainsi, comme je le précisais en introduction, le projet ID Base qui a pour but d’approcher la didactisation des contenus info-documentaires du point de vue du terrain ne peut être que complémentaire aux autres recherches qui s’appuient sur l’épistémologie ou la psychologie cognitive.

7. Pour quelle raison les fiches sont-elles fermées aux commentaires, est-ce votre choix : question de rigueur scientifique ou est-ce une restriction intrinsèque à la plate-forme utilisée ?

C’est une question intéressante que celle de permettre ou non aux collègues d’interagir, et je me la suis posée en amont de la mise en ligne de la base et de nombreuses fois depuis. La présente plate-forme, tout à fait modulable, ne présente pas de frein technique. Par contre, quelque peu échaudé par une telle expérience sur Les trois couronnes et par les abus qui s’y commettaient, je n’ai pas souhaité voir détourner la logique de ce projet compte-tenu qu’il touche un sujet sensible, qui est celui de l’identité professionnelle des professeurs documentalistes. Le besoin de sérénité qui sied à un travail de nature scientifique l’a donc emporté, du moins pour l’instant, sur le risque de faire du site ce qu’il n’est pas, à savoir un lieu de polémique. Pour autant, si le site est fermé aux commentaires, ma messagerie ne l’est pas et chacun est libre de s’adresser à moi par ce canal. C’est ce qu’ont d’ailleurs fait plusieurs des auteurs figurant dans ID Base et ce dont je les remercie. Aucun, cependant, n’a jusque là contredit ou discuté les analyses.

8. Dans le même ordre d’idée, pourquoi avoir choisi un site plutôt qu’un blog pour plate-forme de publication (média source). Cette question fait référence au billet d’André Gunther :
Le blogging académique, entre art et science


Aucune plate-forme de blogging, à ma connaissance, ne pourrait apporter ce que propose ID Base, laquelle a été spécialement conçue pour ce projet. Les tableaux de bord, le moteur de recherche interne, l’organisation en base de données consultables et la sobriété de l’interface constituent des priorités qui ne pouvaient être réunies que dans le cas d’une création logicielle.

Je souscris entièrement aux propos tenus par André Gunther. Que l’exposition publique bénéficie principalement à son auteur est une chose évidente et je peux en témoigner. Le point qui nous intéresse ici est cette idée selon laquelle la micropublication participerait d’une nouvelle modalité de la recherche scientifique, agrégeant des contributions multiples pendant le stade préliminaire à la publication. Une recherche personnelle qui s’appuierait en quelque sorte sur la controverse pour se nourrir et se dépasser, même si, comme le souligne André Gunther, cette participation s’avère minime dans les faits. Cet auteur, notons le, inscrit sa réflexion dans le cadre du microblogging. Mais si ID base n’est pas un blog, mais une base de données, et peut donc échapper en tant qu’objet à ce débat, il n’en reste pas moins que la remarque reste à mes yeux fondée. Que les fiches restent fermées aux commentaires n’empêche en aucun cas l’existence d’une conversation aux allures d’un séminaire. Ce sont les fiches qui sont fermées, pas le débat. Celui-ci peut se produire où bon il semble à ceux qui voudraient le tenir. Sur le web 2, d’innombrables solutions techniques existent pour rassembler les personnes, a fortiori des professeurs documentalistes, sur une thématique commune. A commencer par les blogs qui hébergent les séances d’origine. Le débat devrait pouvoir ainsi se situer « à pied d’œuvre », sous l’objet même de l’étude. Les listes de diffusion, pour prendre une autre plate-forme déjà disponible, ne se font que trop rarement l’écho de débats didactiques et pédagogiques. Sans doute faudrait-il réfléchir à la création d’une nouvelle liste de diffusion spécifiquement dédiée à ces questions, rassemblant les professeurs documentalistes soucieux de mutualiser leurs expériences et d’approfondir leur réflexion sur cet axe du métier.

9. ID Base a-t-elle vocation à être utilisée pour la recherche en information documentation ? Voyez-vous des exemples possibles ?

