Dans mon collège, cette année, j’ai proposé la mise en place d’une expérimentation en classe de 5ème.
Avec l’accord de ma principale adjointe, tous les élèves ont eu dans l’emploi du temps une heure de "Culture numérique" en demi-classe tous les quinze jours, heure que j’ai assurée en tant que professeure documentaliste.
Nous avons intitulé ce module "Culture numérique" bien que l’appellation ne fasse pas du tout consensus et qu’on ne sache pas forcément bien ce qu’elle recoupe. J’ai d’ailleurs hésité entre cette appellation et celle d’Éducation aux médias et à l’Information (EMI). Mais l’intitulé "Culture numérique" paraissait parlant pour que les élèves et les collègues perçoivent le déplacement entre l’ancienne IRD, centrée sur le CDI et les méthodes de recherche documentaire, et l’intention ici de comprendre - critiquer - participer à et dans l’environnement numérique.
J’ai proposé ce projet en classe de cinquième, après des années de prise en charge des sixièmes (que j’ai néanmoins vus à six reprises dans des séances réparties sur l’année) parce qu’il me semblait que pour aborder un aspect plus critique des pratiques numériques, les sixièmes étaient encore un peu jeunes. Pour des élèves de sixième, l’important semble souvent de se familiariser avec l’outil informatique, les logiciels de traitement de texte et de PAO. Leur faible habileté manipulatoire fait qu’il est souvent nécessaire de se centrer sur cet aspect, plus que sur la réflexion.
Je souhaitais voir si je pouvais atteindre mes objectifs plus facilement en 5ème. J’avais formulé trois demandes :
m’adresser à l’ensemble des élèves du niveau cinquième, soit 150 élèves
avoir des groupes réduits (15 à 20 élèves) de façon a pouvoir les mettre facilement en situation de publication
ne pas mettre de notes, mais évaluer cependant (il m’a été demandé de remplir les bulletins)
Déroulement de l’année
Mon programme de l’année s’est mis en place ainsi (chaque séquence a duré 4 à 5 heures) :
- Séquence 1 : avec la découverte des groupes, en début d’année, j’ai souhaité mettre en place un travail sur la compréhension de notre environnement numérique, et notamment de l’univers Google. J’ai choisi d’étudier Google, comme cela se fait désormais dans nombre de CDI, sous ses différents aspects : histoire de la société et de son succès, fonctionnement du moteur de recherche, développement des services dans de nombreux domaines, question du stockage des données et des fermes de serveurs. A travers cet exemple précis, je souhaitais surtout que les élèves réalisent que leur environnement numérique n’a rien de virtuel mais correspond bien à une réalité physique : les documents accessibles en ligne sont stockés quelque part sur des serveurs, des personnes travaillent à ce stockage et à paramétrer l’accès à ces documents
En parallèle des activités proposées, j’ai demandé aux élèves volontaires de préparer des exposés de cinq à dix minutes chaque séance pour nous présenter un site ou une plateforme qu’ils aimaient bien, sur lequel ou laquelle ils avaient l’habitude d’aller. Cela a nous permis d’échanger sur leurs habitudes, leurs centres d’intérêts et de découvrir des sites. A chaque fois je demandais aux élèves de tenter de catégoriser le site. Cela m’a permis aussi de commencer à travailler l’expression orale.
- Séquence 2 : mise en place d’une campagne de sensibilisation « Vivre ensemble dans un monde connecté » à partir de la création d’affiches. J’ai déjà développé ce projet ici et il en a été question ici. Mon idée était de travailler sur l’articulation entre les comportements de groupes et les comportements individuels par un travail réflexif sur la question du choix (aider ou ne pas aider, suivre un groupe ou pas, informer, conseiller, etc.).
Cela nous a permis de travailler la PAO avec Open Office dessin et le design informationnel avec un travail sur la création de pictogrammes. Les affiches élues ont été mises en ligne et affichées un peu partout dans le collège.
- Séquence 3 : création d’un mur d’images sonores sur le thème « les communications pendant la Première Guerre mondiale »..
Ce travail s’inscrivait dans le cadre des commémorations du centenaire. L’idée était de comprendre comment on communiquait entre 1914 et 1918 et éventuellement de voir en quoi la guerre avait joué un rôle dans le développement des moyens de communications. Cela nous a permis de travailler aussi la question du droit d’auteur sur les images, du domaine public et des licences Creatives Commons. Les élèves ont dû « naviguer » entre
un mur Pinterest sur lequel je leur mettais les images à disposition,
les sites d’origine de ces images (archives, bibliothèques, Wikipedia…) pour voir les droits associées aux images,
un diaporama support que je leur avais créé sur les droits liées aux images,
un fichier de traitement de texte pour rédiger leur texte de présentation de l’image choisie,
le logiciel Audacity pour l’enregistrement
enfin, le mur Narrable pour voir le résultat final.
Ce passage constant d’un outil à l’autre (avec repérage nécessaire de l’espace : "Où suis-je ?" et prise de conscience des contraintes de l’outil "Comment je lis dans cet espace ? ", "Comment j’écris dans cet espace ?" etc.) m’a semblé essentiel.
Nous avons ainsi travaillé la lecture d’image et l’oral.
Leurs productions devraient être disponibles d’ici quelques mois sous forme de QRCodes dans différents endroits du département (sur des façades, des monuments etc.) car nous participons à un projet départemental intitulé "Du patrimoine local à la réalité augmentée".
