A l’occasion de la refonte du site, nous avons souhaité l’identifier comme participant au projet move commons, vous pouvez le voir au logo en bas de page. Pour expliciter cette démarche, nous vous proposons un entretien avec Bastien Guerry, co-fondateur du projet.
Bastien, Guerry, pouvez-vous vous présenter et nous dire quel a été votre parcours ?
J’ai fait des études de philosophie et je suis « tombé » dans le mouvement du libre un peu avant l’an 2000. J’ai rejoint l’AFUL (Association Francophone est des Utilisateurs de Logiciels Libres), et j’ai commencé à apprendre à programmer pendant mes loisirs.
Tout en codant de plus en plus (je suis contributeur de GNU Emacs, l’éditeur de texte écrit par Richard Stallman, « père » du libre), j’ai commencé à m’impliquer dans des sujets proches du libre : l’éducation et le numérique (j’ai co-fondé OLPC France en 2008), la culture collaborative (j’ai travaillé un an pour Wikimédia France), et les biens communs (je participe à Move Commons et à ShareLex).
Aujourd’hui, tout en contribuant à ces mouvements, je me concentre sur ce problème : comment encourager les dons faits à des projets libres ?
Comment (et quand) est née l’idée de move commons ? A quel besoin est-ce que cela répondait ?
Autour des années 2000, le problème était de savoir comment concilier notre vie réelle et notre vie virtuelle. C’était un problème surtout psychologique, et on s’intéressait beaucoup aux avatars, au pseudonymat, aux effets du « virtuel » sur nos représentations, etc. Aujourd’hui, le problème s’est déplacé du psychologique vers le moral : non plus « qui suis-je en ligne ? » mais « comment concilier mes engagements moraux et mes usages d’internaute ? »
Les uns le font en participant activement aux réseaux sociaux sur les sujets qui les préoccupent. D’autres interrogent la nature même de ces réseaux ou des entreprises qui les portent : ils font un travail critique, ils débusquent les contradictions possibles entre nos usages et nos valeurs.
Les premiers se jettent dans les réseaux comme nouveaux vecteurs les aidant à promouvoir leurs causes ; les seconds posent les questions qui fâchent : est-ce qu’il est raisonnable de monter un groupe AntiPub en utilisant Facebook, dont le modèle de financement repose sur la publicité ciblée ? Est-ce qu’il est sain de militer pour un mouvement écologique en devenant utilisateur d’une entreprise qui ne se préoccupe pas de « green IT » ?
Move Commons est né de la volonté d’aider les initiatives à surmonter ces contradictions. Plus prosaïquement : du raz-le-bol de voir des mouvements prôner des valeurs tout en utilisant des outils numériques qui enrichissent leurs ennemis.
Nous avons fait deux paris : celui du collectif et celui de la simplicité. Le collectif, parce que nous voulions rapprocher les initiatives similaires les unes des autres, supposant que c’est par ce biais qu’elles prendraient conscience de leurs contradictions et se donneraient les moyens de les surmonter. La simplicité, parce que le modèle de Creative Commons nous a paru le bon, notamment pour ses vertus pédagogiques. Pointer les contradictions n’est jamais suffisant, il faut donner des outils simples pour les résoudre. Le premier outil est un outil d’identification des engagements et de mise en relation.
Pourquoi selon vous fallait-il inventer quelque chose en plus des licences libres existantes ?
Les licences libres sont faites pour protéger des oeuvres, Move Commons est fait pour construire publiquement l’identité d’un mouvement : décrire sa gouvernance, son objet, ses engagements de transparence, etc. Les licences libres furent une source d’inspiration, mais Move Commons n’est pas un dispositif juridique.
Qu’avez-vous fait une fois l’idée posée pour la développer ?
L’idée et le projet se sont développés en parallèle. Nous avons esquissé l’idée avec mon ami Samer, puis celui-ci a rencontré les gens du groupe comunes.org, qui ont tout de suite adhéré. Comunes propose des outils web pour des initiatives sociales (listes de discussions, sites, etc.) et il leur a paru naturel de développer avec nous Move Commons comme outil d’identification pour ces initiatives.
Aujourd’hui où en est-on ?
Nous avons organisé de nombreuses discussions, en présentiel et en ligne. Nous avons reçu des retours sur le système actuel de labels et nous sommes sur le point de le mettre à jour pour le simplifier : nous voulons rendre obligatoire le label « contribue aux biens communs » (un peu comme la clause « by » est obligatoire pour les licences Creative Commons) ; nous voulons ne proposer que les labels « positifs » et optionnels (plutôt que d’avoir le choix en le positif et le négatif, par exemple entre réplicable et non-réplicable). Nous ne nous attendons pas à ce qu’une initiative utilise Move Commons pour indiquer qu’elle n’est pas réplicable, fortement hiérarchisée, et… qu’elle ne contribue pas aux biens communs !
Nous mettons aussi en place une base de données pour que la liste des initiatives utilisant Move Commons soit publiquement disponible et utilisable. Et nous travaillons enfin sur le moteur de recherche sémantique, mais c’est un travail de longue haleine.
Qu’attendez-vous de ce projet ?
Nous voulons rassembler les acteurs des biens communs et les aider à décrire brièvement leur objet et leurs engagements.
Que pensez vous du fait qu’un site comme Doc pour docs passe sous move commons ? Qu’est-ce que cela apporte au projet collectif ?
Cela envoie deux messages : l’un vers le monde extérieur, pour dire que le site Doc pour docs s’inscrit dans une démarche plus globale de contribution aux biens communs ; l’autre vers les acteurs du site, pour les inciter à se demander « comment pouvons-nous être réplicables » ? Et se donner ainsi la possibilité qu’un internaute passe par là, et propose son aide pour que les contenus soient mis sur un site comme gitorious… permettant à chacun de vraiment « cloner » les contenus pour les réutiliser, les retravailler, etc.
A Doc pour docs, nous sommes sensibles à la question des biens communs, notamment numériques. Selon vous le projet move commons est-il porteur de cette pensée des communs ?
À 100% ! C’est tout l’enjeu.
A l’Ecole, et notamment du coté des professeurs documentalistes, on commence à enseigner la question des licences libres quand on aborde le droit d’auteur. Pensez vous que le move commons puisse entrer aussi à l’Ecole ? Si oui, comment ?
Les licences libres sont bien éprouvées et font désormais partie de la culture du droit d’auteur, des pratiques qu’il faut connaître quand on s’intéresse au numérique et quand on l’enseigne à l’école.
Move Commons est une initiative politique, au sens noble du terme, et elle doit d’abord gagner ses lettres de noblesse comme mouvement avant de devoir être présenté à l’école comme phénomène culturel.
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