Organiser une nuit de la lecture au CDI. Entretien avec Marie-Annabel Chaix

Marie-Annabel, merci d’accepter de présenter ici votre projet. Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Le collège Jean Franco de Saint-Étienne-de-Tinée est un petit établissement de montagne de 194 élèves dont 133 internes. Il y a une section ski études et une section montagne qui font la spécificité de l’établissement, les élèves ont donc un profil sportif. Nous sommes à 1150 m d’altitude, la station de ski est à 15 minutes.

Vous avez organisé une nuit de la lecture dans votre établissement. Comment est né ce projet ? Si c’est le cas, comment s’articule-t-il avec la nuit de la lecture proposée par le ministère de la Culture et de la communicationen janvier (la prochaine aura lieu le 19 janvier 2019) ?

Depuis mon arrivée en septembre 2017, j’ai constaté que le CDI était peu fréquenté. Il n’y a pas vraiment de culture du CDI (beaucoup de turn-over sur ce poste isolé) ; en fonction des options des élèves, les emplois du temps sont chargés, certains ont donc peu de temps libre ; et les élèves qui n’ont pas cours vont majoritairement au foyer plutôt qu’au CDI, le règlement intérieur étant plus permissif.
Il me fallait séduire les élèves pour relancer la fréquentation du CDI. L’idée d’organiser une nuit de la lecture au CDI m’est effectivement venue quand j’ai découvert l’action du ministère de la Culture.

La nuit de la lecture dure-t-elle toute la nuit ? Comment s’organise l’accueil des élèves ? Est-elle réservée aux élèves « lecteurs » ? Quelles activités sont proposées ?

Les élèves sont accueillis de 20h00 à 21h30 pour les 6e-5e et jusqu’à 23h00 pour les 4e-3e. Tous les élèves sont les bienvenus. Les élèves externes sont invités à participer, ils ont la possibilité d’acheter un ticket pour dîner ou alors de revenir au collège pour 20h. Les parents doivent s’engager à venir les chercher à l’heure prévue. La nuit de la lecture n’est pas ouverte aux parents mais effectivement, l’idée est à tenter ! L’année dernière aucun élève externe n’a participé, mais cette année, à la première édition, 4 élèves sont revenus à 20h00. Les élèves s’inscrivent sur une feuille pour que, le soir venu, les AED sachent qui est au CDI. En moyenne 35 élèves sont présents. Les adultes du collège sont aussi conviés, l’infirmière est souvent présente, le chef d’établissement et la CPE viennent se joindre à nous également. Je finis seule la soirée avec les élèves.

Des sélections thématiques de lectures sont préparées dans la journée, j’ai fabriqué des petits livrets de « lecture dans le noir » grâce au tutoriel d’une collègue, les livres désherbés servent pour faire des pliages, des origamis, des objets déco... Il y a des moments de lecture partagée à haute voix, de déclamation de poésies. Mon allié dans ces soirées est Le super livre à inventer des histoires : plus de 12 millions de possibilités, de Juliette Saumande et Mélanie Grandgirard (Fleurus, 2017). Il permet aux élèves et à moi-même d’inventer des histoires que l’on raconte aux autres.

Pouvez-vous nous en dire plus sur ces livrets de « lecture dans le noir » ?

Pour réaliser les livrets, des textes sont imprimés sur des transparents de retroprojection. Ils sont ensuite collés par les coins sur des feuilles noires. Ainsi le texte ne se voit pas. Il faut alors découper la forme d’une lampe torche et de son faisceau lumineux sur du carton blanc. Glisser la lampe ente le transparent et la feuille noire : le texte apparaît.

Quels titres d’ouvrages proposez-vous par exemple ?

Clément, Frédéric. Magasin zinzin, pour fêtes et anniversaires : aux merveilles d’Alys. [Livre]. Albin Michel-Jeunesse, 2002. 1 vol. (59 p.) : illustrations en couleur ; 24 x 18 cm.
Bernard, Frédéric / MARTIN, Jean-François. Le grand match. [Livre]. Albin Michel-Jeunesse, 2015. 1 vol. (34 p.) : illustrations en couleur ; 33 x 20 cm.
Elschner, Géraldine / Nouhen, Élodie. Maman loup : Louve du Capitole. [Livre]. l’Elan vert / Canopé éditions, 2016. 1 vol. (29 p.) : illustrations en couleur ; 33 x 25 cm.
Histoires de fantômes. [Livre]. Milan, 2000. 108 p.
La collection de contes de Flammarion jeunesse

Quelles sont selon vous les contraintes d’une telle organisation ? Y a-t-il des autorisations particulières à demander ?