- Séquence 4 : Création d’un diaporama « Pour ou contre les Google Glass ? ». Cette séance marque le passage de la question « Comment communiquait-on il y a 100 ans ? » à « Comment allons nous communiquer à l’avenir ? ».
Je cherche ici à apprendre aux élèves à cerner « l’espace d’indétermination » (l’expression est de Marcello VItali-Rosati) dans l’usage des technologies pour percevoir qu’au final c’est l’action humaine qui compte. Cette séquence adopte un déroulement classique avec document de collecte sur traitement de texte pour découvrir le sujet, élaboration de cartes mentales, lectures d’articles de Sciences & Vie junior, Géo ado et Comment ça marche et réalisation du diaporama.
Le sujet est abordé sous la forme de controverse selon la démarche dont j’ai déjà parlé ici.
La réalisation du diaporama permet aux élèves de réinvestir les compétences en PAO travaillées lors de la création des affiches en début d’année.
La thématique des Google Glass, outre qu’elle était d’actualité ce printemps, a permis de parler de la réalité augmentée (question déjà abordée à propos des QRCodes pour le mur d’images sonores)
- Séquence 5 : Qu’est-ce que la culture numérique ? Cette séquence de clôture me permettra de faire un bilan de l’année. Je souhaite demander aux élèves de choisir leur mode de production pour simplement présenter aux futurs élèves de cinquième le module de culture numérique. Je souhaite rester dans une posture d’observation pour voir ce qu’il leur semble avoir appris cette année et comment ils réinvestissent leurs compétences en littératie numérique.
Quel bilan de cette année ?
Un bilan très positif ; j’ai retrouvé avec les élèves un rapport très énergisant. Les avoir laissé le plus souvent possible en situation de production, donc de s’engager dans les travaux m’a permis de me positionner plus souvent qu’avant en observatrice attentive. Malgré que je sache bien à quoi je voulais que les élèves arrivent, j’avais le sentiment que les séances n’étaient pas totalement écrites d’avance, que pas mal de choses venaient d’eux et de fait, malgré les dix groupes je n’ai à aucun moment ressenti le sentiment de routine pesant qu’on peut parfois vivre en tant que prof doc.
Mettre des annotations sur les bulletins m’a permis de développer un regard précis sur chaque élève, m’a obligée à rester vigilante. Remplir un bulletin sans note oblige à être très précis dans ses propos, surtout pour un module dont peu de monde comprend ou connait le contenu. J’ai choisi d’évaluer essentiellement des capacités comportementales : l’autonomie des élèves et leur engagement dans les projets.
J’ai pu ainsi noter pour chacun :
la motivation
la capacité à s’engager personnellement dans les travaux demandés
la capacité à travailler en groupe
la capacité à s’organiser sur un temps long (plusieurs semaines) et à tenir la motivation sur ce même temps long
la capacité à dépasser ses difficultés (manipulatoires et/ou d’écriture)
la capacité à terminer le travail
la capacité à proposer de nouvelles pistes
la capacité à demander de l’aide (aux camardes ou à l’enseignant)
la capacité à proposer son aide aux autres élèves
la capacité à aller plus loin, proposer un travail plus abouti si on sent qu’on est à l’aise
Les projets de publications (affiches, mur d’images sonores, diporamas) ont dû s’adapter aux rythmes différents des élèves. Souvent, la dernière séance permettait aux élèves les plus en difficultés de terminer, et aux élèves les plus à l’aise d’essayer d’aller plus loin ou de préparer le travail pour la séquence suivante.
Très clairement, en cette fin d’année, je vois les élèves s‘organiser avec naturel entre les différents espaces du CDI (tables pour les travaux de groupe et/ou l’espace informatique). Ils ont appris à gérer seuls leur temps et je suis bien moins directive. En début d’heure nous faisons collectivement un rappel de la thématique et de l’objectif final ; chaque groupe expose l’état d’avancée de son travail puis comment il va organiser l’heure. Je les laisse ensuite gérer librement quarante cinq minutes de la séance. J’observe qu’ils ont gagné en autonomie.
Enfin, j’ai, en dehors de ce module, des projets qui permettent le réinvestissement des compétences développées en culture numérique :
les élèves du jardin publient sur un site et produisent des documents de communication (affiches, diaporama…)
les élèves du club lecture participent à un défi Babelio et tiennent un scoop.it d’informations culturelles,
les élèves du club 14-18 tiennent le blog fictif d’une enfant pendant la guerre.
Dans ces projets là, je ne retrouve pas tous les élèves, mais seulement les volontaires.
Régulièrement j’entends ces phrases : « Et si on faisait comme en cours de culture numérique ? » ou « Ah oui c’est comme on a vu en culture numérique » …
Des phrases qui me parlent, trouvent un écho qui me font penser que même si l’appellation « culture numérique » n’est sans doute pas la bonne, ce que nous y développons y fait vraiment sens.
Et l’année prochaine ?
La structure est maintenue au collège (ouf !) et déjà de nouveaux projets commencent à voir le jour :
je souhaite développer une thématique un peu plus scientifique et faire participer mes élèves à un projet de sciences participatives
dans le cadre des commémorations du centenaire, je vais sans doute travailler sur la question de l’architecture de l’information, en lien avec des élèves de lycée. Ce projet encore en construction se monte avec quatre collègues prof doc dans le cadre du Mooc « Enseigner et former avec le numérique »
enfin toujours en maturation le projet de création par les élèves d’un logo « savoir à partager » qui permettrait de signaler des ressources crées par des élèves pour les élèves….
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