Il faudra atteindre une masse critique de données pour le savoir véritablement et commencer à tester la base. Dans cette attente, il est toutefois permis d’augurer qu’elle pourra servir à la recherche en tant que cursus constitué et en partie analysé. Il faut encore une fois garder à l’esprit que ce qui est sélectionné ne correspond pas à tout ce qui est publié, que ce qui est publié n’est pas tout ce qui est écrit, et que ce qui est écrit n’est pas forcément ce qui a été expérimenté ! Ces précautions prises, on peut tracer quelques pistes pour une étude de cette entrée professionnelle de la didactique. Pour donner quelques exemples ici :
- observer l’affiliation enseignante à la manière dont les professeurs documentalistes s’emparent des formes scolaires pour rendre compte de leur activité pédagogique ;
chercher à savoir s’il est juste de parler de « pédagogie documentaire » ou bien plutôt de pédagogie adaptée à l’information-documentation, partant de l’examen des méthodes pédagogiques employées ;
- circonscrire les contenus d’enseignement de l’information-documentation au travers des thématiques choisies et connaître les connaissances qui les composent ;
repérer l’origine référentielle de ces contenus d’enseignement au travers des sources utilisées ;
- identifier les niveaux de formulation requis pour chaque notion et chaque niveau du cursus ;
- inventorier les objectifs d’apprentissage selon qu’ils relèvent de savoirs théoriques, pratiques et éthiques ;
- inventorier les principaux objets d’étude de l’information-documentation (ce qui pose un problème de délimitation, de frontières entre différentes disciplines telle que le français, la technologie, l’informatique) ;
- inventorier les situations, les tâches et les matériaux proposés aux élèves à partir desquels les apprentissages sont rendus possibles ;
- inventorier les outils didactiques construits par les professionnels pour aider les élèves dans les apprentissages ;
- repérer les progressions d’apprentissage possibles par notion intégrative et pour l’ensemble du cursus ;
- caractériser les relations nouées avec les autres disciplines ;
- etc.

On le voit bien ici, les questions sont nombreuses et importantes. Elles renvoient toutes à la définition d’un curriculum.

10. Quelles seraient d’après vous les utilisations d’ID Base par les professeurs documentalistes ? Comment cette base expertisée de fiches pédagogiques pourrait-elle aider à la reconnaissance de la fonction pédagogique des professeurs documentalistes ?

Il est possible de repérer deux niveaux d’exploitation de la base par les professeurs documentalistes, le premier consistant à mesurer sa pratique personnelle, le second à travailler de manière collaborative sur le projet didactique. Mesurer sa pratique tout d’abord, pour l’approfondir, en disposant selon ses besoins de la base pour trouver une idée de scénario, affiner la formulation de ses objectifs d’apprentissage, consolider sa connaissance d’une notion, s’inspirer d’un outil didactique ou encore mieux structurer le déroulement d’une séance. Cette utilisation rencontre l’objectif de formation continue que se fixe ID Base tout en renforçant l’expertise des professionnels. Le niveau suivant d’exploitation concerne les collègues désireux de participer de manière collaborative au projet de didactisation de l’information-documentation. S’appuyant sur les différents tableaux de bord de la base, il s’agirait de structurer les expérimentations et les essais, de rendre compte des impasses et de capitaliser les réussites. Ainsi les acquis en matière de niveaux de formulation, de situations et de tâches devraient pouvoir être identifiés, formalisés et mis à disposition au travers de plate-formes collaboratives comme le WikiNotions FADBEN ou sous d’autres formes. Un observatoire des pratiques en didactique de l’information-documentation constituerait une garantie d’efficacité et de pérennité pour la profession.

La reconnaissance pédagogique de la profession dépend bien évidemment de son expertise et de sa pratique. Un enseignant, dans notre système scolaire, indexe sa valeur à celle créditée à la matière qu’il enseigne. Que devient, dans cet ordre des choses, un enseignant sans enseignement ? Ou, quand celui-ci existe, est peu stabilisé, dépendant des autres et mal ou pas du tout évalué ? Cette problématique n’est pas nouvelle, mais gageons que la stabilisation d’un corps d’objets d’enseignement assorti de gestes pédagogiques participant de la culture enseignante assurerait davantage les professeurs documentalistes dans la légitimité de leur identité enseignante.

11. Quelles ont été vos réflexions aux réactions parfois vives de certains professeurs documentalistes sur la liste e-doc, contestant cette rigueur scientifique. Le commentaire critique , susceptible d’après eux de figer le travail des collègues pratiquant dans des contextes divers (niveau des élèves qui change d’un établissement à l’autre, exigences des enseignants avec lesquels on collabore, ou plus globalement manque de temps…)