Les seules autorisations demandées sont pour les élèves externes et l’accord du Chef d’établissement pour la date. C’est d’ailleurs la contrainte majeure : pour fixer la date il faut prendre en compte la disponibilité et la fatigue des élèves (entraînement de ski, compétitions, sorties montagne, stages club ...).

Quels aménagements avez-vous prévus ? Comment est aménagé votre espace lecture, s’il y en a un ? Au niveau des ressources : avez-vous investi dans des ouvrages particuliers ?

L’espace lecture possède 3 fauteuils, 3 poufs « poire », et 5 maxi coussins (2 à 3 élèves par maxi coussin peuvent s’ installer) et 2 tables basses. A la fin des études (18h45) des volontaires viennent m’aider à préparer le CDI : il faut empiler les tables et les chaises dans un coin, apporter les fauteuils de la salle des profs et du foyer pour ajouter des places, installer les tables basses, ... L’espace lecture envahit alors l’ensemble du CDI.
Aucun achat particulier n’a été fait.

Comment les élèves ont-ils investi ce temps ?

Les élèves attendent avec impatience les nuits de la lecture. Je suis surprise par certains élèves qui ne fréquentent jamais le CDI mais qui viennent au rendez-vous ! Ils sont curieux et profitent de ce moment pour découvrir le lieu.

La posture des élèves tient compte de leur besoin à ce moment-là de l’activité : ils sont couchés par terre, allongés. La posture du corps semble libre et libérée. Autorisez-vous de telles situations dans la journée ?

Après dîner les élèves montent se doucher et redescendent en pyjama, avec couette, oreiller et doudou. Les élèves ne s’allongent pas directement au sol, ils sont sur des poufs et des maxi coussins (une quinzaine). Un chariot de tisanes et petits gâteaux est préparé par le personnel de cuisine.
Les élèves savent que ce comportement n’est autorisé que pendant cette action, habituellement il est interdit de manger dans le CDI. J’ai fait le choix des maxi coussins dans l’espace lecture pour qu’ils puissent être à l’aise, et profiter pleinement de leur lecture.

Selon vous, quelles compétences développent les élèves avec ce genre de manifestation ? le CDI est un lieu dans un établissement scolaire très marqué par la culture du livre. Votre action renforce ce sentiment. Pensez-vous avoir touché des élèves non acquis à la lecture du livre ? De quelle manière ?

L’idée est vraiment de créer du lien entre les élèves et le lieu pour qu’ils en deviennent des usagers réguliers et pas par défaut. Les activités mises en place permettent aux élèves de s’exercer à la lecture à haute voix et de développer leur imaginaire. C’est aussi un bon moyen de découvrir le fonds.

Quel est votre rôle durant la soirée ? Quelles répercussions a eues la nuit de la lecture sur votre rapport aux élèves, sur votre posture de professeure documentaliste ?

J’accueille les élèves et leur présente les sélections thématiques et les activités proposées. Ensuite les élèves se répartissent en fonction de leur choix. Au bout d’un moment je prends un conte ou un album que je lis à haute voix. Les lectures partagées sont lancées, les volontaires choisissent un texte et le lisent à tous. Avant 21h30 je lis un dernier conte aux 6e-5e afin des les apaiser avant le coucher. Les 4e-3e restent jusqu’à 23h00, les contes deviennent des histoires de fantômes, de monstres, ... Souvent la fin de la soirée se termine en discussion avec les plus grands sur des sujets qui les interpellent.
Les relations avec les élèves évoluent grâce à ce type d’actions. Ils m’identifient de plus en plus en tant que professeure documentaliste, ce qui n’était pas évident au début. Les temps hors classe manquaient de cadre et les relations avec le CDI et la professeure documentaliste en pâtissaient car je devais tout le temps me montrer stricte et sévère pour installer un cadre nécessaire. Ces moments conviviaux que nous offrent les nuits de la lecture permettent d’échanger, de s’apprivoiser, de créer des liens qui forcément se retrouvent dans la journée.

Quels autres dispositifs proposez-vous au sein du CDI pour inciter à la lecture ?

Les autres dispositifs sont : mise en avant des nouveautés, commentaires accrochés aux livres, suspension des revues sur des porte-revues, prêts surprise de Noël, mise en valeur sur les étagères et des chevalets, exposition d’affiches reçues, participation à des prix littéraires, ... Je propose aussi des sélections lors d’évènements particuliers (sensibilisation sur les conduites à risques, semaine du goût, semaine de la presse, printemps des poètes, ...).