Ces réactions ont été aussi vives que peu nombreuses et ramassées sur un temps très court (48 heures). Passées deux réactions de collègues qui, manifestement, n’avaient pas examiné de près l’objet de leur critique, les autres ont en effet manifesté une sorte de crainte, bien compréhensive, à l’idée de voir leur fiche pédagogique ainsi analysée et commentée. Il est vrai que cette pratique est inhabituelle dans notre milieu où l’on cultive plutôt l’entre-soi. Mais l’effet de surprise passé, ces mêmes personnes m’ont témoigné leur adhésion, ce dont je les remercie. La question du tarissement possible des publications ne me paraît pas non plus fondée. Les collègues , dont la plupart publient sur un blog, sont demandeurs de réactions et de commentaires à leurs billets. Ils ne sauraient donc rester bien longtemps saisis lorsque quelqu’un prend le temps de consacrer une analyse plus profonde à leur travail. Par ailleurs, les fiches pédagogiques sélectionnées pour la base le sont parce qu’elles manifestent justement des qualités pédagogiques et/ou didactiques et constituent des leviers de progression intéressants. Ainsi le travail critique entrepris dans ID Base se veut porteur d’espoir pour la profession et vise la valorisation des travaux du terrain en leur ouvrant une perspective curriculaire. Je pense que nos collègues l’ont à présent bien compris.

12. Quel regard portez-vous sur les initiatives des collègues publiant sur blogs personnels ou sites académiques, publications que l’on retrouve sur une plate-forme comme ProfDocOsphère ? Comprenez-vous ces démarches comme des initiatives individuelles ou comme participant à un ensemble en construction (par ex. par émulation collective) ? Si on peut commencer à discerner un ensemble, ID base aurait-elle vocation à y participer, y trouver sa place et comment ?

En tant qu’auteur d’un site professionnel, j’ai été aussitôt enthousiasmé par cette initiative. Une profession, pour se constituer, a besoin de se rassembler autour de préoccupations, d’objets et d’espaces communs, dans un souci de partage et d’émulation. Les réflexions et les productions sont ainsi plus aisément accessibles, circulent plus facilement et on peut s’attendre à un enrichissement collectif de ces matériaux. Plus encore, cette initiative participe de l’élaboration d’une culture professionnelle qui trouve là un vecteur dynamique pour se reconnaître dans son identité. Cette identité, pour être forgée, a d’ailleurs besoin de se constituer à l’intérieur de limites tracées pour se distinguer des autres professions et se construire un langage commun.

ProfDocOsphère (construit et administré par Claire Cassaigne) a en fait fédéré une blogosphère qui existait avant elle, sous forme d’une petite constellation de blogs gravitant autour de relations particulières. Ces démarches ne sont pas seulement des initiatives individuelles. On crée un blog parce qu’on fait déjà partie d’une communauté et que l’on sait que l’on va pouvoir exister dans le regard et dans les attentes supposées des autres. Et puis le blog permet de tisser, de nouer et de relier, via les hyperliens et les commentaires, sa toile et son réseau de proches et de lointains. Pour autant, je ne pense pas que tous ces blogs aient eu conscience de participer à un ensemble en construction au-delà de l’horizon formé par la constellation d’appartenance. Le défi de ProfDocOsphère est de réunir ces différentes constellations en un seul univers.

L’idée d’indexer les blogs à partir d’une liste de mots clés fermée est très intéressante. Elle permet d’affirmer l’identité de chacun tout en lui permettant de se retrouver dans l’autre. Je note par ailleurs avec satisfaction que le mot clé « pédagogie » est de loin le plus utilisé pour se décrire, 32 des 43 sites référencés l’ont choisi. En seconde position vient l’étiquette « culture de l’information » (23). Dans ce contexte, ID Base peut en effet trouver sa place, celle dont il a été question plus haut et qui consisterait à fournir un cadre de travail structurant pour les initiatives et les expérimentations didactiques à venir. L’observation intéressée d’une certaine blogosphère dynamique et entreprenante en matière didactique a d’ailleurs été à l’origine du projet d’ID Base.

13. En tant que chercheur voyez-vous un intérêt à ce que de plus en plus de collègues publient ? Si oui, comment soutenir et favoriser le développement de cette expression ?

La question de l’intérêt de publier ne se pose pas pour un chercheur. Tout progrès scientifique fonctionne sur le régime de la publication. Aujourd’hui, non seulement ce régime s’accélère, mais les facilités qui le conditionnent, de la diffusion à l’accès par le lecteur sont optimisées. Mais avant de publier, il faut écrire. L’écriture permet avant tout de structurer ses connaissances, de donner une forme à son expérience, d’en capitaliser les réussites. ID Base, qui n’aurait aucune existence sans ces publications, peut justement contribuer à l’amélioration de la qualité de ces expressions. Par la valorisation que peut leur apporter le projet, ces publications pourraient être ainsi poussées vers la recherche universitaire et compter davantage qu’elles ne le font aujourd’hui, en sortant de la sphère strictement professionnelle et en participant d’un projet plus structuré et plus vaste. C’est tout le bien que je nous souhaite.